INTERVIEW
 
Directeur marketing
Sony Ericsson France
Bruno Morel
"L'Europe reste le marché stratégique du mobile"

En avril 2001, deux poids lourds de l'industrie électronique et des télécoms annonçaient la création d'un joint-venture sur le marché de la téléphonie mobile. D'un côté de la table le Japonais Sony, de l'autre le Suédois Ericsson. Objectif de la manoeuvre : permettre aux deux groupes d'atteindre la taille critique sur le marché du mobile en se hissant parmi les cinq plus gros constructeurs mondiaux. Le joint-venture Sony Ericsson, dont le siège est installé à Londres, compte 4 000 salariés et assure une production d'environ 2 millions de terminaux par mois. Après une année 2002 tendue, le constructeur mise sur le développement des services mobiles multimédias pour repartir à la conquête des parts de marché. Explications avec Bruno Morel, directeur marketing de Sony Ericsson France.

17 décembre 2002
 
          

JDNet. Quel est aujourd'hui le poids de Sony Ericcson sur le marché du mobile ?
Bruno Morel. Au niveau mondial, notre part de marché est d'environ 5 % avec un volume de ventes de 11 millions de terminaux sur le premier semestre 2002. En France, où nous nous appuyons sur une structure de 25 personnes, nous captons 8 % du marché des téléphones mobiles.

Comment sont orchestrés les développements et les nouvelles applications mobiles dans la structure Sony Ericsson ?

Notre programme de développement s'appuie sur un plan baptisé MIBN pour Mobile Integration Business Model. Nous y gérons, au niveau mondial, toutes les innovations. Trois axes principaux y coexistent : l'entertainment, qui comprend notamment les sonneries et les jeux, les applications images, c'est-à-dire la transmission de photos, et la connectivité Bluetooth, pour permettre aux terminaux d'être reliés et de dialoguer avec leur environnement.

Quels sont les pays sur lesquels le groupe est le plus en pointe ou le plus vigilant en matière d'innovations ?
Sur le marché du mobile, le Japon est évidemment un pays précurseur notamment sur toutes les applications son et image. Mais c'est un marché très spécifique : une réussite sur le Japon ne garantit en rien un succès à l'international. Pour nous, la zone européenne reste le marché le plus stratégique. C'est une zone très structurée, avec des opérateurs forts et des régulateurs, qui dispose d'un potentiel de développement encore important. Concernant les Etats-Unis, nous sommes en revanche sur un marché très éclaté où les SMS viennent tout juste d'être lancés.

Après le succès de la génération GSM, la téléphonie mobile européenne s'ouvre aux applications plus évoluées : i-mode, SMS surtaxés, MMS... Quels sont les enjeux de cette nouvelle étape ?
Le marché européen du mobile a changé de courbure dans son évolution : la phase de conquête des nouveaux abonnés s'essouffle. Nous entrons désormais, pour les constructeurs et les équipementiers, dans une phase de renouvellement et, pour les opérateurs, dans une phase de développement des revenus.

Comment négocier ces nouvelles phases ?
Avec les nouvelles applications mobiles, l'idée est d'assurer une rotation sur le parc des terminaux et, pour les opérateurs, de tirer l'ARPU (Ndlr : Average Revenue Per User, revenu moyen par abonné) afin d'assurer une progression du chiffre d'affaires. La consommation téléphonique standard, c'est-à-dire la voix, ne peut être une source de croissance permanente tant sur le plan technologique que sur le plan financier, à moins d'augmenter sans cesse le prix des forfaits. En revanche, les nouvelles applications créent des usages et des besoins additifs, donc des revenus supplémentaires. Au Japon, les opérateurs ont par exemple vu leur ARPU augmenter d'un tiers avec le développement des MMS.

