Depuis 1991,
Walter S. Mossberg anime la chronique hebdomadaire "Personal
Technology" du Wall Street Journal. D'une plume maline, et
parfois féroce, il y prend la défense des consommateurs
face à une industrie informatique qu'il estime trop technologique.
Outre-Atlantique, sa connaissance extrêmemement pointue
du "monde digital" lui confère un véritable
statut d'expert, aussi bien dans la presse qu'à la télévision.
Le magazine Time le considère d'ailleurs comme le journaliste
spécialisé dans l'informatique et l'Internet le
plus influent des Etats-Unis.
Propos recueillis par Ludovic Desautez le 14
juin 2000
.
JDNet.
Pendant de nombreuses années vous avez jugé l'univers
informatique trop éloigné des besoins réels
du grand public. L'Internet n'est-il pas sur le point de changer
la donne ?
Walter S. Mossberg. Au cours de ces dernières années,
l'informatique a beaucoup évolué. Nous étions
auparavant dans un univers régi par les informaticiens
et les ingénieurs, qui ne souciaient pas du tout des attentes
de l'utilisateur. Il n'y a pas si longtemps, il fallait encore
se mettre à quatre pattes sous le bureau pour trouver le
bouton qui permettait d'allumer l'ordinateur. L'informatique était
un monde de passionnés et de bricoleurs qui avaient presque
le culte de la panne ! Avec l'arrivée de l'Internet,
tout a changé très vite. Les ventes d'ordinateurs
ont explosé, le PC est devenu un produit de grande consommation.
Aujourd'hui, la simplification et l'ergonomie sont enfin des critères
incontournables pour les sociétés présentes
dans l'informatique et l'Internet.
Les
positions dominantes de certains acteurs, comme Microsoft, n'ont-elles
pas limité la prise en compte du client ?
Je connais Bill Gates depuis plus de vingt ans. Microsoft a développé
le même syndrome que les autres entreprises de l'informatique,
en ne se souciant pas, pendant trop longtemps, des besoins de
l'utilisateur. Comment se fait-il qu'un programme puisse vous
afficher "opération illégale" ? En
quoi la volonté de faire quelque chose avec son ordinateur
est-elle illégale ? N'est-ce plutôt pas le programme
qui est "illégal" par rapport à ses prétentions ?
Tout le problème est là...
Que
pensez-vous du procès Microsoft ?
Microsoft
paye non pas le prix du monopole mais celui de l'utilisation faite
de ce monopole. Je crois que l'entreprise récolte également
les fruits d'une certaine arrogance vis à vis de la concurrence
et des pouvoirs publics. Maintenant il n'est pas dit que la compétition
soit un terrain plus favorable à la prise en compte des
besoins du grand public. On le voit bien avec Linux, qui lui aussi
appartient à la sphère des informaticiens.
Cette
volonté de simplifier l'informatique et l'Internet n'est-elle
pas la mort annoncée du PC ?
Avec
l'apparition de l'Internet mobile et le développement du
média Web, nous allons tout droit vers une diversification
des terminaux. Le PC a un défaut majeur, il cherche à
tout faire à la fois : gérer ses e-mails, regarder
la télévision, écouter de la musique... Avec
la nouvelle génération de terminaux, nous allons
vers des fonctions dédiées, donc des appareils plus
ergonomiques. Le Set Top Box est un bon exemple : il permet de
faire de l'Internet sur la télévision sans pour
autant rendre plus complexe son fonctionnement. La grande révolution
de l'Internet est en fait de devenir un standard universel comme
l'électricité. Un jour nous écouterons la
radio, nous téléphonerons et nous regarderons la
télévision sans même savoir que tout cela
passe par l'Internet.
L'essor
de l'Internet mobile risque-t-il d'apporter un nouveau visage
au secteur de l'Internet ?
En
plus de la diversification des terminaux et des utilisations possibles,
l'Internet mobile va sûrement provoquer un réequilibrage
entre les acteurs américains, européens et japonais.
Aujourd'hui, l'Internet est clairement dominé par les Etats-Unis,
tant au niveau de la technologie que des contenus. Dans le domaine
du sans fil, les Européens et les Japonais vont preuve
d'une avance considérable. Et pour cause : les Etats-Unis
n'ont jamais réussi à développer une norme
nationale sur les téléphones portables. Les prochaines
années seront à ce titre très intéressantes.
Outre
l'ergonomie technologique, le contenu est devenu la nouvelle pierre
angulaire du Web. Qu'en pensez-vous ?
Tout
est à inventer au niveau du contenu. Aujourd'hui, sur le
Web, l'information se retrouve noyée, tronquée et
mélangée avec du marketing. Les sites doivent construire
des repères afin de s'imposer comme des références.
C'est un véritable enjeu de crédibilité.
A terme, il faut que l'internaute y voit plus clair. Tout comme
le lecteur français qui achète Le Monde s'attend
à un certain niveau de qualité. L'autre aspect est
lié à la personnalisation des services. Au niveau
marketing, cette personnalisation est un outil fabuleux. Par contre,
au niveau de l'information, la personnalisation comporte des risques
importants. Le savoir et la culture se nourissent dans la diversité
des sources et des thèmes. Or ne consommer qu'un type d'information,
c'est risquer de perdre toute la dynamique de l'actualité...
L'Internet
est intimement marié avec la nouvelle économie.
Quel regard portez-vous sur celle-ci ?
L'Internet
provoque un nouveau souffle dans l'économie américaine,
mais aussi européenne, d'une ampleur assez incroyable.
A tel point que la Réserve fédérale est obligée
de calmer le jeu. Cette ampleur est globalement en phase avec
l'énorme potentiel que représentent l'Internet et
ses applications. Je ne crois pas à une explosion en vol
de la machine. L'Internet est bien là. Et pour longtemps.
Par contre, au cas par cas, il y a clairement des excès
sur certaines valeurs Internet. Ces excès provoqueront
des corrections périodiques plus ou moins fortes, plus
ou moins rationnelles. Et c'est plutôt une chose normale
tant il est difficile de mesurer les impacts de l'Internet.
A 53 ans,
Walter S. Mossberg affiche une belle expérience dans l'univers
du journalisme. Diplômé de l'université de
Columbia, il commence sa carrière en 1970 au Wall Street
Journal où il couvrira pendant dix-huit ans l'actualité
nationale et internationale. A partir de 1989, il se spécialise
dans les secteurs technologiques et notamment l'informatique.
En plus de sa chronique "Personal Technology", il anime
une seconde rubrique, baptisée "Mossberg's Mailbox",
dans laquelle il répond aux questions des lecteurs sur
l'informatique et l'Internet. Co-éditeur du Wall Street
Journal Magazine of Personal Business, Walter S.Mossberg intervient
également à la télévision dans l'émission
hebdomadaire "Digital Duo" de CNBC Network.