Visiblement
et résolument, le groupe Renault
se met à l'heure de l'Internet. Un ambitieux programme
de développement du constructeur automobile en matière d'e-commerce
a été annoncé le 8 février dernier
(cf. article
du JDNet). 500 millions de francs pour la seule année 2000
seront consacrés à l'Internet par le constructeur
qui vient de nommer un directeur du programme "e-business". Jean-Paul
Mériau est rattaché directement à Louis Schweitzer. Pour le JDNet,
le PDG revient sur sa stratégie en ligne.
Propos recueillis par Rémi Carlioz le 03 mars 2000
.
JDNet.
Internet, chez Renault, c'est de la stratégie industrielle ou
de la communication financière ?
Louis Schweitzer: Renault a clairement décidé d'intégrer
internet dans sa stratégie commerciale avec l'ambition de devenir
le leader des constructeurs européens dans le domaine du e-commerce.
Nous voyons en effet dans le e-commerce à la fois un accélérateur
de croissance rentable, un instrument de maîtrise de notre distribution
de marque et une opportunité d'offrir un service sur mesure au
client. La technologie Internet, dans ses applications de type
extranet ou intranet, est également un formidable outil d'échange
et de partage des informations entre les collaborateurs du groupe,
ainsi qu'entre l'entreprise et ses différents partenaires. J'ai,
par ailleurs, décidé de créer une direction de programme e-business
qui m'est directement rattachée pour coordonner notre stratégie
dans tous les domaines touchant les opportunités offertes par
Internet.
Vous
annoncez un ambitieux programme d'investissement sur le Net. Concrètement,
que proposeront les trois sites dans lesquels Renault se propose
d'investir 500 millions de francs ?
Le montant de 500 millions de francs que vous évoquez ne couvre
que l'investissement prévu pour 2000. Nous poursuivrons les investissements
au-delà de cette date pour nous doter d'une offre e-commerce globale.
Dans ce programme, trois sites sont destinés aux clients particuliers
avec des finalités très différentes. Le site de marque Renault,
Renault.site, permettra au client de configurer le véhicule de
son choix, d'y associer des services, de monter son dossier de
financement et de se connecter avec un concessionnaire pour finaliser
son acte d'achat. Le site d'occasion multi-marques, carevia.com,
proposera des véhicules toutes marques issus de concessions, d'offres
de particuliers, de ventes aux enchères ou de flottes de loueurs,
ainsi que tous les services associés. Enfin un site informatif,
objectif et transparent, sera développé en partenariat avec d'autres
constructeurs pour permettre aux clients de comparer les offres
des différentes marques et de se connecter directement sur le
site du constructeur choisi.
A
quelle échéance peut-on attendre ces sites ?
Le site véhicules d'occasion sera le premier à entrer en activité,
en octobre 2000. Le site d'information et de transaction Renault
sera mis en ligne à partir de fin 2000. Son déploiement débutera
en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Le site multimarques,
lui, verra le jour plus tard.
Jean-Martin
Folz, le patron de PSA, ne croit pas à l'achat de voitures en
ligne, et vous ?
Je suis en parfait accord avec Jean-Martin Folz. L'automobile
est à mes yeux un commerce de proximité. Le réseau commercial
et son professionnalisme jouent un rôle irremplaçable dans la
négociation finale pour apporter un conseil personnalisé au client,
pour lui proposer un essai et pour procéder à la mise en main
du véhicule. Par ailleurs, le poids de l'après-vente dans l'automobile
pour l'entretien et la maintenance crée un lien très fort entre
le produit, la marque et le distributeur.
Le
monopole des concessions va disparaître d'ici peu, de nouveaux
vendeurs apparaissent, dont, entre autres, l'américain
Autobytel. Comment ces échéances sont-elles préparées par Renault
?
