INTERVIEW
 
Chief Executive Officer
DoubleClick
Kevin Ryan
"Titre"
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A l'heure où le marché publicitaire en ligne peine, ses principaux acteurs se voient contraints de prendre des mesures drastiques, à l'image d'Engage ou 24/7 Media. DoubleClick n'est pas en reste, même si Kevin Ryan, son PDG, affiche sa confiance. Mettant en avant la palette d'activités de sa société, il estime qu'elle fera partie des leaders qui s'imposeront dans une industrie dont il se plaît à rappeler la courte existence. A ses yeux, les bases de l'Internet sont solides et ses fondamentaux sont bons. Il analyse la situation actuelle, explique sa stratégie et tire les enseignements de son expérience à la tête de sa société.
05 juillet 2001
 
          

JDNet. Comment définiriez-vous DoubleClick aujourd'hui ?
Kevin Ryan. DoubleClick est une "Marketing infrastructure", active à la fois online mais aussi offline. Nous ne vendons pas seulement de la publicité, mais aussi des services autour de l'e-mail, de la technologie et des médias. Nos clients sont les annonceurs et les éditeurs, que nous aidons à faire du marketing.

Comment faites-vous cohabiter vos différentes activités ?
Elles travaillent toutes ensemble. L'activité Media utilise la technologie et nos études et recherches, qui s'adressent à l'industrie en général, mais aussi à nos vendeurs. Toutes travaillent ensemble, pas forcément sur toutes les transactions, mais ce qui est spécifique à l'Internet, c'est qu'on peut tout mélanger. C'est pour ça que notre société exerce plusieurs activités en même temps.

Est-ce que vous aviez prévu dès le départ d'élargir à ce point le spectre de vos activités ?
Oui, absolument. Tout au début, on avait de grandes ambitions. Tout ce qu'on fait jusqu'à maintenant, on l'avait prévu dès 1996-1997.

Quelle est la situation économique de DoubleClick aujourd'hui. La société a enregistré une perte par action lors du dernier trimestre, après deux trimestres profitables, et vous avez annoncé récemment une réduction de 20% des effectifs…
Nous sommes autant qu'il y a un an. Mais quand on rachète des sociétés, on se retrouve souvent avec deux personnes pour le même poste. On peut acheter des sociétes qui perdent de l'argent avec 200 personnes et n'en garder que 20. Si on ne le fait pas, la société risque la faillite. Notre stratégie, c'est de racheter des sociétés tout en étant le plus efficace possible.

Vous considérez-vous comme un leader?
Sur notre métier de "Marketing infrastructure", nous sommes de loin les leaders et nous pesons quatre à cinq fois plus que le deuxième. Mais il faut tous les jours continuer à investir, créer de nouveaux produits et prendre des risques, parce que ça peut changer très vite. C'est pour ça qu'on reste agressifs et ambitieux.

C'est quoi être ambitieux et agressif?
Il y a un an et demi, par exemple, nous avons beaucoup investi dans l'e-mail marketing. A l'époque, il n'y avait quasiment pas de chiffre d'affaires. L'année dernière, nous avons fait 1 million de dollars, et je pense que nous allons faire 5 millions de dollars l'an prochain. On investit depuis cinq ans dans le Media et c'est pour ça que nous avons aujourd'hui le premier réseau au monde.

N'est-ce pas une course sans fin ?
Jusqu'à présent, nous avons réalisé dix ou douze acquisitions, que nous avons très bien intégrées. NetGravity, que nous avons rachetée il y a deux ans et demi, va faire cette année un chiffre d'affaires 50% supérieur à celui qu'elle faisait à l'époque de l'acquisition, avec 50 personnes au lieu de 150. Réussir une intégration est très difficile. On en a beaucoup parlé avec les gens de Cisco, qui ont eux aussi racheté pas mal de sociétés, pour partager nos expériences. C'est indispensable parce qu'aujourd'hui, on ne peut pas tout faire soi-même. Dans une industrie comme celle-ci, où la croissance est importante, il faut créer des produits soi-même mais aussi intégrer d'autres acteurs.

