JDNet.
Quelle est aujourd'hui la cartographie du marché
de l'Internet au Japon ?
Riyako Suketomo.
Selon les derniers chiffres
du ministère des Télécommunications,
le Japon compte 69,7 millions d'abonnés au téléphone
mobile. Parmi eux, 52,9 millions sont abonnés
à un service Internet mobile. Parallèlement,
27,4 millions de japonais sont abonnés à
un service Internet fixe. L'offre RTC reste majoritaire
pour cette population avec environ 23 millions d'abonnés.
Mais l'ADSL se développe très rapidement
et gagne 300 000 nouveaux abonnés par mois.
Un autre marché commence à émerger
: l'accès très haut débit FTTH,
Fiber to the Home, à 100 Mbps. Aujourd'hui 35 000
abonnés bénéficient du FTTH et
le rythme de progression mensuel est de 8 000 abonnements.
Comment
s'explique cette forte pénétration de
l'Internet mobile ?
La réponse est historique. Les
premières offres d'abonnement à l'Internet
fixe étaient très chères au Japon
en raison de la politique tarifaire de NTT sur les télécommunications.
Quand est apparu l'i-Mode en février 1999, développé
par NTT DoCoMo, une structure indépendante de
NTT, l'éléctrochoc commercial a été
immédiat : plus besoin de PC, de FAI et
d'investir dans un forfait onéreux pour surfer.
Les nombreuses campagnes publicitaires de NTT DoCoMo
ont fait le reste. Cette différence de tarif
entre le fixe et le mobile reste encore valable aujourd'hui.
Un abonnement ADSL coûte envrion 3 000 yens
par mois, soit 26 euros. Un abonnement i-Mode de base
est à 300 yens par mois, soit environ 3 euros.
Quels sont
les acteurs en place sur le marché de l'Internet
mobile ?
Ils sont trois opérateurs, avec
en tête l'i-Mode de NTT DoCoMo, le pionnier, qui
compte 32,6 millions d'abonnés. Arrivent derrière
KDDI, avec son service EZweb qui revendique 12,4 millions
d'abonnés, et J-Sky de J-Phone avec 10,3 millions
d'abonnés. Dans le même temps, deux de
ces trois opérateurs ont déjà lancé
des offres 3G. DoCoMo a été le premier,
en septembre 2001, avec son service Foma qui offre un
débit de 384 Kbps. Foma compte aujourd'hui plus
de 100 000 utilisateurs. KDDI a lancé en
avril dernier son service CDMA à 144 Kbps. En
un mois, 330 000 abonnés ont été
enregistrés.
Quelle
utilisation de l'Internet mobile pratiquent les 52 millions
d'abonnés japonais ?
La première utilisation est
l'e-mail. On voit déjà le succès
du SMS en Europe : on peut facilement transposer ce
phénomène mais en étant dans une
logique courrier électronique. Le succès
est tel que sur l'i-Mode l'un des grands problèmes
actuels est le spamming. Les adresses e-mails de DoCoMo
sont élaborées à partir du numéro
de téléphone de l'abonné, par exemple
090123@docomo.ne.jp. Dans ces conditions, il est très
facile d'opérer une opération de mail-marketing
sauvage en générant au hasard des numéros
de téléphone. NTT DoCoMo travaille sur
le sujet pour que les adresses e-mails soient personnalisables
avec des caractères alphabétiques.
Hormis
l'e-mail, quelles sont les autres utilisations ?
On retrouve beaucoup de services communautaires,
des chats, des jeux, des rubriques d'information et
des clubs de rencontre. Le m-commerce est également
très actif. L'année dernière, il
a généré un chiffre d'affaires
de 120 milliards de yens, soit 1 milliard d'euros. 70 %
du marché du m-commerce proviennent des logos
et des sonneries pour téléphone. La réservation
dans le secteur du voyage est également un secteur
qui marche bien avec un chiffre d'affaires de 100 millions
d'euros en 2001.
Finalement,
le m-commerce japonais n'est pas très éloigné
du modèle européen où les sonneries
et logos font une percée remarquable...
Dans un sens, oui. Mais au Japon il
y a toute une chaîne de valeurs dans l'Internet
mobile qui n'existe pas encore en Europe. Sur l'i-Mode,
il existe aujourd'hui plus de 50 000 sites différents,
officiels ou non, dont des sites perso. Très
tôt, les opérateurs japonais ont compris
qu'il était dans leur intérêt de
s'appuyer sur les fournisseurs de contenu pour élargir
le marché. On est très loin de la logique
"Wap lock" tentée par les opérateurs
européens. Le portail i-Mode de NTT DoCoMo comprend
3 000 sites officiels : pour y entrer, un
site doit juste respecter une charte et générer
un certain niveau de trafic. Il s'agit d'un donc d'un
classement. Les sites n'ont pas à payer un ticket
d'entrée pour y figurer. Le système de
réversement s'apparente, lui, au Minitel : 91%
des revenus sont reversés aux fournisseurs de contenu.
La plupart des services payants mobiles sont proposés
pour un abonnement d'environ 300 yens par mois, soit
environ
3 euros. 91 % de ce montant va à l'éditeur
du service.
Pourquoi
cette chaîne de valeurs ne s'est-elle pas encore
développée en Europe ?
