INTERVIEW 
 
Kevin Roberts
PDG
Saatchi & Saatchi
Kevin Roberts
"Les agences de publicité sont encore trop tournées vers les médias traditionnels"
Le PDG de l'agence Saatchi & Saatchi est l'auteur d'un ouvrage dans lequel il livre sa vision plurimédia de l'avenir de la publicité. Il offre au JDN sa perception de la création publicitaire sur le Net.
(15/03/2006)
 
JDN. Pouvez-vous nous présenter Saatchi & Saatchi en quelques mots ?
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Saatchi & Saatchi
Sisomo

Kevin Roberts. Nous sommes une agence de publicité composée de 134 bureaux et présente dans 84 pays. Nous employons environ 7.000 personnes à travers le monde et travaillons avec plus de la moitié des 100 plus grands annonceurs dans le monde. Nous avons été créés en 1928 et avons reçu plus de 3.000 prix et distinctions pour nos créations. Nous faisons partie du groupe Publicis.

Vous venez de publier un livre, "Sisomo, the future on screen". En quoi consiste ce concept de "Sisomo" ?
Sisomo ["Sight, Sound and Motion" : la vue, le son et le mouvement, ndlr], c'est une théorie, un changement d'état d'esprit qui correspond aux transformations qu'a subies la société de consommation. Le pouvoir n'appartient plus aux marques, mais aux consommateurs. Les marchés de masse n'existent plus et tout le monde doit chercher à s'adresser à une personne. Ce changement s'accompagne d'une mutation technologique : les écrans sont de plus en plus présents dans nos vies, que ce soit sous la forme d'un écran d'ordinateur, de télévision, de téléphone mobile, de console de jeux, etc. La technologie et la créativité doivent donc fonctionner ensemble.

Comment cela se traduit-il pour les agences de publicité ?
Nous devons absolument répondre aux désirs des gens. Le plus souvent, et en France en particulier, pour vanter un produit, on parle de son prix, de ses attributs, alors que la publicité doit refléter le désir des gens. Regardez l'iPod : c'est un produit imparfait, la batterie ne fonctionne pas, mais il correspond aux désirs des gens, donc il fonctionne.

Que pensez-vous de la création sur Internet à l'heure actuelle ?
La plupart des sites Web sont ennuyeux, car beaucoup trop factuels. C'est dommage car Internet est une formidable opportunité pour la créativité. Internet peut faire rêver, parler, chanter... Au lieu de cela, les sites actuels se contentent d'être purement factuels. Pour le moment, le Web remplit ses fonctions d'information, de communication, mais laisse de côté l'émotionnel. Les sites devraient raconter une histoire. Ils devraient ressembler à un film et, aujourd'hui, ils ressemblent à des encyclopédies.

La plupart des sites sont ennuyeux"
Pourquoi ne le font-ils pas ?
Je pense que les agences de publicité sont encore trop tournées vers les médias traditionnels, mais cela va obligatoirement changer dans les douze prochains mois. Les gens se rendent compte de la puissance d'Internet et de l'intérêt qu'un consommateur peut en tirer, en termes de transparence et d'implication dans la marque. De plus, la taille du marché double chaque année. Le seul obstacle à l'heure actuelle, c'est la difficulté à mesurer l'efficacité et les retombées d'une campagne sur Internet. C'est aussi pour cela que les choses vont plus lentement.

Vous affirmez que les agences restent concentrées sur les médias traditionnels. N'est-ce pas aussi le cas de Saatchi & Saatchi, qui disposait auparavant d'une filiale interactive, avant de la réintégrer en 2004 ?
Nous souhaitons nous développer sur l'interactivité"
Non. Notre volonté est de nous développer sur l'interactivité en agissant comme des connecteurs entre la marque et le consommateur. Mais je pense que si le marché est de mauvaise qualité, c'est aussi parce que des "agences interactives" ont été créées. Nous n'avons pas d'agence TV, pas d'agence interactive, pas d'agence papier. Il ne faut pas compartimenter les différents médias mais, au contraire, créer un message au début de la phase de créativité, puis le décliner sur les différents supports. Et cela, ce n'est pas le travail d'une agence interactive : il faut avoir un regard général sur la stratégie.

Dans la publicité, cela doit donc se traduire par des passerelles plus importantes entre la télévision et Internet ?
Absolument. Car c'est aussi la façon dont ces médias sont consommés : les gens surfent sur Internet, et en même temps regardent la télévision. Aujourd'hui, il est absurde de dire "nous voulons allons faire une campagne sur Internet car nous voulons toucher les jeunes". La bonne réponse est globale.

