INTERVIEW
 
Europe B2B Supply Chain
Cap Gemini Ernst & Young
Jean-Manuel Bullukian et André Cichowlas
"Les places de marché doivent désormais aller plus en profondeur dans l'entreprise"
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Très médiatisées en 2000 et début 2001, les places de marché sont aujourd'hui beaucoup moins sur le devant de la scène. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles : pour Jean-Manuel Bullukian, président B2B Europe chez Cap Gemini Ernst & Young (CGEY), et André Cichowlas, directeur exécutif adjoint des services technologiques de CGEY France, c'est le signe qu'elles se sont mises réellement au travail. Reste que le chemin vers la maturité est encore long et que le travail de fond de transformation des entreprises n'en est qu'à ses débuts. Mais à leurs yeux, c'est un mouvement irréversible.
12 février 2003
 
          
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JDNet. La création des places de marché électroniques était présentée en 2000 comme une promesse de révolution industrielle. Aujourd'hui, cela ressemble plutôt à un échec...
Jean-Manuel Bullukian (JMB). En fait, il faut revenir aux origines des places de marché électroniques, aux motivations qui ont déterminé leur création. De là sont nés quatre types de places de marché. Il y a tout d'abord eu celles avec une vraie vision, la volonté de transformer l'industrie; c'est par exemple le cas de la place de marché automobile Covisint. Un deuxième facteur, bien plus répandu qu'on ne le croit, était un objectif bassement mercantile. La troisième catégorie, ce sont les places de marché créées "en réaction contre" : la motivation est là défensive. OFS Portal a par exemple été créée en réaction contre TradeRanger [deux places de marché de l'industrie pétrolière, ndlr]. Enfin, il y a les places de marché créées dans un objectif d'amélioration d'efficience, de réduction de coûts essentiellement. C'est le cas de Eutilia, avec la décision de mettre en commun les processus d'achat. Covisint s'est aussi tournée vers ça très rapidement. Naturellement, celles qui marchent le mieux aujourd'hui, et qui ont le plus de chance de survivre, sont la première et la dernière catégorie.

Quelles grandes difficultés rencontrées par les places de marché font que la révolution annoncée n'a toujours pas eu lieu ?
André Cichowlas (AC). Les gens se sont rendus assez vite compte que ce serait plus long et plus compliqué que prévu à l'origine. De nombreux facteurs n'avaient pas été bien analysés. Tout d'abord, les progiciels utilisés n'étaient pas capables de tout faire, contrairement à ce qu'on avait cru à l'origine. Deuxièmement, la connexion entre les différents progiciels n'est pas simple et, enfin, la technologie n'était pas toujours mature. Pour faire par exemple du collaborative design de manière efficace, il faudra encore attendre quelques années. Du côté des équipes, il y a eu également quelques déconvenues. Au départ, les places de marché étaient bien souvent dirigées par d'anciens banquiers, des consultants ou des gens issus de la technologie alors qu'il aurait fallu des personnes avec de fortes connaissances du métier (liens étroits avec les fournisseurs, bonne connaissance des process, etc.). Et ces dirigeants n'avaient pas non plus conscience qu'il était nécessaire de former des équipes chez les clients, que des catalogues électroniques devaient être faits et maintenus à jour et enfin que l'ensemble de l'informatiques devait être reliée avec le système financier, etc.
JMB. L'idée aussi que tout le monde allait adopter les places de marché était erronée. La nature humaine est réticente aux changements. Bien souvent, si les pilotes ont fonctionné parce qu'ils étaient réalisés par des personnes moitivées, la mise en oeuvre sur une plus large échelle a coincé.

Quelles sont alors les places de marché qui ont les moyens de résister ?
JMB. Celles qui sont à la fois suffisamment patientes pour attendre la transformation interne des entreprises et qui ont le financement. Tout le monde a été aveuglé par les nouvelles perspectives technologiques, par la croissance de la Bourse et par l'accès facile aux capitaux. D'autres ont pris plus de recul. Covisint, par exemple, s'est immédiatement donné dix ans pour réduire le temps de création d'une voiture de trois à dix mois. C'est une stratégie réaliste et aujourd'hui, Covisint existe encore alors que les autres ont disparu depuis longtemps. Globalement, il faut une vraie vision, une vraie valeur ajoutée et bénéficier de soutiens puissants.
AC. Il y a aussi le cas de petites places de marché qui s'en sortent très bien. On peut par exemple citer BravoSolution, place de marché BTP de l'italien Italcimenti. Plus qu'une place de marché, c'est surtout une centrale d'achat. BravoSolution est constituée principalement d'acheteurs qui aident les entreprises à trouver de nouvelles sources de fournisseurs. Cette place de marché, rentable, a su trouver une vraie valeur ajoutée à apporter aux entreprises, tout en n'impactant pas profondément leur fonctionnement. D'où un développement rapide et un point d'équilibre atteint facilement.