Vous avez réalisé 46 millions de dollars de chiffre d'affaires sur l'activité Media au premier trimestre, contre 60 au trimestre précédent. Quelles mesures allez-vous prendre ?
On n'a pas prévu de changement dramatique. Nous réduisons le personnel dans ce secteur mais franchement, nos chiffres sont les mêmes que ceux de Yahoo ou Cnet. Et n'oubliez pas que le Wall Street Journal par exemple a vu le chiffre d'affaires publicitaire de son édition papier baisser de 45%. Notre position reste solide alors que nos concurrents ont beaucoup de mal : 24/7 manque de trésorerie et Engage, qui avait la même taille que nous en Bourse il y a seize mois, est maintenant dix fois plus petit et a licencié 65% de ses effectifs. En comparaison, on se débrouille très bien.

Que pensez-vous des analyses actuelles sur le marché de la pub online. Est-ce qu'elles vous paraissent trop sombres ?
Les gens ont une vision à court terme. Il faut se rappeler que le chiffre d'affaires de la publicité en ligne est le double de ce qu'on avait prévu il y a cinq ans. A l'époque, il représentait 50 millions de dollars et nous étions en train de lever des capitaux. Lorsque nous disions aux investiseurs qu'il serait à 3 milliards en 2001, ils pensait que c'était impossible. Aujourd'hui, il est deux fois plus grand et les gens ne sont pas contents. C'est incroyable. Moi, je trouve qu'on a progressé très vite.

Comment jugez-vous les initiatives visant à relancer le marché, comme les nouveaux formats?
Je pense que les agences et les éditeurs n'étaient pas aussi créatifs qu'ils auraient pu l'être. Il y a deux ans, quand tout allait très bien et que le chiffre d'affaires doublait chaque année, il n'y avait pas de raison de changer. A présent, les nouveaux formats ou le rich media, que je trouve vraiement intéressants, sont nécessaires.

Vous vous exprimez réguièrement sur les problématiques d'efficacité de la publicite en ligne…
Tous les développements autour de la mesure de l'efficacité viennent de DoubleClick, mais il reste des choses à faire. En cinq ans, on n'a pas encore pu créer tous les produits que la télévision ou la radio ont créés depuis cinquante ans. Mais on va le faire.

En matière d'outils, quels sont vos projets concernant Dart?
On a beaucoup investi et nous continuons d'innover. Il y a quatre ans, Dart avait trente-neuf concurrents. Il n'en reste que quatre ou cinq aujourd'hui, mais loin derrière. C'est bien pour nous, mais je pense aussi que c'est bien pour l'industrie parce que ça crée un standard.

Vous avez racheté la société de marketing direct Abacus en 1999. Dans quel but ?
Il était triple. D'abord, c'est une société très rentable, avec un bon taux de croissance, ce qui est toujours bien. Deuxièmement, nous pensions que le potentiel du marketing direct allait être très fort sur l'Internet. Enfin, Abacus avait des clients qui à l'époque étaient quasiment absents de l'Internet mais dont nous pensions qu'ils allaient y venir. Les vépécistes traditionnels par exemple, qui sont tous clients d'Abacus. Donc pour nous, c'était une opération à long terme. Aujourd'hui, ces mêmes clients nous achètent beaucoup de produits différents.

Et quels sont vos autres chantiers ?
Les études, les bases de données et l'e-mail. Avec notre division études, nous voulons mesurer l'impact des publicités, pas seulement en termes de taux de clic. Par exemple, déterminer si des internautes qui ont vu la campagne sont revenus sur le site une semaine plus tard, ou sont allés dans le magasin, ou sont allés sur un autre site pour acheter. Avec les produits que nous créons, nous pourrons dire à l'annonceur : "Vous avez dépensé 100.000 dollars, mais vous avez gagné tant de millions."

Avez-vous besoin de convaincre vos clients ou expriment-ils eux mêmes ces besoins?
Les deux. Ceux que je vois me disent tous la même chose : "Je sais que l'Internet va jouer un rôle très important dans mon business, et qui le sera encore plus dans trois ans, même s'il ne va pas remplacer mon business. Moi, Ford ou Volvo, je sais que de plus en plus de gens vont s'informer en ligne sur mes produits." Ils ont compris ça, mais cherchent aussi comment utiliser plus et mieux l'Internet.

DoubleClick fait l'objet de nombreuses critiques sur le dossier de la protection des données personnelles. Quelle est votre réponse?
Beaucoup de "class-action lawsuits" ont été lancés en même temps et la plupart des cas ont été abandonnés avant jugement. Certains vont aller jusqu'au procés, mais on a confiance. La FCC [NDLR : Federal Communications Commission] a lancé une enquête sur trente sociétés et a estimé que nous devions rien changer. On n'en n'est qu'aux débuts de l'Internet et il est normal que les nouvelles technologies inquiètent les gens, mais à mesure qu'ils utilisent le Web, ils ont moins peur.