Le régime de distribution sélective et exclusive appliqué au secteur
automobile en Europe court jusqu'en octobre 2002. Rien aujourd'hui
ne permet de dire comment il évoluera au delà de cette date. La
Commission européenne travaille sur le sujet et ne devrait pas
rendre ses premières conclusions avant plusieurs mois. Nous misons
sur la compétence et la compétitivité de notre réseau commercial
pour rester un acteur majeur de la distribution automobile, quelle
que soit l'évolution du cadre réglementaire. C'est pourquoi nous
avons engagé une refonte complète de notre système de distribution
pour réduire le délai de livraison de nos véhicules à 15 jours
à l'horizon 2001. Nous menons également une politique de concentration
qui consiste à opérer avec un nombre réduit de distributeurs -des
pivots- capables d'amortir sur plusieurs points de vente et de
services les frais de structures, sans perte de couverture géographique.
Enfin nous développons des enseignes multimarques telles que Carévia
pour le véhicule d'occasion, Autobacs pour les accessoires et
Carlife pour l'entretien et la réparation rapides, afin d'élargir
notre offre commerciale et toucher ainsi de nouveaux clients.
Notre programme de sites internet est également une réponse aux
évolutions prévisibles de la distribution automobile.
Renault
autoriserait-il l'un de ces vendeurs à vendre des Renault ?
C'est la Commission européenne qui réglemente la distribution
automobile en Europe. Toutefois, je ne vous cacherai pas que nous
plaidons pour le maintien d'un système de distribution de type
sélectif et exclusif. Nous pensons en effet qu'un tel système
a démontré son efficacité pour garantir les intérêts du consommateur
et pour faire jouer la concurrence. De plus il correspond bien
aux spécificités du produit automobile qui se distingue notamment
par un lien très fort entre la vente et l'après-vente. J'ajouterai
que seul un réseau de marque possède un savoir-faire complet sur
la vente et l'après-vente, fruit de nombreuses années d'expérience
et d'investissements, pour offrir au client la qualité et la sécurité
d'achat et d'usage de son véhicule.
Renault
et Nissan vont-ils finalement participer à l'extranet marchand
de Ford-Oracle, TradeXchange?
Renault et Nissan font partie de l'accord entre Ford, General
Motors et DaimlerChrysler annoncé récemment et qui vise la création
d'un site internet commun d'achats auprès des fournisseurs.
Qu'en
attendez-vous ?
Il s'agit pour Renault et Nissan d'utiliser ces nouveaux services
pour les achats,mais de manière plus large pour faire des échanges
d'information en temps réel tant pour la logistique que le co-développement.
Ces services seront utilisables par l'ensemble des fournisseurs
pour leurs propres besoins. Au final, ceci nous permettra de mieux
répondre à la demande du client au meilleur coôt et au meilleur
délai.
Votre
vision de l'Internet embarqué dans les véhicules: est-ce un gadget
?
Je pense qu'Internet élargira à terme le champ des communications
et des services offerts en voiture. Mais il reste à adapter les
données disponibles sur Internet aux contraintes d'utilisation
et aux prestations réellement utiles à bord d'un véhicule et à
identifier une véritable demande de la clientèle. L'Internet embarqué
pose également à mes yeux des problèmes d'ergonomie et d'interface
entre l'homme et la machine. Renault mène des études sur tous
ces sujets. En attendant, la voiture communicante est déjà une
réalité chez Renault et nous avons d'ailleurs été pionnier dans
ce domaine. Nous proposons en effet trois systèmes complémentaires
de communication embarquée, le système de navigation Carminat-Navigation,
le système d'information sur le trafic Carminat-Info Trafic et
le système d'appel d'urgence et d'assistance technique Odysline.
Qu'est-ce
qu'Internet a changé dans l'entreprise Renault?
Comme je vous l'ai déjà dit Renault utilise déjà la technologie
Internet au sein de l'entreprise et avec son réseau commercial.