Quels sont les nouveaux enjeux aujourd'hui ?
AC.
Aujourd'hui, après avoir défini la bonne vision stratégique, maîtrisé la technologie et constitué une équipe de professionnels du secteur, le nouvel enjeu est de passer de l'étape du pilote à plusieurs milliers de transactions. Cela signifie aussi aller plus en profondeur dans l'entreprise. Jusqu'à présent, la place de marché était souvent une belle vitrine, maintenant il faut dépasser ce stade pour que l'expérience touche l'ensemble des secteurs de l'entreprise. Et il ne faut pas perdre de vue que, au-delà de l'effet prix annoncé, des gains directs, il y a surtout une croissance du business à espérer. Certains fournisseurs qui ont opté très tôt pour une présence sur les places de marché électronique ont vu leur chiffre d'affaires progresser de 10 à 15 % en deux ans !

Quels sont les principaux gisements de gains possibles via les places de marché ?
JMB. Dans les achats, il ne faut pas perdre de vue que le moteur du e-procurement, c'est le sourcing. Il faut proposer les deux ensembles pour avoir une offre cohérente. L'idée du SRM (Supply Relationship Management) est également intéressante. Cela repose sur l'idée de co-développer ou de co-transporter des services ou des produits en collaboration avec les fournisseurs. C'est un modèle gagnant-gagnant. TradeRanger est sur ce modèle. Des gains sont aussi à espérer du côté de la recherche et développement (design collaboratif, etc.). Les grands secteurs industriels se penchent sur le sujet actuellement. D'une manière plus globale, les places de marché consacrées à des services dématérialisés et au hors produits sont celles qui décolleront le plus vite. Pour les autres, la négociation du prix n'est pas la seule variable, la question de la qualité entre en ligne de compte. Et l'évaluation de ce critère sur une place de marché n'est pas encore réaliste.
AC. Le principal gain à attendre se situera au niveau des échanges de données. Le grand challenge est le partage de data entre les fournisseurs, les producteurs et les distributeurs. Pour cela, il faut que les standards soient les mêmes et donc que les sociétés modifient en profondeur l'ensemble de leurs systèmes d'information pour leur permettre de dialoguer entre eux. De toute manière, aujourd'hui, les entreprises sont obligées d'aller vers le e-business, il n'y a pas de retour en arrière possible. Il faut avoir conscience que nous sommes à l'aube d'une grande révolution mais qu'elle prendra des années avant d'arriver à son apogée, car le processus de normalisation sera très lent.

En attendant l'apparition de telles normes, que peuvent faire les places de marché ?
JMB. Elles sont clairement aujourd'hui dans une logique de survie. Heureusement, la plupart qui sont encore debout aujourd'hui bénéficient du soutien financier de grosses sociétés. Elles ont toutes engagé une réorganisation en vue de réduire la voilure. Cela passe par une réduction des équipes et des moyens engagés. Leur but est maintenant de faire décoller les transactions en proposant une palette de services limitée (achat, procurement, un peu de collaboratif) mais à forte valeur ajoutée. Beaucoup ont abandonné la facturation à la transaction pour proposer un paiement à l'utilisateur avec une logique d'abonnement annuel. C'est nettement plus intelligent pour favoriser les transactions. La place de marché Elemica [industrie chimique, ndlr] a même osé proposer son service gratuitement au début. Cela a permis d'accroître son trafic rapidement. Enfin, certaines places de marché poussent leurs principaux membres à créer des sortes de places de marché intermédiaires pour canaliser les flux internes avant d'arriver sur la place. Cela permet de réduire le nombre de postes d'achat à deux ou trois et favorise les transactions.
AC. Une chose est sûre, les tentatives de consolidation sont rarement des succès. En dehors d'une certaine logique dans la consolidation au niveau des back-office, cela me semble souvent infondé.

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Chiffres à l'appui, quelle est la situation actuelle du secteur des places de marché ?
JMB. Selon une étude de Jupiter Research sortie début 2002, 88 % des places de marché n'étaient pas profitables. Ce chiffre n'a sans doute pas beaucoup évolué depuis.
AC. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un but pour la place de marché. Celles qui sont fondées par de grands groupes industriels n'ont pas d'objectifs de rentabilité intrinsèque. Ce qu'il faut évaluer, c'est l'ensemble des gains qu'apporte la place de marché à l'industrie. C'est en cela qu'elle est rentable ou pas.

 
Propos recueillis par Florence Santrot

PARCOURS
 
André Cichowlas, 42 ans, est diplômé de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole Supérieure D'Electricité. De 1985 à 1995, il a travaillé pour le SESA (Symantec Enterprise Security Architecture) dans le domaine de la sécurité et des moyens de paiement. Il a ensuite intégré Cap Gemini au poste de directeur du skill center moyens de paiement. En 1999, il est devenu directeur des nouvelles technologies pour Cap Gemini France et Europe du Sud. En 2000, il a été nommé directeur adjoint de la branche e-business et en 2001, est devenu Chief Technology Officer pour les Business Solutions de CGEY. En 2002, il a été nommé directeur des opérations du secteur "Financial Services" de CGE&Y France.

   
 
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