JDNet.
Carrefour a mis du temps avant de venir sur le Web mais est
maintenant passé à la vitesse supérieure.
Pouvez-vous nous expliquer la stratégie globale de
la firme sur Internet?
Guy Paillaud.
Dire que Carrefour est parti en retard, je ne pense pas. Ce
sont plutôt les autres qui sont partis un peu trop tôt.
L'histoire est en train de nous prouver que cette stratégie
n'a pas toujours été la bonne. Je pense qu'aujourd'hui
les consommateurs sur le Net ne sont pas encore là.
Très peu de personnes sont équipées d'outils
internet performants et tant qu'on n'aura pas de l'ADSL rapide
avec des prix accessibles, le commerce sur Internet restera
limité. Aujourd'hui, les gens qui vont sur Internet,
c'est plutôt pour préparer l'avenir. Il faut
y aller doucement mais sûrement, et c'est la politique
de Carrefour de tester différents modèles et
c'est comme ça que nous avons commencé avec
Ooshop.
Vous faites très souvent référence à
l'expérience américaine. C'est un modèle
pour vous ?
Non, nous regardons ce qui se fait aux Etats-Unis et nous
ne sélectionnons que les sites les plus fréquentés :
les voyages, l'informatique... Nous ouvrons des sites qui
vont représenter la plus grande part de marché
de ce qui se fait aux Etats-Unis. Nous avons Ooshop pour l'alimentaire
et la boisson, Carrefour-Beauté pour la santé,
l'hygiène et la beauté, VeryWine pour le vin
et puis Carrefour-Jardin ; Meubles.com est en partenariat
tout comme le city-guide Webcity et deux autres sites seront
ouverts en 2001, sur le multimédia et les produits
culturels. Voilà, tout cela, c'est 75 % de ce
qui se fait sur Internet aux Etats-Unis. Cela nous permet
d'avoir une bonne base de test. Mais on ne copie pas le modèle
américain car ce n'est pas une réussite. Par
exemple, Webvan [un épicier en ligne, NDLR],
qui a fait des investissements considérables, s'est
planté. Avec Ooshop, on a joué plutôt
petit bras. En revanche, nous avons regardé ce que
les consommateurs américains demandaient sur Internet.
C'est ça qui est important mais nous n'avons pas copié
bêtement l'expérience américaine qui n'est
pas une réussite, encore une fois, sur les produits
physiques.
Est-ce
que le positionnement de Carrefour sur Internet est le même
que dans ses hypermarchés physiques ?
Aujourd'hui, sur Internet, on est sur une population différente
de celle des hypermarchés traditionnels. Tout le monde
n'a pas un accès haut débit et le positionnement
est 25-35 ans, CSP+, avec un ou deux enfants, ou alors ce
sont des jeunes qui n'ont pas encore l'âge d'avoir une
carte bleue. Nous sommes obligés d'adapter notre proposition
commerciale. Et cette proposition que nous faisons aujourd'hui
ne sera certainement pas celle que nous aurons dans cinq ou
six ans, une échéance où nous pensons
qu'Internet deviendra véritablement du "mass market".
C'est pour cela que ce n'est pas facile et c'est cela qui
fait la difficulté d'Internet aujourd'hui et qui oblige
Carrefour à s'adapter. Mais pour l'instant, nous ne
sommes pas pressés. Nous n'avons pas de contraintes
parce que nous dépensons de manière raisonnable.
Il n'y a pas d'urgence à développer le chiffre
d'affaires en investissant des millions de francs en communication.
Peut-on faire un premier bilan sur Carrefour-Jardin, ouvert
fin octobre ?
Ca se passe bien en matière de visites, même
si Carrefour ne donne pas de chiffres. Nous avons décidé
d'augmenter de manière considérable l'offre
de produits pour notre partie marchande, car c'est ce que
les personnes qui visitent le site veulent et il est nécessaire
d'étoffer ce secteur du site même si l'information
et le contenu éditorial restent très présent.
Mais nous maintenons la qualité, nous continuons à
sélectionner les références avec l'aide
de Jean-Pierre Coffe. Et nous nous préparons pour la
période du mois de mars, qui va être cruciale.
Et
pour Carrefour-Beauté ?
On a eu la même stratégie qu'Ooshop quand on
a ouvert. Dans un premier temps, on règle. Vous avez
vu que nous n'avons pas du tout fait de communication sur
Carrefour-Beauté et, en fait, on va démarrer
au mois de janvier parce que pour l'instant, on veut tout
mettre au point. Mais nous ne ferons pas de communication
inconsidérée. Si un site est bon, il n'y a pas
besoin de beaucoup communiquer. Il n'y a rien de plus frustrant
pour un consommateur que d'être déçu sur
Internet, parce qu'il n'a personne auprès de qui râler.
Vous n'avez pas le droit à l'erreur car l'erreur coûte
beaucoup plus cher que dans le monde réel. Il faut
encore relever la qualité. Cela prend du temps.
Comment
qualifiez-vous l'année 2000 pour le cybermarché
Ooshop, la marque phare de Carrefour sur Internet ?
Pour Ooshop, notre stratégie a été de
se développer doucement. Finalement, nous avons fait
un minimum de publicité et on se rend compte que ça
marche tout seul. Aujourd'hui, on aurait même plutôt
tendance à freiner nos ventes parce qu'on ne peut pas
toujours assurer les livraisons.
Quels
sont vos objectifs pour 2001, à présent que
vous vous êtes installés sur Internet ?
