INTERVIEW
 
Groupe de travail commerce électronique
Medef
Philippe Lemoine
"Titre"
Philippe Lemoine, co-président du directoire du groupe Galeries Lafayette, préside également le groupe de travail "commerce électronique" du Mouvement des entreprises de France (Medef). A l'occasion de l'université d'été du mouvement consacrée au thème "Nouvelle économie-Nouvelle société", il livre son analyse de la perception de la nouvelle économie chez les entrepreneurs français. Bilan : "Il faut encore faire monter la pression".01 septembre 2000
 
          

JDNet. Que vous inspire l'expression "nouvelle économie" ?
Philippe Lemoine. Elle ne doit évidemment pas se limiter à un secteur high-tech qui devrait être opposé au reste de l'économie. Il faut naturellement accorder beaucoup d'importance aux entreprises Internet, mais ce qui est encore beaucoup plus important, c'est que les entreprises de tous les secteurs intègrent dans leur vision du monde les opportunités, les changements de relations avec les consommateurs et la façon de gérer en interne la relation avec les salariés. Ce potentiel de changement doit être intégré à l'ensemble de l'économie. La "nouvelle économie" existe mais elle ne doit pas correspondre à une définition sectorielle.

Le Web peut-il, selon vous, vraiment participer sur le long terme à l'émergence d'une nouvelle dynamique économique en France ?

Ce matin, dans les débats que nous avions en séance plénière, mon message était de dire que nous avions pour la France deux portes d'entrée possibles dans la nouvelle économie. D'abord une entrée pratique avec des questions importantes à traiter comme la fiscalité les BCE, la formation ou les infrastructures.
L'autre entrée est d'aborder la question sous un angle théorique en faisant entrer la France dans les débats et dans la réflexion sur la nouvelle économie et ses paradoxes. Par exemple dans le Groupe Galeries Lafayette, e-Laser a édité cette année un cahier sur ce thème de la nouvelle économie et de ses paradoxes, sur les changements de paradigmes de l'économie. Nous avons ainsi traduit en français des textes d'économistes américains qui ont contribué à faire naître cette notion de nouvelle économie. C'est une réflexion que nous n'avons pas encore abordée en France. Les économistes et leaders d'opinion doivent se pencher sur ce phénomène pour comprendre les changements inhérents à cette nouvelle économie. Le problème de l'informatique et des technologie n'est plus centré sur la production mais sur la notion d'échange. La technologie ne correspond plus à des supressions d'emploi mais à des conquêtes de marché.

C'est une révolution économique?
On peut en tout cas parler de très gros changements par rapport à ce qui s'est passé depuis ces trente dernières années. La nouvelle économie, on ne sait pas encore définir ce que c'est précisément. Mais on sait caractériser une partie du passage de l'ancienne économie à la nouvelle. Dans l'industrie, on a eu comme credo permanent d'accroître la productivité sans pour autant diminuer les prix. Pour l'automobile par exemple, Jean-Martin Foltz (ndlr: le PDG de Peugeot), met l'accent sur l'amélioration du confort ou le développement de nouvelles options pour éviter une trop rude chute des prix. On retrouve le même phénomène dans les industries des biens de grande consommation avec l'utilisation aigüe du marketing. Or aujourd'hui nous sommes arrivés à une saturation de ces logiques car les bureaux d'étude ou les services marketing ne sont plus capables d'une d'innover de façon suffisamment convaincante pour le consommateur. La révolution aujourd'hui est la coïncidence entre l'épuisement de cette capacité d'innovation au moment où les personnes ont entre les mains avec Internet une technologie sophistiquée permettant, elle, de tirer l'économie et d'adapter celà pour différencier les services et les produits. C'est une rédéfinition profonde de l'intermédiation.

