INTERVIEW
 
Professeur
IAE d'Aix en Provence
Philippe Baumard
"Titre"
Philippe Baumard est professeur de stratégie à l'université d'Aix-Marseille III. Spécialisé en managment stratégique et en guerre de l'information il est l'auteur de nombreuses ouvrages sur le sujet. Suivant particulièrement les batailles que se livrent les acteurs de l'Internet, il nous livre son regard sur les perspectives l'année à venir et sur ses enjeux pour les grands opérateurs comme pour les start-up.08 janvier 2001
 
          

JDNet. L'année commence avec le rachat de LibertySurf par Tiscali. Qu'est ce que cela vous inspire en terme de stratégie pour l'opérateur Italien?
Philippe Baumard. Comme tout le monde le sait les fournisseur d'accès sont dans une logique d'acquisition de masse pour une future domination dans le haut-débit. Il faut donc pour l'instant empiler les abonnés pour être bien placé. Sur ce plan là c'est une bonne affaire pour Tiscali. Néanmoins leur grand problème est désormais d'arriver à une bonne qualification des audiences. Si l'on regarde Liberty Surf le ratio utilisateur réel/abonné est très faible, c'est un problème. Par ailleurs Tiscali est trés faiblement positionné sur le haut débit. Car le vrai défi pour les opérateurs cette année et les suivantes est désormais de faire basculer les abonnés avec un modem 56K vers le haut débit pour qu'ils accèdent à des services à forte valeur ajoutée comme le musique ou la Vidéo. T-Online ou Terra sont ainsi certainement mieux placés dans cette course.

Cela veut donc dire comme certains le laissent déjà entendre que Tiscali finira également par être racheté ?

Cela m'étonnerait pour l'instant car ce n'est à mon avis pas leur finalité stratégique. Par ailleurs le groupe est très peu opéable dans l'immédiat en raison de la structure de son actionnariat. Tout se jouera dans trois ou quatre ans. On estime qu'il y aura quatre voire cinq acteurs en Europe. Celui qui aura le dernier strapontin dans ce quinté pourra le monnayer très cher. C'est peut être ce qu'attend Renato Soru le patron de Tiscali.

En regardant toutes ces fusions-acquisitions on a l'impression d'un manque de stratégie concertée, certaines d'entres elle apparaissant même comme un peu précipités ?
C'est évident et le krach sur les marchés financiers a été dus à cela. Les marchés ont pensé que dans l'Internet la phase d'exploration était terminé en 2000 et que la phase d'exploitation allait commencer avec tous les bénéfices qu'on peut en tirer. Or le secteur est encore et toujours dans l'incertitude. On remarque d'ailleurs qu'il n'y a pour l'instant pas vraiment de guerre de l'informations ou de signaux stratégiques comme on peut en avoir dans les autres industries. La raison est simple : personne, y compris les grands opérateurs, n'a de stratégie focalisée. Cette année on sera donc cette année plutôt dans une phase de rationalisation aussi bien pour les start-up que pour les grands groupes. Pour revenir à Tiscali je trouve d'ailleurs qu'ils ont l'énorme qualité d'insister sur le managment. Dès qu'ils font une acquisition, il restructure tout de suite pour repartir sur des bases solides. Ils ne laissent pas dériver les problèmes.

En matière de stratégié les start-up sont elles plus vulnérables que les autres ?
Evidemment et ce pour deux raisons. En phase de croissance tout est concentré sur le marketing ce qui rend difficile la définition d'une vraie stratégie. Ensuite le secteur a un historique faible et il y a une pénurie dans l'expertise qui débouche sur un trou dans le managment. On a d'un côté les jeunes fondateurs qui ont constitué leur société autour de l'idée et de l'autre des profils senior très orientés sur la finance. Mais pas de senior pour la stratégie. Mais cela n'est pas forcément propre uniquement aux start-up. Europ@web est à mon avis l'exemple le plus frappant de ce manque et c'est certainement ce qui les a handicapés. Les analystes étaient un peu déboussolés car ils avaient du mal à cerner leurs intentions. Depuis ils ont d'ailleurs changé radicalement.