Un message de départ, à décliner sur tous les écrans"
Cela signifie qu'un spot TV peut être reproduit tel quel sur Internet ?
Non, il doit être adapté. Ce qui doit être cohérent, c'est le message de départ. Ensuite, selon les médias, selon la taille de l'écran, il faut adapter la forme, d'autant que l'on ne regardera pas un film de plusieurs minutes sur un téléphone portable.

Quels sont les atouts, selon vous, du média Internet, par rapport aux autres ?
L'écran de l'ordinateur est aussi important que celui de la télévision en termes de créativité. Mais la clé, c'est l'interactivité.

Quelles campagnes publicitaires vous ont particulièrement marqué récemment, dans lesquelles vous avez utilisé Internet ?
Je crois que la meilleure chose que l'on ait fait sur Internet, récemment, c'était pour le compte de Nouvelle Zélande Télécom. Nous avons monté une campagne sur le "Rubbish Film Festival" [le "Festival du Film Pourri", ndlr]. le principe était simple : nous demandions aux gens de tourner un film de 30 secondes à l'aide de leur téléphone portable. Le film le plus mauvais qu'ils puissent imaginer. Puis ils devaient nous l'envoyer par e-mail et l'envoyer à leurs amis. Nous élisions alors le pire film et nous en faisions le spot TV de la marque. C'était drôle et en même temps efficace.

La France est le deuxième pays où les blogs sont les plus développés"
Pensez-vous que les blogs et les podcasts peuvent jouer un rôle dans la communication des marques ?
Tout à fait, et la France est particulièrement bien placée, puisque c'est le deuxième pays où les blogs sont les plus développés, après les Etats-Unis. Le blog est un phénomène très excitant car les gens créent leur propre média, ils peuvent très bien être vus comme le journal d'un consommateur. On y trouve de la provocation, des témoignages. C'est l'endroit idéal pour trouver des opinions sincères et réelles sur une marque. Rien n'est plus puissant que cela.

Certaines marques ont créé leur blog et ces expériences ne sont pas toujours à la hauteur des espoirs placés car les consommateurs peuvent avoir l'impression d'être manipulés. Comment concilier transparence et communication ?
Je ne pense pas qu'aujourd'hui, le consommateur puisse être manipulé. Et c'est aussi ce qui est formidable : si une marque avait la tentation de manipuler ses consommateurs, les blogs la tueraient immédiatement. Les blogs font partie du mouvement qui redonne le pouvoir aux consommateurs. Ils jouent et joueront donc forcément un rôle dans la communication. Ce qui signifie, pour les marques, l'obligation de remplir leurs promesses et d'être honnêtes dans leur façon de communiquer.

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Croyez-vous à la publicité sur les téléphones mobiles ?
Aujourd'hui, le téléphone portable domine le dispositif de communication, que ce soit par la voix ou par le texte. Mais ce n'est pas encore un canal de vente ni un canal de divertissement. Est-ce que ce sera le cas dans un an ? Je le pense. J'ai un exemple avec une opération organisée récemment par Adidas au Japon, à l'occasion de la sortie d'un nouveau modèle de chaussures. C'était une collection limitée à 40 exemplaires. La marque a diffusé l'information par SMS à une liste de jeunes, en leur disant "dans 20 minutes, ces 40 paires de chassures seront disponibles dans telle et telle boutique". Aussitôt, il y a eu un rush vers les magasins.

Quels sont vos sites favoris ?
Amazon est fantastique car il vous donne constamment des suggestions, des recommandations, évolue en permanence. Je trouve que c'est l'un des sites les plus interactifs et les plus stimulants pour le consommateur.

 
 
Propos recueillis par Nicolas RAULINE, JDN

PARCOURS
 
 
Kevin Roberts dirige Saatchi & Saatchi Worldwide depuis 1997. Il a commencé sa carrière dans les années 1960 dans la maison de mode londonienne Mary Quant. Puis il a travaillé à la direction marketing de Gillette et de Procter & Gamble pour l'Europe et le Moyen-Orient.

À 32 ans, il devient PDG de Pepsi-Cola pour le Moyen-Orient, avant de passer PDG de Pepsi Canada, puis de devenir directeur des opérations de la marque entre 1989 et 1997.

Il est l'auteur du livre "Lovemarks : le nouveau souffle des marques", publié en 2004 aux Editions d'Organisation, dans lequel il présente l'évolution des marques et leur relation émotionnelle avec leurs consommateurs. Il vient de publier son deuxième ouvrage, "Sisomo : the future on screen", aux éditions PowerHouse Books.

Et aussi Kevin Roberts est président du Judge Institute of Management de l'université de Cambridge, professeur en management à l'université de Limerick (Irlande) et à l'école de management de l'université de Waikato (Nouvelle-Zélande).

   
 
 
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