JDNet.
En quoi les NTIC vous paraissent-elles une priorité
? Quels avantages peuvent réellement en attendre les
particuliers, consommateurs ou citoyens, et les entreprises,
grandes ou petites ?
Jean-Pierre Raffarin.
Je suis convaincu que nous assistons à une vraie révolution
dont on n'a vu que le début et que les TIC sont porteuses
de promesses dans tous les domaines. Leur vertu est,
en règle générale, de mettre de la rapidité dans ce
qui est lent, de la fluidité dans ce qui est lourd,
de l'ouverture dans ce qui est fermé.
Les gains que nous pouvons
attendre des TIC sont de tous ordres. Sur le plan économique
: elles sont le gage d'une meilleure productivité et
d'une plus grande réactivité, et elles participent d'une
dynamique de développement durable à laquelle ce gouvernement
est attaché.
Sur le plan politique, elles
sont un moyen formidable de faire tomber les murs trop
nombreux que comporte encore la société française, de
s'affranchir des vieilles hiérarchies, de donner la
parole à ceux qui ne l'ont pas. Elles contribuent également
à instaurer de nouvelles relations entre le citoyen
et l'administration ou les élus.
Sur le plan culturel et éducatif,
elles nous promettent une société où l'accès à la culture,
au savoir, à l'information sera plus facile et plus
largement partagé. Elles peuvent en outre jouer un rôle
décisif au service de l'influence culturelle, artistique,
intellectuelle de la France et de la francophonie dans
le monde.
Autant de raisons pour prendre
rendez-vous avec l'avenir en donnant un nouvel élan
au chantier de la société de l'information.
Comment
jugez-vous la politique de vos prédécesseurs (au pluriel
)
à Matignon en la matière ?
On a parfois sous-estimé l'apport du
gouvernement Juppé en la matière : c'est en 1995-1997
qu'ont été posées les premières pierres de ce
grand chantier, avec notamment la loi de réglementation
des télécommunications, la loi Fillon sur les expérimentations,
les premières mesures pour assurer une présence de l'administration
sur Internet, etc. Quant au gouvernement Jospin, il
me semble que la dynamique initiale, qui a reposé avant
tout sur un discours et des effets d'annonce, s'est
assez rapidement essoufflée...
Le
dossier des NTIC intéresse visiblement du monde au sein
du gouvernement : vous, Francis Mer, Nicole Fontaine,
Claudie Haigneré et plusieurs autres. Finalement, qui
s'occupe de quoi ?
Si j'ai tenu à m'impliquer personnellement
dans ce chantier, je souhaite que son pilotage soit
un travail d'équipe, associant tout le gouvernement.
Chaque ministre " portera" politiquement, pour ce qui
concerne son domaine de compétence, les projets société
de l'information. C'est le moyen de créer une véritable
dynamique collective autour de ces projets au sein du
gouvernement et de l'administration.
J'ai en même temps jugé nécessaire
que notre action dans le domaine de la société de l'information
soit stimulée et coordonnée par la ministre déléguée
à la recherche et aux nouvelles technologies, Mme Haigneré
: elle se passionne pour le sujet et je sais qu'elle
saura trouver les mots pour faire partager cette passion
aux Français. L'une de ses principales missions est
de susciter cette adhésion des Français et de faire
en sorte que les TIC se diffusent aussi largement et
démocratiquement que possible dans notre société.
D'autres ministres ont naturellement
vocation à accompagner les efforts de Mme Haigneré et
à mettre en uvre les grandes orientations que j'ai
souhaité définir avec elle. Vous constaterez d'ailleurs
que nombre d'entre eux se sont déjà investis avec beaucoup
d'efficacité dans ce chantier.
Puisque
vous estimez que les "grosses " lois comme la LSI n'ont
pas de sens, comment comptez-vous procéder ? Quels secteurs
sont prioritaires et quel calendrier prévoyez-vous ?
Je ne pense pas qu'une loi comme la LSI
n'avait pas de sens : j'ai simplement indiqué que cette
logique de grande loi ne me paraissait pas adaptée au
domaine de la société de l'information. Il n'est pas
raisonnable d'espérer anticiper tous les usages et toutes
les situations créés par les TIC, ni espérer pourvoir
les traiter définitivement par une seule loi et en une
seule fois. En outre, les "grandes lois" mettent tellement
de temps à être votées qu'elles sont souvent en décalage
avec les technologies et les pratiques quand elles entrent
en vigueur. C'est plutôt un travail pragmatique d'adaptation
régulière de notre droit à la société de l'information
qu'il faut assurer. Je souhaite donc que l'on s'en tienne
à des projets plus ciblés, plus concrets et s'inscrivant
dans des calendriers plus serrés. Je souhaite aussi
que l'on aille vite dans le domaine législatif.
Trois textes vont, d'ici la
fin du premier semestre 2003, venir préciser les règles
du jeu dans la société de l'information. Le fait que
le gouvernement précédent n'ait jamais fait aboutir
sa "Loi société de l'Information", restée trois ans
à l'état de projet, a en effet créé une situation inacceptable
: les entreprises du secteur et nos concitoyens ont
besoin, pour développer leurs activités sur le réseau
en toute confiance, de savoir quelles sont les règles
du jeu qui s'y appliquent. Je sais que de nombreux acteurs-
fournisseurs d'accès, acteurs du marketing électronique,
et bien d'autres encore - attendent cette clarification.
