INTERVIEW 
 
Jacques-Hervé Roubert
Président et chef de la direction
Nurun Inc.
Jacques-Hervé Roubert
"Le fossé se creuse entre ce qui est un bon site aux Etats-Unis, et un bon site en France"
Nurun, agence interactive filiale de Quebecor Média, poursuit son expansion internationale en s'implantant à Shangaï. Elle se développe également en termes d'intégration de l'offre, en musclant son pôle médias. Politique de croissance internationale, spécificités de ses différents marchés, décryptage de tendances… Entretien complet avec Jacques-Hervé Roubert, PDG de Nurun Monde.
(14/02/2006)
 
JDN. Nurun vient de finaliser le rachat de China Interactive. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette agence ?
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 Nurun
 Jacques-Hervé Roubert
Jacques-Hervé Roubert. China Interactive, basée à Shangaï, a été créée fin 1998. Au départ, c'était un webzine, qui s'est reconverti en 2000 en agence interactive. Ses plus gros clients sont chinois, mais elle gère également des budgets comme Pepsi, L'Oréal ou Philips. Elle réalise un chiffre d'affaires de plus d'un million de dollars, ce qui aux Etats-Unis équivaudrait à 10 millions de dollars.

Cela marque l'entrée de Nurun en Asie. Que représente désormais l'activité de Nurun dans le monde, et comment se répartit-elle ?
Nurun emploie environ 650 personnes dans le monde. Le groupe possède trois bureaux au Canada, deux aux Etats-Unis, trois en Europe, et un en Asie. Nous avons réalisé en 2005 un chiffre d'affaires de 65,1 millions de dollars canadiens (56,6 millions de dollars américains, ndlr). Nous générons en gros un tiers de nos revenus au Canada, un tiers aux Etats-Unis et un tiers en Europe, en termes d'origine des clients. Mais chaque bureau est amené à travailler à l'international pour un client donné. Par ailleurs, les équipes de chaque bureau sont multiculturelles. En termes de répartition des effectifs, les Etats-Unis représentent une centaine de personnes, l'Europe environ 170, le reste des équipes étant basé au Canada. Une grande partie des développements informatiques se fait à partir du Canada, où se trouve le siège.

Comment vous positionnez-vous sur le marché des agences interactives ?
La particularité de Nurun est d'être la seule agence dont l'offre s'étend du back end à l'e-pub, et ce sur trois continents. Notre cœur de métier, c'est la communication interactive. Dans "communication interactive", nous incluons la mobilité, le podcasting, les widgets (élément graphique d'interface, ndlr)… Nous pouvons également intervenir en print, mais dans le cadre d'une stratégie relationnelle globale, et dans ce cas nous travaillons avec des partenaires. Au global, le papier ne représente pas plus de 2 % de notre activité. Notre gamme de prestations couvre l'infrastructure technique -le groupe compte 250 informaticiens-, le commerce électronique, la gestion de contenus, le design et le développement de site, le marketing et la publicité en ligne, la gestion de la relation clients, le conseil en stratégie. Actuellement, nous nous attachons à développer notre offre marketing et média, essentielle pour l'expansion internationale. C'est ce que nous avons commencé à faire dès 2004 en rachetant Ant Farm Interactive, une agence spécialisée en communication et marketing interactifs, basée à Atlanta.

En France, qu'est-ce qui vous différencie de vos concurrents les plus directs comme Duke, Business Interactif et FullSix ? Inversement, à l'étranger, à qui vous comparez-vous ou vous identifiez-vous ?
En France, il existe deux grandes familles d'agences : les filiales de grands groupes de communication, et les pure players indépendants. C'est avec les agences que vous avez citées, auxquelles on peut ajouter Planète Interactive, que nous nous retrouvons le plus souvent en compétition. Par rapport à ces dernières, chacune possède une spécificité qui nous en différencie : Fullsix essaie de réaliser un équilibre entre le online et le offline, Business Interactif est essentiellement français, et Duke est plus porté sur la création. Parmi cette "bande des quatre", nous sommes l'agence la plus internationale. A l'international, nos références sont des agences comme Avenue A, Razorfish ou Digitas.

Quand vous dîtes que vous développez votre offre média, concrètement, quelle palette de services déclinez-vous ?
Le remix média est à la base de notre offre."