Nous y avons gagné en maîtrise, en rapidité et en partage de l'information.
Plus généralement, Renault utilise un intranet mondial pour ses
communications internes et les intranets de Renault et Nissan
sont maintenant reliés pour accélérer la synergie de l'alliance.
Etes-vous
tenté de suivre l'exemple de Ford qui distribue des PC à ses salariés
?
Aujourd'hui, nous favorisons d'abord un apprentissage des nouvelles
technologies par des programmes de formation et des espaces ouverts
où chacun peut se perfectionner mais, nous observons avec intérêt
ce que font Ford et d'autres.
Selon
vous, qu'est-ce que les conducteurs attendent des sites des constructeurs
?
Je tiens d'abord à préciser que d'après nos enquêtes internet
devrait intéresser environ 60 % de nos clients dans les prochaines
années. Ces clients souhaitent d'abord pouvoir se renseigner librement
sur toutes les composantes de l'offre produits et services du
constructeur. Ils attendent aussi qu'on leur propose un lieu de
rencontre et d'échange avec la marque, aussi bien pour engager
leur acte d'achat, pour suivre leur commande que pour gérer la
vie de leur véhicule. Notre capacité à être réactif devient alors
très importante à leurs yeux. D'où l'importance de notre projet
Nouvelle Distribution auquel j'ai déjà fait allusion.
Que
diriez-vous à un jeune aujourd'hui qui hésite entre l'aventure
industrielle et créer une start-up du Net ?
Qu'il suive son goôt et son talent et pas une mode.
Qu'est
ce qui vous séduit dans l'Internet ?
La possibilité de se promener partout.
Qu'est-ce
qui à l'inverse vous rebute ou vous énerve, techniquement ou en
termes de mentalité ?
La lenteur, les aléas, le manque de rigueur de classement des
sites, l'envahissement publicitaire.
Avez-vous
des sites que vous consultez à titre personnel ?
Je n'ai pas de site préféré.
Quelle
utilisation vos enfants font-ils de l'Internet ?
Elle est négligeable à ce jour
On
vous sait fin lettré, le Net vous apporte-t-il une ouverture supplémentaire
? Croyez-vous au livre numérique et iriez vous volontiers sur
le site de la BNF?
Le net sera clairement la grande librairie du futur. Mais j'aime
lire l'imprimé sur papier.
Achetez-vous
des produits sur le Net, si non pourquoi, si oui lesquels ?
Non.
Mais cela changera.
Seriez-vous
d'accord avec Jacques Attali qui considère l'Internet comme un
"septième continent" à conquérir, ou, plus généralement, quelle
est votre vision des espoirs et méfaits suscités par l'Internet?
Le Net est après la poste, la presse, la radio, le téléphone,
la télévision, le fax, une nouvelle voie d'accélération et de
développement des communications et des relations entre les hommes.
Je ne sais si c'est une rupture ou une étape, je sais qu'elle
est positive et pour la liberté et pour la solidarité des hommes.
Louis Schweitzer,
58 ans, est licencié en droit, diplômé de
l'IEP Paris, ancien élève de l'ENA (promotion "Robespierre").
Il a successivement été affecté à
l'administration générale de l'assistance publique,
chargé de mission au service de l'Inspection générale
des finances, chargé de mission à la direction du
Budget,
administrateur-trésorier de l'Institut Pasteur, directeur
de cabinet du Ministre du Budget Laurent Fabius (1981/1983), directeur
de cabinet de Laurent fabius successivement au ministère
de l'Industrie et de la Recherche (1983/84) puis à matignon
(1984/1986). Entré à la Régie Renault le
1er mai 1986, il a été directeur adjoint, directeur
de la planification, directeur financier et du Plan, directeur
général adjoint, directeur général
et, depuis le 27 mai 1992, PDG de Renault SA, devenu Renault en
juillet 1996. Il a été reconduit dans ses fonctions
le 10 juin 1999.