Mais qu'entendez vous par le manque de stratégie dans un secteur où justement on a peu de visibilité?
Pour vous donner un exemple, l'échec le plus caractéristique selon moi est celui des sites communautaires. Ils disposaient tous d'une belle audience mais ont tardivement développer les outils marketing pour indentifier leur visiteurs, ce qui est pourtant la pierre angulaire dans l'Internet du futur. Mais la responsabilité est aussi chez les analystes financiers. Ces derniers ont forcé les sociétés a faire du dumping sur les pages vues pour mieux les valoriser. Ce n'était pas sérieux car la valeur d'un site internet se mesure surtout au profil des visiteurs et aux temps passés par l'utilisateur sur le site. On peut avoir une petite audience et être beaucoup plus performant qu'un grand portail. Tout le monde a cru que parce qu'on reproduisait n fois le même usage, la valeur allait être multipliée par le même coefficient. A cet égard les pages vues d'AOL ou de Lycos ne veulent pas dire grand chose. Mais il faut dire également que les instituts d'études ne fournissaient pas non plus des données très poussées.

Vous insistez énormément sur la qualification du client. C'est l'enjeu majeur pour vous cette année?
Certainement. Pour les sociétés de l'internet qui dépendent de l'audience il y a trois phases. Convaincre l'internaute de venir, l'acquérir et se l'approprier. Or à l'heure actuelle on est à peine au niveau de la deuxième phase . Les fournisseurs d'accès en sont un exemple. Ils dépendent énormément de la publicité et ne se sont pour l'instant pas préoccupés de la rétention des abonnés. A mon sens d'ailleurs ils ne sont pas plus performants que les start-up à ce niveau. Notamment les fournisseurs d'accès gratuits qui ont du mal à qualifier leurs audiences. Or on sait que par exemple sur les services financiers il y quasiment quatre points de marge entre un client qualifié et un non qualifié.Mais c'est un problème qui existe sur tous les canaux, du mobile à Internet. L'enjeu majeur portera donc sur la certification de l'utilisateur. Tout le monde cherche à imposer son standard. Intel sur les puces, Nokia sur les portables, les fournisseurs d'accès sur Internet, les marchands. Pour l'instant c'est très morcelé et il faudra arriver pour eux à un système de certification unique du consommateur, une qualification très poussée en somme. Mais savoir qui possèdera la certification est difficile en raison justement du nombre de canaux d'accès existants. Ce sera donc certainement un nouveau facteur de concentration dans l'Internet.

Mais cela va poser des problèmes de libertés ?.
Evidemment puisque la CNIL n'impose pas la revente des informations. En France d'ailleurs le lobying des grands groupes sur le sujet est très faible. Aux Etats-Unis depuis 1997 les mouvements sont en revanche très forts. Il y a eu un front de revolte des associations de propriété intellectuelle notamment. En fait dans l'avenir vous ne devenez plus informé d'un nouvel élément sur un site mais propriétaire d'une licence pour s'informer. Stratégié de l'article 2B.Qualification et traçabitlité des gens A revoir

Finalement l'année 2001 ne va pas être vraiment excitante et peu innovante ?
Il est clair que l'année va être plutôt morose. Cette année les groupes vont en fait consolider une première génération d'usage de l'Internet et il va falloir préparer la deuxième génération qui sera basée sur le haut-débit. C'est une année de rationalisation et Il y a aura par essence beaucoup de casse. Les plus à plaindre son certainement les équipementiers sur qui reposent les plus grandes incertitudes. Au point de vue financier on assistera certainement à des transactions très survalorisées et uniquement destinées à prendre des positions finalement très précaires. Tiscali/Liberty Surf est d'ailleurs à mon sens un bon résumé de ce qui va se passer cette année. L'année ne sera pas très gaie et peu euphorique mais saine. Notamment donc les start-up qui vont vivre en accéléré ce qu'une industrie traditionnelle vit en dix ans notamment en matière de managment.

Qu'est ce que vous aimez sur Internet?
Google, pour sa qualité et l'innovation..

Et qu'est ce que vous n'aimez pas ?
Le manque d'ergonomie sur la plupart des sites et surtout qu'un média interactif n'en soit pas un. En résumé, la "pensée télévision" appliquée à l'Internet.

 
Propos recueillis par Jérôme Batteau

PARCOURS
 

Philippe Baumard, 34 ans, est agrégé des Facultés en Sciences de Gestion et titulaire d'un doctorat en science de gestion de l'Université de Paris-Dauphine. Il est actuellement directeur du DEA Sciences de Gestion de l'IAE d'Aix en Provence.


   
 
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