La particularité d'Internet est d'opérer un nouveau mix média. Il faudrait plutôt parler de "remix media", en fait. Cela comprend l'achat média, mais aussi l'affiliation, les liens sponsorisés, le référencement naturel, l'e-mailing… Ce 'remix dynamique', comme nous l'appelons, est à la base de notre offre, qui comprend trois composantes : une véritable compréhension du marché, afin de permettre de trouver la bonne allocation d'actifs, ce qui passe par les analyses habituelles et un logiciel propre ; l'optimisation ; et enfin les outils de mesure adaptés pour juger de l'efficacité d'un plan média global. Nous avons capitalisé de l'expérience sur ce marché grâce à notre activité aux Etats-Unis, où le marché est plus mature. Là-bas, l'achat d'espace a représenté 55 millions de dollars pour nous l'année dernière.

Cette manière intégrée d'envisager un plan média est-elle difficile à "vendre" auprès des clients ? Les organigrammes et les concepts traditionnels de la publicité, comme la part de voix, peuvent-ils y survivre ?

Online, les modèles offline n'ont plus aucun sens

Tout s'interpénètre. Sur le marché américain, qui est plus mature, on trouve aujourd'hui des personnes responsables pour l'ensemble des médias interactif. La façon de réfléchir change aussi, c'est sûr. Les modèles offline n'ont plus aucun sens si on les applique online ! Aujourd'hui, les dépenses allouées au site Web, à l'infrastructure informatique et au SEO forment un tout dans le plan de communication interactive. Mais quand la réalisation d'un site coûte 7 millions de dollars, cet investissement n'est pas comptabilisé par Secodip ! Pourtant, c'est aussi de la communication de marque. Cela n'a pas de sens. Les agences de publicité classiques essaient d'imposer leur modèle. Cela traduit l'attitude défensive avec laquelle les groupes de communication abordent l'Internet. Il faut changer sa façon de raisonner. Par exemple, l'ère des grands carrefours d'audience et du prime time télévisé a fait long feu. Il faut raisonner en "targeted reach".

Mais comment mesurer une couverture sur cible sur l'ensemble des supports interactifs à la fois ?
C'est impossible. Il faut choisir des indicateurs, comme le taux de churn, ou de conversion d'achat par exemple.

Cela vaut-il aussi pour des campagnes de branding ?
C'est tout le problème du branding. La publicité et tout ce qui se passe entre la marque et le point de vente sont de plus en plus distanciés. Il faut faire un pont entre les deux, par exemple la taille d'une base de données ou le taux de retour de coupons de réduction, et se donner des objectifs chiffrés comme le temps passé sur le site Internet, le nombre de pages vues, etc.

Ou alors réaliser des post-tests ?
Cela commence à venir.

Dans quelle mesure votre offre média contribue-t-elle à la croissance du groupe ?
C'est le segment qui progresse le plus. La progression de l'IT est faible. La croissance du développement Web est moyenne, et surtout liée au renouvellement des technologies utilisées dans les sites et les bannières. Le mobile sera un relais de croissance quand la 3G sera généralisée.

Que manque-t-il aujourd'hui à votre offre ?
Plus de CRM, dans le sens d'outils permettant de mieux comprendre le consommateur.

Allez-vous continuer à vous développer par croissance externe ? Plutôt pour acquérir de nouvelles compétences ou vous implanter sur de nouveaux marchés ?
Nous étudions toujours les opportunités qui se présentent, à la fois en termes de compétences et de géographie.

Où en est votre projet de créer un bureau en Europe du Nord ?
C'est en cours. Ce sera soit aux Pays-Bas, soit au Royaume-Uni. Mais ce dernier marché est très différent des autres, il n'est pas facile de s'y implanter.

En Chine, quel est le potentiel du marché ?
Si la croissance actuelle se poursuit, la Chine sera au niveau de l'Europe dans cinq ou six ans en termes de chiffre d'affaires pour Nurun.

En quoi les différents marchés sur lesquels vous êtes présents diffèrent-ils ?

Le marché français des agences est très structuré."
Le marché français est un marché moyen très structuré. Aux Etats-Unis, l'offre est beaucoup plus abondante. Il existe peut-être 20 à 30 acteurs majeurs comme nous : Agency.com, Blue Dingo… Et le cinquantième acteur du top 50 est plus gros que le numéro un en France. Au Canada, nous sommes de loin la première agence interactive, et il n'y a que trois gros acteurs en tout. Nous sommes le quatrième ou cinquième groupe de communication canadien. Au Brésil, le marché est encore dominé par des agences de pub. En Chine, il y a beaucoup de petites agences, qui travaillent pour des agences de pub, mais les acteurs apparaissent et disparaissent assez vite.