Quel regard portez-vous sur l'industrie de l'Internet en général. Vous affirmez souvent que ses bases sont solides…
Oui, elles sont solides, mais il y a trop de sociétés pour l'instant. Beaucoup vont fusionner ou tomber en faillite. C'est évidemment un processus assez difficile et il n'est pas terminé. Mais pour l'industrie, il est mieux d'avoir des sociétes assez solides pour investir et ayant de bons produits.

Et comment jugez-vous la réaction des marchés financiers ?
On est plus proche de la réalité maintenant qu'on ne l'était il y a un an, quand les prix étaient beaucoup trop élevés. La correction est un peu trop sévère, mais les leaders dans chaque secteur seront beaucoup plus forts dans un an ou deux. L'Internet, c'est la télévision en 1955. Il reste pas mal de choses à faire…

Quelles sont selon vous les vraies success stories de l'Internet, hormis DoubleClick évidemment…
eBay est une vraie succes story. Amazon aussi : les gens s'interrogent sur leurs résultats financiers, mais ils vont être rentables. En Europe, on voit des acteurs pan-européens émerger très vite, comme Tiscali ou T-Online.

Et quelles seront les prochaines?
Les outils BtoB et l'outsourcing. Un des problèmes dans l'Internet est que les sociétés dépensent en général trop d'argent pour leur site et auprès de la societé qui produit leur site. Il faut des outils standard et moins chers.

Lorsque vous êtes arrivé chez DoubleClick en 1996, la société employait vingt personnes. Aujourd'hui vous êtes 1.800 dans vingt pays. Imaginiez-vous une expansion aussi rapide ?
C'est un peu plus rapide que je le pensais…

Quelles ont été vos règles de management pour gérer cette expansion ?
Rien de nouveau. D'abord d'embaucher les gens qui sont très bons. Ensuite, déléguer. Si quelqu'un veut prendre toutes les décisions, une telle croissance est impossible. Si ça ne marche pas, il faut changer les gens, parce que tout va très vite et qu'on ne peut pas perdre un ou deux ans avec une division qui stagne. On a eu pas mal de résussite avec des gens qui n'avaient pas forcément le profil traditionnel pour le poste mais au début, on était obligé d'embaucher des gens comme ça, puisque personne n'avait d'expérience dans l'Internet. En tout cas, je me concentre sur la gestion des gens plus que sur n'importe quelle autre chose. Je pense à ça tous les jours. Je demande en permanence à mes managers si leur équipe est vraiment la meilleure. Au début, ils disent toujours oui, mais il faut forcer les gens à bouger.

Quels sont vos principaux regrets ?
Au début, en 1996-1997, on aurait pu aller plus vite. Il aurait fallu rentrer dans l'e-mail marketing un an plus tôt. Etre le premier, c'est un avantage très important.

Quels sont vos sites favoris ?
Je regarde les sites d'informations comme Cnet. Mais surtout, je passe beaucoup de temps à surfer sur plein de sites différents, ceux de nos clients et les autres. Je suis toujours en veille. J'utilise aussi énormément Google, qui est un outil fabuleux.

Vous achetez sur Internet ?
Oui beaucoup de livres.

Qu'est-ce que vous aimez sur Internet ?
Le fait qu'on puisse tout trouver, même si je n'y parviens pas toujours… Et puis, le mail. Je ne peux même pas imaginer ce que serait ma vie sans l'e-mail aujourd'hui !

Et qu'est-ce que vous n'aimez pas ?
Le spam. Je passe mon temps à supprimer des messages dans ma boîte aux lettres.

 
Propos recueillis par François Bourboulon

PARCOURS
 

Kevin Ryan a rejoint DoubleClick en 1996, en tant que Chief Financial Officer (CFO). Il a été nommé Chairman et Chife Opérating Officer (COO) en 1997 puis Chief Executive Officer (CEO) en juin 2000. Auparavant, il a notamment travaillé trois ans pour Euro Disney puis occupé le poste de senior vice president of business and finance de United Media, où il a notamment lancé le site Dilbert Zone. Diplômé de Yale, Kevin Ryan est également titulaire d'un MBA de l'INSEAD.


   
 
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