Mais avec le Wap, les opérateurs européens avaient déjà mené une première tentative dans ce sens qui s'est transformée en échec...
C'est vrai, mais le Wap a concentré plusieurs erreurs fatales : la chaîne de valeurs constructeurs-opérateurs-éditeurs n'était pas en place et la communication opérée sur ce nouveau support a dérivé dans des excès "technoïdes". La nouvelle génération de services qui arrive aujourd'hui a compris ces erreurs et privilégie une approche par les usages. Le SMS a été un merveilleux cas d'école pour comprendre cette logique commerciale en devenant, quasiment seul, un succès alors qu'il végétait depuis des années dans les terminaux. La transmission de photos, le chat mobile ou la réception des e-mails depuis un téléphone portable sont des fonctions très précises, délimitées, et qui répondent à une demande immédiate plutôt qu'à un scénario de développement hypothétique.

Pour devancer ces nouveaux usages, quelles pistes explorez-vous ?
Elles sont multiples, mais la plus immédiate est celle des terminaux équipés d'un appareil photo puis d'une caméra. Nous travaillons également, grâce à des accords avec Palm, sur la logique de rapprochement PDA-téléphone qui offre des perspectives intéressantes notamment dans l'univers professionnel. Avec l'appui de Sony, nous sommes très sensibles à la logique entertainment avec des terminaux capables de lire les fichiers MP3 ou de télécharger des jeux. Enfin, le dernier grand chantier concerne les débits avec le déploiement de terminaux 2,5G et 3G capables d'offrir des applications multimédias très pointues.

Cet éclectisme dans les applications traduit-il une nouvelle stratégie commerciale ?
Tout à fait : le marché sort peu à peu du terminal standard. Nous allons vers une segmentation des produits selon les attentes des consommateurs. Cela passe, par exemple, par des téléphones-consoles de jeu pour les jeunes et des téléphones-PDA tout-en-un pour les professionnels nomades.

Quelles sont vos relations avec les opérateurs sur ces développements ?
En France, nous travaillons avec les trois opérateurs présents. Nous ne voulons pas être labellisés par un opérateur en particulier. Pour les nouveaux développements, chaque opérateur établit son calendrier et ses priorités sur les lancements commerciaux de services qu'il souhaite opérer. A partir de ce moment-là, un dialogue se tisse entre l'opérateur et les constructeurs de terminaux mobiles pour arrêter un plan de marche en fonction, notamment, de la maturité de la technologie. Dans le cas des terminaux MMS, nous sommes par exemple sur un plan de marche qui s'établit sur une dizaine de mois de développement avant la commercialisation effective. Il s'agit d'une relation commerciale classique : l'opérateur a besoin des constructeurs pour proposer des terminaux compatibles à ses abonnés et les constructeurs ont besoin de l'opérateur pour écouler leur nouvelle production.

Mais ce sont les opérateurs qui fixent les prix de ces terminaux grâce aux packs et aux programmes de fidélisation par renouvellement...
Le "pricing" des opérateurs sur les terminaux dépend de leur propre volonté commerciale. En amont, nos négociations commerciales portent sur les volumes écoulés et sur la cadence de production nécessaire. En aval, les opérateurs choisissent, ou non, de mettre en oeuvre des tarifs agressifs en subventionnant plus ou moins les terminaux. Pour un même modèle de téléphone, les prix proposés en Europe peuvent varier du simple ou double selon l'opérateur.

Avec le développement des nouveaux services, n'envisagez-vous pas de prendre pied dans le domaine des contenus ?
Très clairement ce n'est pas notre métier, sauf au travers de partenariats notamment avec Sony Pictures et Sony Music Entertainment. Nous préférons nous concentrer sur la conception et la production de terminaux. Le mélange des genres, qui a été très à la mode entre 1998 et 2000, a ses propres limites. On ne peut pas être à la fois constructeur, opérateur et éditeur. Les opérateurs eux-mêmes l'ont compris en multipliant les partenariats.

 
Propos recueillis par Ludovic Desautez

PARCOURS
 

Bruno Morel, 39 ans, a suivi une maîtrise de droit des affaires et un 3ème cycle de gestion avant d'intégrer en 1989 Sony France. Il a occupé successivement la fonction d'attaché commercial puis de chef de produit pour le groupe autoradio avant de devenir directeur ventes enseignes nationales camescopes et appareils de photo numérique puis directeur commercial de la division Information Technology. Depuis avril 2002, il est directeur marketing de Sony Ericsson.


   
 
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