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Que
vous inspire l'expression "nouvelle économie" ?
Philippe Lemoine. Elle ne doit évidemment pas
se limiter à un secteur high-tech qui devrait être
opposé au reste de l'économie. Il faut naturellement
accorder beaucoup d'importance aux entreprises Internet, mais
ce qui est encore beaucoup plus important, c'est que les entreprises
de tous les secteurs intègrent dans leur vision du
monde les opportunités, les changements de relations
avec les consommateurs et la façon de gérer
en interne la relation avec les salariés. Ce potentiel
de changement doit être intégré à
l'ensemble de l'économie. La "nouvelle économie"
existe mais elle ne doit pas correspondre à une définition
sectorielle.
Le Web
peut-il, selon vous, vraiment participer sur le long terme
à l'émergence d'une nouvelle dynamique économique
en France ?
Ce matin, dans les débats que nous avions en séance
plénière, mon message était de dire que
nous avions pour la France deux portes d'entrée possibles
dans la nouvelle économie. D'abord une entrée
pratique avec des questions importantes à traiter comme
la fiscalité les BCE, la formation ou les infrastructures.
L'autre entrée est d'aborder la question sous un angle
théorique en faisant entrer la France dans les débats
et dans la réflexion sur la nouvelle économie
et ses paradoxes. Par exemple dans le Groupe Galeries Lafayette,
e-Laser a édité cette année un cahier
sur ce thème de la nouvelle économie et de ses
paradoxes, sur les changements de paradigmes de l'économie.
Nous avons ainsi traduit en français des textes d'économistes
américains qui ont contribué à faire
naître cette notion de nouvelle économie. C'est
une réflexion que nous n'avons pas encore abordée
en France. Les économistes et leaders d'opinion doivent
se pencher sur ce phénomène pour comprendre
les changements inhérents à cette nouvelle économie.
Le problème de l'informatique et des technologie n'est
plus centré sur la production mais sur la notion d'échange.
La technologie ne correspond plus à des supressions
d'emploi mais à des conquêtes de marché.
C'est une
révolution économique?
On peut en tout cas parler de très gros changements
par rapport à ce qui s'est passé depuis ces
trente dernières années. La nouvelle économie,
on ne sait pas encore définir ce que c'est précisément.
Mais on sait caractériser une partie du passage de
l'ancienne économie à la nouvelle. Dans l'industrie,
on a eu comme credo permanent d'accroître la productivité
sans pour autant diminuer les prix. Pour l'automobile par
exemple, Jean-Martin Foltz (ndlr: le PDG de Peugeot), met
l'accent sur l'amélioration du confort ou le développement
de nouvelles options pour éviter une trop rude chute
des prix. On retrouve le même phénomène
dans les industries des biens de grande consommation avec
l'utilisation aigüe du marketing. Or aujourd'hui nous
sommes arrivés à une saturation de ces logiques
car les bureaux d'étude ou les services marketing ne
sont plus capables d'une d'innover de façon suffisamment
convaincante pour le consommateur. La révolution aujourd'hui
est la coïncidence entre l'épuisement de cette
capacité d'innovation au moment où les personnes
ont entre les mains avec Internet une technologie sophistiquée
permettant, elle, de tirer l'économie et d'adapter
celà pour différencier les services et les produits.
C'est une rédéfinition profonde de l'intermédiation.
Quel peut-être
aujourd'hui le rôle du Medef vis-à-vis des acteurs
de ce bouleversement que sont notamment les créateurs
de start-up ?
Nous avons de nombreuses structures dans lesquelles sont présents
ces entrepreneurs. Mais nous n'avons pas non plus vocation
à offrir un cocon à ces chefs d'entreprise là.
Nous sommes plutôt là pour lancer des débats,
ouvrir des discussions... Mais n'avons pas de vocation au
nursing. La compétition est un facteur de progrès.
Mais il ne faut pas non plus exagérer le niveau de
difficultés auquel est confronté le secteur.
L'e-krach récent était prévisible et
prévu par les économistes, tout comme la phase
de croissance lente et longue pour ce secteur qui devrait
lui succéder. Je pense même que si l'on comparait
100 start-up Internet et 100 entreprises créées
dans les secteurs traditionnels, il y aurait probablement
plus d'échecs au bout de trois ans dans l'économie
traditionnelle.
La France
vous semble-t-elle un pays propice au développement
de ces start-ups?
Nous avons certes des faiblesses liées aux pesanteurs
fiscales et à l'omniprésence de l'Etat dans
l'économie. Mais la France dispose aussi et surtout
d'énormes atouts, avec l'expérience extraordinaire
du Minitel. Nous disposons de 20 ans de recul sur une activité
économique en ligne à grande échelle.
Nous avons ainsi pu développer des approches très
intéressantes. Nous disposons d'une expérience
dans l'encadrement légal des bases de données
personnelles. Je siège au sein de la CNIL et lorsque
nous avons créé cette institution en 1978, les
Etats-Unis nous ont regardé avec un air moqueur et
amusé. Aujourd'hui les problèmes de protection
des données personnelles sont un des freins majeurs
au développement d'Internet là-bas. Les Américains
veulent une loi pour les protéger. Nous avons, nous,
plus de 20 ans d'expérience.
Que vous
inspirent les politiques de management de start-up, notamment
la fidélisation des salariés avec des BCE?
C'est effectivement quelque chose de riche dont les grandes
entreprises peuvent s'inspirer du point de vue de leur cohésion
interne et de leur management. Le dynamisme des start-up a
été un facteur très positif pour le développement
de l'actionnariat salarié sous toutes ses formes. Mais
plus intéressant encore sont pour moi les grands groupes
qui ont été capables d'intégrer un très
grand nombre de ces start-up. Je pense par exemple à
Cisco, à toutes ces sociétés qui ont
à la fois des projets de développement rapides,
une vision très claire de leur stratégie et
qui sont capables de mettre en place un mode d'organisation
leur permettant d'agréger en cinq ans jusqu'à
300 entreprises différentes.
Les entreprises
"traditionnelles" ont-elles selon vous suffisament
intégré Internet dans leurs modèles économique?
Pratiquement tous les chefs d'entreprise ont intégré
d'une façon ou d'une autre Internet, par l'utilisation
de messageries, la création de leurs sites. De là
à dire qu'elles ont toutes intégré l'importance
du changement en cours, non, il faut encore faire monter la
pression. C'est une des raisons pour lesquelles le président
du Medef, Ernest-Antoine Sellière, a décidé
d'organiser notre université autour de ce thème.
Sur un
plan plus personnel vous achetez souvent en ligne ?
Tout naturellement, je suis très grand utilisateur
des enseignes du groupe Galeries Lafayette, en particulier
Télémarket ou le site Galeries Lafayette. J'achetais
également des livres sur Amazon.com avant son arrivée
en France.
Comme internaute,
vous avez un site préféré ?
Ce n'est pas vraiment un site mais j'aime vraiment Napster
que j'utilise beaucoup en ce moment.
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