Christian
Paul, maire de Lormes dans la Nièvre, conseiller général
et député, s'est vu confier par le Lionel Jospin
une mission d'étude sur l'opportunité de mise en
place d'une structure de corégulation pour Internet. Il
devrait remettre dans quelques jours son rapport au Premier ministre,
mais il nous livre déjà sa vision de l'Internet
et l'intérêt, selon lui, de la création de
cet organisme.
Propos recueillis par Fabien Claire
le 10 mai 2000
.
JDNet.
Le Premier ministre vous a confié une mission d'importance
liée à l'Internet, vous avez organisé un
colloque à l'Assemblée. Quelle est l'origine de
votre Intérêt pour le réseau ?
Christian Paul: J'ai eu l'intuition, il y a déjà
trois ou quatre ans, que nous étions à la veille
d'une mutation considérable, un phénomène
qui aurait un impact très fort sur notre société.
Internet n'est pas simplement un média, derrière
Internet il y a le passage à la société de
l'information dont Internet est l'expression la plus forte. C'est
un lieu d'échange, de débat démocratique,
de production culturelle, de transmission du savoir et de commerce.
J'ai donc travaillé pour chercher à comprendre comment
tout cela ce déployait. Nous ne sommes encore qu'une poignée
à l'Assemblée et au Sénat à être
très engagés dans ce débat mais cela évolue.
Concernant
le projet de création d'un organe de corégulation pour
Internet, qu'est-ce qui distinguerait cette institution d'une
autorité de type CSA?
Le gouvernement a clairement rejeté l'idée de créer
un gendarme de l'Internet. Il n'y a véritablement besoin
ni d'un cyber-droit, ni d'un cyber-gendarme. Je crois d'abord
dans l'adaptation des institutions démocratiques à
l'Internet. Le Parlement, l'autorité judiciaire, la police
font leurs métiers sur l'Internet comme ailleurs. En revanche,
nous avons besoin de règles et de limites sans lesquelles
il n'y a pas de liberté. Ces limites peuvent être
initiées dans le cadre d'autres formes de régulation
qui relèvent plus de l'autorégulation.
Faut-il
alors voir ce futur organe comme une sorte de tribune de discussion ?
Il y aura cet aspect là bien sûr mais aussi un rôle
de recommandation aux pouvoirs publics comme au secteur privé.
Ce doit-être également un lieu de vigilance et d'alerte
des pouvoirs publics. Je ne peux pas être plus précis
avant la remise de ce rapport mais celui-ci sera présenté
au public dans quelques semaines.
Pourquoi
créer une entité supplémentaire et pas simplement
un groupe de travail ou une commission au sein de l'Assemblée
?
Il faut de la permanence dans tout cela. On est dans un monde
qui bouge continuellement et les problèmes naissent tous
les jours, même s'ils ne sont pas tous d'une grande gravité.
Nous avons donc besoin d'une structure permanente et pas seulement
de commissions ou de groupes de travail créés au
fil de l'eau. Si on prend l'exemple récent de la réforme
des ventes aux enchères, dans le cadre de laquelle l'assemblée
a décidé d'étendre l'application de la loi
aux enchères en ligne, on était tout de même
mal parti. Un organisme comme celui dont nous parlons aurait,
trois ou six mois plus tôt, attiré l'attention du
législateur qui était en train de faire une loi
sur les enchères publiques sans prendre en compte les enchères
en ligne. La question n'a été abordée qu'en
première lecture au Sénat, en laissant le gouvernement
sans voix et un peu désemparé. Il a donc fallu mettre
en place dans l'urgence une mission avec des inspecteurs généraux
pour envisager la problématique. On s'en est tiré
parce que c'était un sujet limité. On aurait pu
avoir à l'arrivée un texte moins pertinent. Cette
institution doit permettre une réflexion sereine et posée.
La
concertation et la corégulation ont-elles encore un sens
à l'échelle franco-française ?
