JDN.
Pouvez-vous nous présenter Saatchi & Saatchi
en quelques mots ?
Kevin Roberts. Nous sommes une agence de publicité
composée de 134 bureaux et présente dans
84 pays. Nous employons environ 7.000 personnes à
travers le monde et travaillons avec plus de la moitié
des 100 plus grands annonceurs dans le monde. Nous avons
été créés en 1928 et avons
reçu plus de 3.000 prix et distinctions pour
nos créations. Nous faisons partie du groupe
Publicis.
Vous venez de publier un
livre, "Sisomo, the future on screen". En
quoi consiste ce concept de "Sisomo" ?
Sisomo ["Sight, Sound and Motion" : la
vue, le son et le mouvement, ndlr], c'est une théorie,
un changement d'état d'esprit qui correspond
aux transformations qu'a subies la société
de consommation. Le pouvoir n'appartient plus aux marques,
mais aux consommateurs. Les marchés de masse
n'existent plus et tout le monde doit chercher à
s'adresser à une personne. Ce changement s'accompagne
d'une mutation technologique : les écrans
sont de plus en plus présents dans nos vies,
que ce soit sous la forme d'un écran d'ordinateur,
de télévision, de téléphone
mobile, de console de jeux, etc. La technologie et la
créativité doivent donc fonctionner ensemble.
Comment cela se
traduit-il pour les agences de publicité ?
Nous devons absolument répondre aux désirs
des gens. Le plus souvent, et en France en particulier,
pour vanter un produit, on parle de son prix, de ses attributs,
alors que la publicité doit refléter le
désir des gens. Regardez l'iPod : c'est
un produit imparfait, la batterie ne fonctionne pas, mais
il correspond aux désirs des gens, donc il fonctionne.
Que pensez-vous de la création
sur Internet à l'heure actuelle ?
La plupart des sites Web sont ennuyeux, car beaucoup trop
factuels. C'est dommage car Internet est une formidable
opportunité pour la créativité. Internet
peut faire rêver, parler, chanter... Au lieu
de cela, les sites actuels se contentent d'être
purement factuels. Pour le moment, le Web remplit ses
fonctions d'information, de communication, mais laisse
de côté l'émotionnel. Les sites devraient
raconter une histoire. Ils devraient ressembler à
un film et, aujourd'hui, ils ressemblent à des
encyclopédies.
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La
plupart des sites sont ennuyeux" |
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Pourquoi ne le font-ils pas ?
Je pense que les agences de publicité sont encore
trop tournées vers les médias traditionnels,
mais cela va obligatoirement changer dans les douze prochains
mois. Les gens se rendent compte de la puissance d'Internet
et de l'intérêt qu'un consommateur peut en
tirer, en termes de transparence et d'implication dans
la marque. De plus, la taille du marché double
chaque année. Le seul obstacle à l'heure
actuelle, c'est la difficulté à mesurer
l'efficacité et les retombées d'une campagne
sur Internet. C'est aussi pour cela que les choses vont
plus lentement.
Vous affirmez que les agences
restent concentrées sur les médias traditionnels.
N'est-ce pas aussi le cas de Saatchi & Saatchi, qui
disposait auparavant d'une filiale interactive, avant
de la réintégrer en 2004 ?
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Nous
souhaitons nous développer sur l'interactivité" |
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Non. Notre volonté est de nous développer
sur l'interactivité en agissant comme des connecteurs
entre la marque et le consommateur. Mais je pense que
si le marché est de mauvaise qualité, c'est
aussi parce que des "agences interactives" ont
été créées. Nous n'avons pas
d'agence TV, pas d'agence interactive, pas d'agence papier.
Il ne faut pas compartimenter les différents médias
mais, au contraire, créer un message au début
de la phase de créativité, puis le décliner
sur les différents supports. Et cela, ce n'est
pas le travail d'une agence interactive : il faut
avoir un regard général sur la stratégie.
Dans la publicité, cela
doit donc se traduire par des passerelles plus importantes
entre la télévision et Internet ?
