INTERVIEW
 
General Manager de @Carrefour
Carrefour
Guy Paillaud
"Titre"

Après une année 2000 placée sous le signe des premiers pas sur Internet, Guy Paillaud fait le point sur la stratégie en ligne de Carrefour. Objectif 2001 pour le numéro un de la distribution : valider les business-modèles de ses sites et ouvrir le 15 janvier le portail carrefour.fr. Il dirige la division @Carrefour du groupe et a en charge la stratégie Internet de la firme. Il discute des principales orientations de Carrefour sur Internet en présence de Hervé Defforey, directeur Finance et Gestion du groupe.

Le siège d'@Carrefour est situé à Boulogne-Billancourt. Mis à part Ooshop, tous les sites y sont rassemblés. 120 personnes y travaillent dans des locaux en open space aux couleurs vives.

20 décembre 2000
 
          

JDNet. Carrefour a mis du temps avant de venir sur le Web mais est maintenant passé à la vitesse supérieure. Pouvez-vous nous expliquer la stratégie globale de la firme sur Internet?
Guy Paillaud. Dire que Carrefour est parti en retard, je ne pense pas. Ce sont plutôt les autres qui sont partis un peu trop tôt. L'histoire est en train de nous prouver que cette stratégie n'a pas toujours été la bonne. Je pense qu'aujourd'hui les consommateurs sur le Net ne sont pas encore là. Très peu de personnes sont équipées d'outils internet performants et tant qu'on n'aura pas de l'ADSL rapide avec des prix accessibles, le commerce sur Internet restera limité. Aujourd'hui, les gens qui vont sur Internet, c'est plutôt pour préparer l'avenir. Il faut y aller doucement mais sûrement, et c'est la politique de Carrefour de tester différents modèles et c'est comme ça que nous avons commencé avec Ooshop.

Vous faites très souvent référence à l'expérience américaine. C'est un modèle pour vous ?

Non, nous regardons ce qui se fait aux Etats-Unis et nous ne sélectionnons que les sites les plus fréquentés : les voyages, l'informatique... Nous ouvrons des sites qui vont représenter la plus grande part de marché de ce qui se fait aux Etats-Unis. Nous avons Ooshop pour l'alimentaire et la boisson, Carrefour-Beauté pour la santé, l'hygiène et la beauté, VeryWine pour le vin et puis Carrefour-Jardin ; Meubles.com est en partenariat tout comme le city-guide Webcity et deux autres sites seront ouverts en 2001, sur le multimédia et les produits culturels. Voilà, tout cela, c'est 75 % de ce qui se fait sur Internet aux Etats-Unis. Cela nous permet d'avoir une bonne base de test. Mais on ne copie pas le modèle américain car ce n'est pas une réussite. Par exemple, Webvan [un épicier en ligne, NDLR], qui a fait des investissements considérables, s'est planté. Avec Ooshop, on a joué plutôt petit bras. En revanche, nous avons regardé ce que les consommateurs américains demandaient sur Internet. C'est ça qui est important mais nous n'avons pas copié bêtement l'expérience américaine qui n'est pas une réussite, encore une fois, sur les produits physiques.

Est-ce que le positionnement de Carrefour sur Internet est le même que dans ses hypermarchés physiques ?
Aujourd'hui, sur Internet, on est sur une population différente de celle des hypermarchés traditionnels. Tout le monde n'a pas un accès haut débit et le positionnement est 25-35 ans, CSP+, avec un ou deux enfants, ou alors ce sont des jeunes qui n'ont pas encore l'âge d'avoir une carte bleue. Nous sommes obligés d'adapter notre proposition commerciale. Et cette proposition que nous faisons aujourd'hui ne sera certainement pas celle que nous aurons dans cinq ou six ans, une échéance où nous pensons qu'Internet deviendra véritablement du "mass market". C'est pour cela que ce n'est pas facile et c'est cela qui fait la difficulté d'Internet aujourd'hui et qui oblige Carrefour à s'adapter. Mais pour l'instant, nous ne sommes pas pressés. Nous n'avons pas de contraintes parce que nous dépensons de manière raisonnable. Il n'y a pas d'urgence à développer le chiffre d'affaires en investissant des millions de francs en communication.