Quel peut-être aujourd'hui le rôle du Medef vis-à-vis des acteurs de ce bouleversement que sont notamment les créateurs de start-up ?
Nous avons de nombreuses structures dans lesquelles sont présents ces entrepreneurs. Mais nous n'avons pas non plus vocation à offrir un cocon à ces chefs d'entreprise là. Nous sommes plutôt là pour lancer des débats, ouvrir des discussions... Mais n'avons pas de vocation au nursing. La compétition est un facteur de progrès. Mais il ne faut pas non plus exagérer le niveau de difficultés auquel est confronté le secteur. L'e-krach récent était prévisible et prévu par les économistes, tout comme la phase de croissance lente et longue pour ce secteur qui devrait lui succéder. Je pense même que si l'on comparait 100 start-up Internet et 100 entreprises créées dans les secteurs traditionnels, il y aurait probablement plus d'échecs au bout de trois ans dans l'économie traditionnelle.

La France vous semble-t-elle un pays propice au développement de ces start-ups?
Nous avons certes des faiblesses liées aux pesanteurs fiscales et à l'omniprésence de l'Etat dans l'économie. Mais la France dispose aussi et surtout d'énormes atouts, avec l'expérience extraordinaire du Minitel. Nous disposons de 20 ans de recul sur une activité économique en ligne à grande échelle. Nous avons ainsi pu développer des approches très intéressantes. Nous disposons d'une expérience dans l'encadrement légal des bases de données personnelles. Je siège au sein de la CNIL et lorsque nous avons créé cette institution en 1978, les Etats-Unis nous ont regardé avec un air moqueur et amusé. Aujourd'hui les problèmes de protection des données personnelles sont un des freins majeurs au développement d'Internet là-bas. Les Américains veulent une loi pour les protéger. Nous avons, nous, plus de 20 ans d'expérience.

Que vous inspirent les politiques de management de start-up, notamment la fidélisation des salariés avec des BCE?
C'est effectivement quelque chose de riche dont les grandes entreprises peuvent s'inspirer du point de vue de leur cohésion interne et de leur management. Le dynamisme des start-up a été un facteur très positif pour le développement de l'actionnariat salarié sous toutes ses formes. Mais plus intéressant encore sont pour moi les grands groupes qui ont été capables d'intégrer un très grand nombre de ces start-up. Je pense par exemple à Cisco, à toutes ces sociétés qui ont à la fois des projets de développement rapides, une vision très claire de leur stratégie et qui sont capables de mettre en place un mode d'organisation leur permettant d'agréger en cinq ans jusqu'à 300 entreprises différentes.

Les entreprises "traditionnelles" ont-elles selon vous suffisament intégré Internet dans leurs modèles économique?
Pratiquement tous les chefs d'entreprise ont intégré d'une façon ou d'une autre Internet, par l'utilisation de messageries, la création de leurs sites. De là à dire qu'elles ont toutes intégré l'importance du changement en cours, non, il faut encore faire monter la pression. C'est une des raisons pour lesquelles le président du Medef, Ernest-Antoine Sellière, a décidé d'organiser notre université autour de ce thème.

Sur un plan plus personnel vous achetez souvent en ligne ?
Tout naturellement, je suis très grand utilisateur des enseignes du groupe Galeries Lafayette, en particulier Télémarket ou le site Galeries Lafayette. J'achetais également des livres sur Amazon.com avant son arrivée en France.

Comme internaute, vous avez un site préféré ?
Ce n'est pas vraiment un site mais j'aime vraiment Napster que j'utilise beaucoup en ce moment.

 
Propos recueillis par Fabien Claire

PARCOURS
 
Après une licence de droit un diplôme supérieur d'économie et de l'IEP Paris, Philippe Lemoine débute sa carrière comme ingénieur à l'Inria. Puis il travaille au sein de plusieurs cabinets ministériels et assure de 1982 à 1984 la vice-présidence du comité national du programme "technologie, emploi, travail" au ministère de la Recherche. Il est également nommé commissaire du gouvernement auprès de la Cnil. En 1984, Philippe Lemoine intègre la direction générale du Groupe Galeries-Lafayette. En 1998, il est nommé co-président du directoire du groupe. Il occupe par ailleurs les fonctions de PDG des sociétés Lafayette Services, LaSer, Cofinoga, Banque Sygma, Laser Informatique, et de président du directoire du BHV. Il est également président du groupe de travail commerce électronique du Medef.

   
 
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