Il ne s'agit pas de créer un machin hexagonal. Cette organisation
devra être un être un instrument de vigilance européenne
et internationale. Si on veut faire avancer l'idée d'une
autorégulation Internationale de l'Internet, il est important
que la position française d'Internet soit claire, précise
et organisée. On imagine très bien un réseau
entre les différentes organisations de corégulation
poursuivant les mêmes buts dans chaque pays d'Europe. Bruxelles
est d'ailleurs très intéressé par cette perspective.
A
propos des enchères en ligne, la récente condamnation
de n@rt en application d'un texte ancien n'illustre-t-elle pas
le risque de décalage entre l'interprétation du
droit positif dans la jurisprudence et les réformes législatives
en cours, nées la réflexion de cette organisation
mais non encore applicables?
Je ne connais pas précisement la motivation de la décision
rendue contre n@rt, mais elle n'est pas rendue en application
de la nouvelle loi, qui doit prochainement passer en troisième
lecture à l'Assemblée. C'est pour cela que les gouvernements
successifs doivent impérativement prendre conscience du
besoin d'adaptation de notre droit. Si les gouvernements ne réagissent
pas assez vite, c'est à cet organe de tirer la sonnette
d'alarme en sensibilisant le gouvernement sur la nécessité
d'adaptation d'un droit ancien. Il faut améliorer la loi
qui n'est pas faite pour l'éternité. Concernant
le problème du temps nécessaire à la production
de la loi, la difficulté n'est pas propre à l'Internet.
Elle existe également pour la bioéthique par exemple.
L'Internet simplement va encore plus vite et il est vrai que l'on
a parfois l'impression que le temps de l'Internet et le temps
législatif sont en décalage. Il faut donc trouver
des formes de régulation autres que la loi. Je pense par
exemple aux codes de bonne conduite ou aux labels.
Quels
sont pour vous les principaux chantiers législatifs liés
à l'Internet ?
On vient d'achever le chantier lié à la signature
électronique. On a traité la question de la responsabilité
des intermédiaires électroniques. On traite actuellement
la question des enchères électronique. On abordera
prochainement la protection des données personnelles, autour
de l'évolution de la loi Informatique et liberté.
Nous traiterons rapidement de l'adaptation de la directive européenne
sur le commerce électronique. Les problèmes liés
aux droits d'auteur ou à la législation fiscale,
le droit des campagnes électorales devront être revus.
Il ne faut pas forcément de révolution juridique,
mais une adaptation pragmatique et accélérée
du droit.
Quels
sont pour vous les autres enjeux de l'Internet dans les mois à
venir ?
Un autre thème auquel je suis très attaché
est l'accès à l'Internet pour tous. Il existe une
vraie barrière psychologique invisible pour le premier
accès au réseau. Il faut pour un engagement politique
fort avec une accélération de l'équipement
des écoles et un soutien plus fort à l'implantation
des télécommunications à haut débit.
Le dégroupage de la boucle locale doit par exemple permettre
une ouverture du marché, sans pour autant dépouiller
ou spolier France Télécom à cette occasion.
Il faudra donc vraisemblablement des contreparties de différentes
natures à l'occasion de cette ouverture de cette boucle
locale. Les évolutions technologiques que sont l'ADSL ou
la boucle locale radio doivent être amplifiés pour
une bonne couverture du territoire. J'ai également proposé
au gouvernement de créer des passeports Internet pour tous.
Il s'agirait de donner à chaque français qui le
souhaite l'accès à un crédit d'heure de formation
pour permettre, via des plateformes de formation, d'avoir accès
gratuitement à une formation initiale sur le réseau.
Dans les mois qui viennent, des décisions fortes en ce
sens devraient intervenir.
Quels sont les sites que vous utilisez personnellement ?
Je ne vous parlerai pas du site de l'Assemblée
nationale. J'utilise souvent en ce moment le site de l'Internet
Nouvelle Génération (la Fing),
qui est un observatoire des nouveaux usages de l'Internet. Je
visite de temps en temps le site de Joël de Rosnay à
la
Villette, ou le remarquable site de la Cnil.
J'aime bien aussi le site du Parc
régional du Morvan et le site Les
petits cailloux, un mix de science politique et de contenu
pour les enfants. J'accompagne aussi ma fille de 8 ans sur Kazibao.