Peut-on faire un premier bilan sur Carrefour-Jardin, ouvert fin octobre ?

Ca se passe bien en matière de visites, même si Carrefour ne donne pas de chiffres. Nous avons décidé d'augmenter de manière considérable l'offre de produits pour notre partie marchande, car c'est ce que les personnes qui visitent le site veulent et il est nécessaire d'étoffer ce secteur du site même si l'information et le contenu éditorial restent très présent. Mais nous maintenons la qualité, nous continuons à sélectionner les références avec l'aide de Jean-Pierre Coffe. Et nous nous préparons pour la période du mois de mars, qui va être cruciale.

Et pour Carrefour-Beauté ?
On a eu la même stratégie qu'Ooshop quand on a ouvert. Dans un premier temps, on règle. Vous avez vu que nous n'avons pas du tout fait de communication sur Carrefour-Beauté et, en fait, on va démarrer au mois de janvier parce que pour l'instant, on veut tout mettre au point. Mais nous ne ferons pas de communication inconsidérée. Si un site est bon, il n'y a pas besoin de beaucoup communiquer. Il n'y a rien de plus frustrant pour un consommateur que d'être déçu sur Internet, parce qu'il n'a personne auprès de qui râler. Vous n'avez pas le droit à l'erreur car l'erreur coûte beaucoup plus cher que dans le monde réel. Il faut encore relever la qualité. Cela prend du temps.

Comment qualifiez-vous l'année 2000 pour le cybermarché Ooshop, la marque phare de Carrefour sur Internet ?
Pour Ooshop, notre stratégie a été de se développer doucement. Finalement, nous avons fait un minimum de publicité et on se rend compte que ça marche tout seul. Aujourd'hui, on aurait même plutôt tendance à freiner nos ventes parce qu'on ne peut pas toujours assurer les livraisons.

Quels sont vos objectifs pour 2001, à présent que vous vous êtes installés sur Internet ?
Notre objectif, c'est premièrement de répondre aux aspirations des consommateurs sur Internet. Ensuite, c'est d'ouvrir des sites et de valider leurs business modèles. Nous espérons qu'Ooshop aura validé son business modèle en 2001 et qu'il sera à l'équilibre en 2002. Nous voulons également valider les business modèles des autres sites courant 2001, c'est-à-dire prouver que ces modèles là sont économiquement viables. Tout dépend de la vitesse à laquelle les consommateurs français vont se mettre sur Internet. Aujourd'hui, toutes les conditions sont réunies pour qu'Internet soit un échec : c'est cher, c'est lent, ce n'est pas convivial et ça plante régulièrement. C'est l'inverse du portable qui est un des plus grands succès de ces dernières décennies. Mais Carrefour est persuadé que c'est un nouveau format de distribution qui est en train d'arriver. Le problème, c'est l'accès convivial à Internet.

Justement, pourquoi est-ce que Carrefour ne s'intéresse pas à l'ADSL et ne devient pas un FAI ?
En mars, on avait décidé d'être fournisseur d'accès gratuit à Internet. On est complètement revenu en arrière au vu des résultats des principaux FAI comme Wanadoo ou LibertySurf. Ces gens là perdent au minimum une fois leur chiffre d'affaires quand on retire tous les services qui ne sont pas de l'accès à Internet. Donc nous n'avons pas compris le modèle économique et c'est pour ça que nous avons décidé de ne pas y aller. Pour l'instant, cette idée est totalement abandonnée mais Carrefour pourra toujours revoir sa stratégie si la situation change pour les FAI.

Il est prévu de lancer une nouvelle version de Carrefour.fr, pouvez-vous nous en dire plus ?
C'est simple, on veut que le site devienne un véritable portail et que tout passe par-là. Nous voulons mettre la quasi-totalité de notre communication sur un seul média qui sera le nouveau site Carrefour.fr dont le lancement est prévu pour le 15 janvier 2001. Ce sera la clé de voûte de l'ensemble de nos sites et le point central de notre communication.