Absolument. Car c'est aussi la façon dont ces médias
sont consommés : les gens surfent sur
Internet, et en même temps regardent la télévision.
Aujourd'hui, il est absurde de dire "nous voulons
allons faire une campagne sur Internet car nous voulons
toucher les jeunes". La bonne réponse est
globale.
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Un
message de départ, à décliner
sur tous les écrans" |
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Cela signifie qu'un spot TV
peut être reproduit tel quel sur Internet ?
Non, il doit être adapté. Ce qui doit être
cohérent, c'est le message de départ. Ensuite,
selon les médias, selon la taille de l'écran,
il faut adapter la forme, d'autant que l'on ne regardera
pas un film de plusieurs minutes sur un téléphone
portable.
Quels sont les atouts, selon
vous, du média Internet, par rapport aux autres ?
L'écran de l'ordinateur est aussi important que
celui de la télévision en termes de créativité.
Mais la clé, c'est l'interactivité.
Quelles campagnes publicitaires
vous ont particulièrement marqué récemment,
dans lesquelles vous avez utilisé Internet ?
Je crois que la meilleure chose que l'on ait fait sur
Internet, récemment, c'était pour le compte
de Nouvelle Zélande Télécom. Nous
avons monté une campagne sur le "Rubbish Film
Festival" [le "Festival du Film Pourri",
ndlr]. le principe était simple : nous
demandions aux gens de tourner un film de 30 secondes
à l'aide de leur téléphone portable.
Le film le plus mauvais qu'ils puissent imaginer. Puis
ils devaient nous l'envoyer par e-mail et l'envoyer à
leurs amis. Nous élisions alors le pire film et
nous en faisions le spot TV de la marque. C'était
drôle et en même temps efficace.
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La
France est le deuxième pays où
les blogs sont les plus développés" |
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Pensez-vous que les blogs et
les podcasts peuvent jouer un rôle dans la communication
des marques ?
Tout à fait, et la France est particulièrement
bien placée, puisque c'est le deuxième pays
où les blogs sont les plus développés,
après les Etats-Unis. Le blog est un phénomène
très excitant car les gens créent leur propre
média, ils peuvent très bien être
vus comme le journal d'un consommateur. On y trouve de
la provocation, des témoignages. C'est l'endroit
idéal pour trouver des opinions sincères
et réelles sur une marque. Rien n'est plus puissant
que cela.
Certaines marques ont créé
leur blog et ces expériences ne sont pas toujours
à la hauteur des espoirs placés car les
consommateurs peuvent avoir l'impression d'être
manipulés. Comment concilier transparence et communication ?
Je ne pense pas qu'aujourd'hui, le consommateur puisse
être manipulé. Et c'est aussi ce qui est
formidable : si une marque avait la tentation
de manipuler ses consommateurs, les blogs la tueraient
immédiatement. Les blogs font partie du mouvement
qui redonne le pouvoir aux consommateurs. Ils jouent et
joueront donc forcément un rôle dans la communication.
Ce qui signifie, pour les marques, l'obligation de remplir
leurs promesses et d'être honnêtes dans leur
façon de communiquer.
Croyez-vous à la publicité
sur les téléphones mobiles ?
Aujourd'hui, le téléphone portable domine
le dispositif de communication, que ce soit par la voix
ou par le texte. Mais ce n'est pas encore un canal de
vente ni un canal de divertissement. Est-ce que ce sera
le cas dans un an ? Je le pense. J'ai un exemple
avec une opération organisée récemment
par Adidas au Japon, à l'occasion de la sortie
d'un nouveau modèle de chaussures. C'était
une collection limitée à 40 exemplaires.
La marque a diffusé l'information par SMS à
une liste de jeunes, en leur disant "dans 20 minutes,
ces 40 paires de chassures seront disponibles dans telle
et telle boutique". Aussitôt, il y a eu un
rush vers les magasins.
Quels sont vos sites favoris
?
Amazon est fantastique car il vous donne constamment des
suggestions, des recommandations, évolue en permanence.
Je trouve que c'est l'un des sites les plus interactifs
et les plus stimulants pour le consommateur. |