Notre objectif, c'est premièrement de répondre
aux aspirations des consommateurs sur Internet. Ensuite, c'est
d'ouvrir des sites et de valider leurs business modèles.
Nous espérons qu'Ooshop aura validé son business
modèle en 2001 et qu'il sera à l'équilibre
en 2002. Nous voulons également valider les business
modèles des autres sites courant 2001, c'est-à-dire
prouver que ces modèles là sont économiquement
viables. Tout dépend de la vitesse à laquelle
les consommateurs français vont se mettre sur Internet.
Aujourd'hui, toutes les conditions sont réunies pour
qu'Internet soit un échec : c'est cher, c'est
lent, ce n'est pas convivial et ça plante régulièrement.
C'est l'inverse du portable qui est un des plus grands succès
de ces dernières décennies. Mais Carrefour est
persuadé que c'est un nouveau format de distribution
qui est en train d'arriver. Le problème, c'est l'accès
convivial à Internet.
Justement,
pourquoi est-ce que Carrefour ne s'intéresse pas à
l'ADSL et ne devient pas un FAI ?
En mars, on avait décidé d'être fournisseur
d'accès gratuit à Internet. On est complètement
revenu en arrière au vu des résultats des principaux
FAI comme Wanadoo ou LibertySurf. Ces gens là perdent
au minimum une fois leur chiffre d'affaires quand on retire
tous les services qui ne sont pas de l'accès à
Internet. Donc nous n'avons pas compris le modèle économique
et c'est pour ça que nous avons décidé
de ne pas y aller. Pour l'instant, cette idée est totalement
abandonnée mais Carrefour pourra toujours revoir sa
stratégie si la situation change pour les FAI.
Il
est prévu de lancer une nouvelle version de Carrefour.fr,
pouvez-vous nous en dire plus ?
C'est simple, on veut que le site devienne
un véritable portail et que tout passe par-là.
Nous voulons mettre la quasi-totalité de notre communication
sur un seul média qui sera le nouveau site Carrefour.fr
dont le lancement est prévu pour le 15 janvier 2001.
Ce sera la clé de voûte de l'ensemble de nos
sites et le point central de notre communication.
Le
site Picard a été retiré du portail Carrefour.fr,
c'est un signe ?
Le site est actuellement en stand-by... Je ne peux rien dire
de plus.
Pouvez-vous
nous parler d'@Carrefour, la section Internet que vous dirigez?
Actuellement, @Carrefour, c'est 250 personnes, y compris le
cybermarché. Notre stratégie est extrêmement
ambitieuse. Si on atteint 10 % du chiffre d'affaires
total de Carrefour (un peu plus de 200 milliards de francs),
alors @Carrefour, ce sera à peu près 20 milliards
de francs de CA. L'objectif de Carrefour sur Internet est
de faire mieux que sa part de marché actuelle. Mais
on ne peut pas dire quand @Carrefour fera 20 milliards...
Ce sera peut-être dans dix ans. Les hard discounters
ont mis quinze ans pour prendre leurs parts de marché,
ce sera peut-être la même chose pour nous avec
Internet. Actuellement, le chiffre d'affaires d'@Carrefour,
c'est un peu plus que les 200 millions de francs annoncés
pour Ooshop.
Quels
sont les projets à l'étranger ?
Nous n'irons à l'étranger que lorsque nos business
modèles seront validés en France. Ca ne veut
pas dire que nous gagnerons de l'argent mais que notre chaîne
de valeur, hors coût de développement et hors
surcoût de siège, prouve que nous sommes rentables.
La France est une base expérimentale. Après,
ça peut aller très vite. Dès aujourd'hui,
nous préparons des équipes pour partir en Espagne.
Elles travaillent avec nous et dès que nous serons
prêts, elles passeront à l'action. Les deux grands
pays en Europe que nous avons dans nos projets, c'est l'Espagne
et l'Italie. On démarrerait par un équivalent
d'Ooshop et puis après on ferait des choix en fonction
dont les internautes réagissent.
Qu'est-ce
que vous aimez le plus sur Internet ?
J'aime le choix que l'on peut trouver sur certains sites.
Cette idée qu'il y a de très nombreuses références
et que nous ne sommes pas limités par des détails
que l'on rencontrerait dans des magasins physiques. Ce que
j'aime aussi, ce sont les sites qui proposent des services
pratiques qui nous facilitent la vie.
A
contrario, que détestez-vous sur Internet ?
C'est ce que je n'arrête pas de souligner, c'est le
problème de la convivialité : la lenteur de
la connexion quand on n'a pas l'ADSL, les coûts de connexion
qui sont en moyenne de 450 francs par mois si on veut avoir
quelque chose de relativement rapide et puis tous les problèmes
techniques.
Est-ce
que vous avez déjà acheté sur Internet ?
Bien-sûr, chez @Carrefour, nous sommes tous des consommateurs
sur le Web. Je fais bien entendu mes courses sur Internet
mais j'achète aussi des disques, des DVD, des livres.
J'ai même acheté des outils pour le bricolage.
Quels
sont vos sites préférés ?
Sur Internet, ce qui est primordial, c'est
l'information. Je vais très souvent sur des sites pour
y trouver l'actualité et être au courant de ce
qui se passe autour de nous. Je surveille de très près
les mouvements en Bourse. Mes sites préférés
sont donc des sites d'information boursière et financière,
mais je ne vous citerai pas de noms, je ne voudrais pas leur
faire de la publicité.
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