Le site Picard a été retiré du portail Carrefour.fr, c'est un signe ?
Le site est actuellement en stand-by... Je ne peux rien dire de plus.

Pouvez-vous nous parler d'@Carrefour, la section Internet que vous dirigez?
Actuellement, @Carrefour, c'est 250 personnes, y compris le cybermarché. Notre stratégie est extrêmement ambitieuse. Si on atteint 10 % du chiffre d'affaires total de Carrefour (un peu plus de 200 milliards de francs), alors @Carrefour, ce sera à peu près 20 milliards de francs de CA. L'objectif de Carrefour sur Internet est de faire mieux que sa part de marché actuelle. Mais on ne peut pas dire quand @Carrefour fera 20 milliards... Ce sera peut-être dans dix ans. Les hard discounters ont mis quinze ans pour prendre leurs parts de marché, ce sera peut-être la même chose pour nous avec Internet. Actuellement, le chiffre d'affaires d'@Carrefour, c'est un peu plus que les 200 millions de francs annoncés pour Ooshop.

Quels sont les projets à l'étranger ?
Nous n'irons à l'étranger que lorsque nos business modèles seront validés en France. Ca ne veut pas dire que nous gagnerons de l'argent mais que notre chaîne de valeur, hors coût de développement et hors surcoût de siège, prouve que nous sommes rentables. La France est une base expérimentale. Après, ça peut aller très vite. Dès aujourd'hui, nous préparons des équipes pour partir en Espagne. Elles travaillent avec nous et dès que nous serons prêts, elles passeront à l'action. Les deux grands pays en Europe que nous avons dans nos projets, c'est l'Espagne et l'Italie. On démarrerait par un équivalent d'Ooshop et puis après on ferait des choix en fonction dont les internautes réagissent.

Qu'est-ce que vous aimez le plus sur Internet ?
J'aime le choix que l'on peut trouver sur certains sites. Cette idée qu'il y a de très nombreuses références et que nous ne sommes pas limités par des détails que l'on rencontrerait dans des magasins physiques. Ce que j'aime aussi, ce sont les sites qui proposent des services pratiques qui nous facilitent la vie.

A contrario, que détestez-vous sur Internet ?
C'est ce que je n'arrête pas de souligner, c'est le problème de la convivialité : la lenteur de la connexion quand on n'a pas l'ADSL, les coûts de connexion qui sont en moyenne de 450 francs par mois si on veut avoir quelque chose de relativement rapide et puis tous les problèmes techniques.

Est-ce que vous avez déjà acheté sur Internet ?
Bien-sûr, chez @Carrefour, nous sommes tous des consommateurs sur le Web. Je fais bien entendu mes courses sur Internet mais j'achète aussi des disques, des DVD, des livres. J'ai même acheté des outils pour le bricolage.

Quels sont vos sites préférés ?
Sur Internet, ce qui est primordial, c'est l'information. Je vais très souvent sur des sites pour y trouver l'actualité et être au courant de ce qui se passe autour de nous. Je surveille de très près les mouvements en Bourse. Mes sites préférés sont donc des sites d'information boursière et financière, mais je ne vous citerai pas de noms, je ne voudrais pas leur faire de la publicité.

 
Propos recueillis par Florence Santrot

PARCOURS
 
Guy Paillaud, 44 ans, a fait MSG Dauphine, est diplômé expert-comptable et a fait le CPA (Centre de préparations aux affaires). Il a commencé sa carrière chez KPMG France puis chez DHS aux USA. Il a ensuite rejoint le groupe Promodès et a travaillé 12 ans dans le groupe où il a occupé successivement différents postes : Directeur audit interne, Directeur contrôle de gestion puis Directeur financier adjoint et Directeur des activités Internet où il a initié l'expérience Ooshop en tant que gérant fondateur. Après la fusion de Promodès avec Carrefour, Guy Paillaud a été nommé le 1er novembre 2000 Directeur des activités Internet de l'enseigne et a pris la tête de @Carrefour.

   
 
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