Essayons de faire le bilan de l'année 2005 pour Nurun. Comment a évolué votre portefeuille ?
A l'international, il a crû de 30 % en chiffre d'affaires. En moyenne, 10 % est attribuable à l'existant et 20 % à des nouveaux budgets. En France, de gros budgets ont été remportés comme Louis Vuitton, Renault, Gaz de France. Nous perdons très peu de clients. Par exemple, Danone et L'Oreal sont chez nous depuis 10 ans.

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Avez-vous remporté des prix ?
Nurun France a remporté le Grand Prix Top Com Corporate Business dans la catégorie site Internet pour Loreal.com. Mais je considère que nos annonceurs ne nous jugent pas sur les prix ou sur la publicité, mais sur des résultats, comme l'amélioration de la rentabilité par exemple. C'est pour cela que je ne présenterai Nurun à aucun award. Cela sert à attirer des créatifs, c'est vrai. Mais nous ne sommes pas une agence de création à proprement parler. Comme nous ne faisons pas que de la communication, ce qui explique que nous ne soyons pas membres de l'AACC.

Vous mentionnez des clients comme Danone, L'Oreal. Votre positionnement international doit vous permettre d'être bien placé, dans la course à la conquête des multinationales de la grande consommation et de la grande distribution, qui sont amenées à accroître leurs investissements online dans les prochaines année ?
Nous allons effectivement être bien placés. Je pense que d'ici cinq ans, 15 à 20 % de leurs dépenses de communication se feront online. En revanche, nous avons besoin de plus de notoriété. Nous ne communiquons pas assez.

Pour vous, quels sont les "buzz words" de l'année 2006 ?
Nous sommes sur différents marchés avec différents buzz words. Aux Etats-Unis, c'est l'efficacité. En France : le branding, la vidéo. En Chine : le mobile.

Quelles tendances voyez-vous émerger ?
Le fossé se creuse entre ce qui est un bon site aux Etats-Unis, et un bon site en France. L'ergonomie est une donnée absolument clé là-bas, ce qui n'est pas le cas ici. De manière générale, en dehors des évolutions techniques, la vidéo et le Web 2.0 sont les deux grandes tendances du moment. Concernant la vidéo, il s'en lance un peu partout, mais ce n'est pas toujours pertinent. 90 % du temps, on est juste spectateur. Rendre la vidéo interactive et produire des contenus originaux pour le Web, ça, cela a un sens. Concernant le Web 2.0, il faut en faire une utilisation intelligente. On a vu fleurir de faux blogs, par exemple, et le retour de bâton qui a suivi. Pour ce qui est de la technique, Ajax est une vraie révolution. Les interfaces Web commencent à être aussi confortables qu'un Cd-Rom.

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 Jacques-Hervé Roubert
Pour terminer, pouvez-vous citer un site et une campagne qui vous ont marqué, à l'international ?
La campagne "It" pour eBay, réalisée par Agency.com. Un concept publicitaire très fort et un bon lien entre online et offline. Pour le site : Peperami.co.uk, un site à l'humour anglais décapant pour une marque de nouilles instantanées, réalisé par la très bonne agence AKQA.
 
 
Propos recueillis par Raphaële KARAYAN, JDN

PARCOURS
 
 
Jacques-Hervé Roubert est président et chef de la direction de Nurun depuis septembre 2000. C'est en décembre 1995 qu'il fonde Cythère, une agence en communication interactive spécialisée dans la conception de sites Internet, qu'il revendra en janvier 2000 à Informission, filiale de Quebecor devenue par la suite Nurun inc.

Entré chez Havas Conseil en 1977, il a été directeur associé de cette filiale du groupe Havas, spécialisée dans l'édition et le multimédia. x

En 1986, il s'est joint au groupe publicitaire Young & Rubicam en tant que directeur du développement au sein du bureau parisien. De 1988 à 1990, il a œuvré à titre de directeur général de BDDP. De 1990 à 1995, il a occupé le poste de directeur général de Young & Rubicam Groupe France.

Jacques-Hervé Roubert est diplômé de l'ESSEC.

   
 
 
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