Je me réjouis donc que la ministre
déléguée à l'Industrie, Mme Fontaine, ait pu rapidement
préparer un premier et important projet de loi sur le
commerce électronique, qui répond aux principales
urgences identifiées par le Gouvernement et par les
acteurs du secteur. Ce texte devrait être présenté en
Conseil des ministres dès le mois prochain et être examiné
par l'Assemblée début 2003.
Un deuxième texte, plus axé
sur la question de la diffusion et de l'appropriation
des nouvelles technologies, sera présenté par Madame
Haigneré au premier trimestre 2003.
Enfin, ce dispositif législatif
visant à ancrer plus fermement la France dans la société
de l'information sera complété par la transposition
des directives "communication électronique" ou "paquet
télécom" au cours du deuxième trimestre 2003.
Hasard
ou pas, on voit se multiplier actuellement les initiatives
autour du développement des NTIC au niveau local. Quelles
sont vos priorités en la matière ?
Je me réjouis de cet intérêt croissant
des collectivités locales pour la diffusion de l'Internet
et pour l'aménagement numérique de notre territoire!
Ce n'est pas un hasard : je crois que de plus en plus
d'élus ont pris la mesure des enjeux. Les collectivités
locales font notamment beaucoup pour la diffusion de
l'usage de l'Internet à travers leur soutien actif à
la mise en place de points d'accès publics à Internet,
où l'on assure une formation et un accès gratuits. Il
en existe aujourd'hui plus de 2.500 en France, grâce
à l'action conjuguée des associations et des collectivités
locales et au rôle de l'Etat, à travers la labellisation
assurée par la MAPI et le programme Cyberbases de la
CDC. Ces points publics, qui portent des noms aussi
complexes que variés, sont trop peu connus des Français.
Je souhaite que le dispositif actuel soit, en accord
avec tous les acteurs concernés, à la fois simplifié
et renforcé.
La question de l'accès aux
réseaux de communication à haut débit se trouve par
ailleurs au cur des enjeux de développement de nos
territoires, dont il conditionnera de plus en plus l'attractivité.
C'est pourquoi le Président de la République a promis
que tout serait fait pour que l'on puisse accéder à
l'Internet à haut débit dans toutes les communes de
France à l'horizon 2007. C'est avec cet impératif à
l'esprit que mon gouvernement mène actuellement une
réflexion sur les modes d'actions et de financement
qu'il convient de privilégier pour mener à bien cette
nouvelle phase de l'aménagement numérique du territoire.
Notre stratégie en ce dernier domaine commencera à se
préciser en décembre, à l'occasion du prochain CIADT
[NDLR : Comité interministériel d'aménagement et
de développement du territoire].
Le
salut de la décentralisation viendra-t-il du déploiement
du haut débit ?
Il est vrai que la décentralisation est
un mouvement qui correspond bien à la dynamique de l'Internet,
qui se traduit par un fonctionnement en réseau et non
par une organisation pyramidale
Cela dit, n'exagérons
pas, il s'agit d'une clef importante, mais pas de la
seule qui puisse garantir le succès de la décentralisation.
Les
collectivités locales doivent-elles prendre en charge
le haut-débit ? Comment concevez-vous leur rôle, et
par conséquent, celui de l'Etat ? Cet aspect est-il
pris en compte dans vos réflexions sur la décentralisation
?
Les collectivités locales jouent et joueront
encore un rôle important dans le déploiement du haut
débit. Il suffit de rappeler que 129 projets d'infrastructure
haut débit - majoritairement à l'échelle départementale
- ont été mis en uvre à leur initiative. Mais il existait
une ambiguïté juridique qui nous empêchait de savoir
clairement ce qu'elles sont exactement en droit de faire.
Nous avons donc saisi le Conseil d'Etat des difficultés
juridiques existantes. Sa position va être rendue publique
très prochainement, ce qui nous permettra de préciser
lors du prochain CIADT la marge de manuvre que nous
souhaitons leur donner.
L'Etat ne sera pas seulement
le spectateur des opérations conduites par les collectivités
dans le haut débit. Des discussions informelles récentes
avec les services de la Commission européenne nous ont
permis de savoir quelles étaient les options possibles
en matière de financement public : il reste maintenant
à voir quelles sont les leviers les plus efficaces.
Il faut également que l'Etat conserve une vue d'ensemble
sur l'aménagement numérique du territoire et reste le
garant de la cohérence nationale.
Si
le rôle des collectivités locales se précise,
France Télécom se retrouve hors circuit. Cela ira-t-il
jusqu'à une gestion par les collectivités des réseaux
téléphoniques ?
Une évolution des règles du jeu n'aurait
évidemment pas pour objectif de faire en sorte que les
collectivités locales se substituent partout et n'importe
comment aux opérateurs, qu'il s'agisse de l'opérateur
historique ou de ses concurrents. Mais il est encore
un peu tôt, vous le comprendrez, pour vous parler de
règles qui sont encore en train d'être discutées au
sein du gouvernement
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