La charnière opérateurs-fournisseurs
de contenu ne représente qu'une partie de cette
chaîne de valeurs. Le lien entre les opérateurs
et les constructeurs de téléphones mobiles
est également très important. NTT DoCoMo
a imposé des spécifications techniques
précises sur les terminaux i-Mode. Les téléphones
sont très ergonomiques, disposent d'un écran
large, d'une meilleure qualité sonore et s'utilisent
tous de la même façon. En suivant ce même
principe, l'opérateur KDDI et son service EZweb,
pourtant développé à partir de
la technologie Wap, ont rencontré un important
succès commercial. En Europe, les
constructeurs de téléphones mobiles, tout
comme les opérateurs, font preuve d'indépendance
et cherchent à s'imposer tout au long de la chaîne.
Chacun essaye de tirer la couverture et au total, le
marché ne décolle pas.
Avec une
collaboration plus harmonieuse entre les constructeurs,
les opérateurs et les éditeurs, l'Internet
mobile européen pourrait donc décoller...
Sur le papier, la réponse est
oui. Mais il suffit que l'un des éléments
pèche pour que le marché ne décolle.
On l'a déjà vu avec le Minitel qui n'a
jamais réussi à s'imposer en dehors de
la France.
Quelles
sont les nouvelles applications qui apparaissent aujourd'hui
dans l'Internet mobile japonais ?
L'une des grandes tendances est l'arrivée
de la photo et de la vidéo mobiles. L'été
dernier, J-Phone a lancé le service Sha-Mail
(Ndlr : Sha est un diminutif de photogarphie en japonais).
Avec des téléphones mobiles équipés
d'un objectif, Sha-Mail permet de prendre des photos
et de les expédier directement en pièces
jointes par e-mail. Ce service compte aujourd'hui plus
de 4 millions d'utilisateurs. NTT DoCoMo vient d'ouvrir
un service similaire baptisé i-Shot : chaque
photo expédiée est facturée 17
yens, soit environ 0,15 euro. Sur le plan de la vidéo,
Foma, le service 3G de NTT DoCoMo, propose le service
visiophone. KDDI a, lui, lancé Movie Keitai,
une offre de distribution de vidéo sur les téléphones
mobiles. Ce service est associé à GPS
Keitai qui offre une navigation par satellite. KDDI
a engrangé un million d'utilisateurs pour ces
deux services en cinq mois.
Existe-t-il
un marché publicitaire sur les sites mobiles ?
Tout à fait : on retrouve des
bannières, des sites produits et, surtout, des opérations
de mail-marketing, notamment à l'origine des
problèmes de spamming. Ce qui est de plus en
plus exploité, c'est l'interactivité avec
les autres supports. Les publicités dans la presse
ou à la télévision renvoient aujourd'hui
systématiquement vers une adresse mobile. Depuis
décembre dernier, KDDI teste également
la diffusion de spots vidéo sur les téléphones
mobiles. Ces spots, qui peuvent être envoyés
en même temps qu'une diffusion télé,
comportent un lien permettant à l'internaute
d'aller vers un site ou d'entrer en contact par e-mail.
Dans l'Internet
fixe, en avril dernier, quatre FAI japonais se sont
regroupés pour former un consortium : NEC,
Matsushita Electric Industrial, KDDI et Japan Telecom.
Pourquoi ce regroupement ?
Le paysage
de l'Internet fixe au Japon est très particulier
en comparaison de l'Europe : les marques d'électronique
grand public y jouent un rôle clef. Par exemple
avant la naissance de ce consortium, @nifty, le service
FAI de Fujitsu, était en tête avec 5 millions
d'abonnés. Toutes les marques d'électronique
se sont lancées sur ce marché en distribuant
des kits de connexion avec leurs produits. Maintenant
que l'accès Internet se rationalise, ces mêmes
acteurs se regroupent afin de fédérer
leurs ressources et de diminuer le niveau d'investissement.
C'est un mouvement comparable à ceux vécus
en Europe et aux Etats-Unis, où bon nombre de
FAI ont fermé ou ont été achetés.
Mais s'agissant au Japon de grands groupes, qui tiennent
à leur image de marque, la porte de sortie passe
par un regroupement.
Quelles
sont les autres grandes caractéristiques du marché
Internet japonais ?
Comme
dans beaucoup de secteurs d'activité, c'est un
marché très fermé au plan national.
Les acteurs étrangers qui se sont implantés
au Japon ont dû s'appuyer sur des alliances locales.
Par
exemple Vodaphone
est présent via les 26 % du capital de J-Phone
qu'il détient. AOL Japan est détenu à
plus de 40 % par NTT DoCoMo et Yahoo Japan à
51 % par Softbank.
La période
d'euphorie de la Nouvelle Economie en 1999 et 2000 a-t-elle
était aussi marquée au Japon ?
Tout
à fait : on a vu des centaines de sociétés
se monter sur tout et n'importe quoi. La seule différence
est que les projets portaient, bien évidemment,
sur l'Internet mobile. En revanche, l'activité
de capital-risque étant très limitée
au Japon, ce sont surtout les aides gouvernementales
qui ont financé et soutenu cette période
d'investissement.
Quelle
a été la figure emblématique de
cette période au Japon ?
Sans
conteste Son Masayoshi, le PDG de Softbank, qui a investi
dans l'Internet entre 1999 et 2000 plus de 290 milliards
de yens, soit environ 2,5 milliards d'euros.
Qu'est-ce
que vous aimez dans l'Internet japonais ?
Le niveau
de créativité, le sens du marketing et
de la relation client.
Et dans
l'Internet français ?
Les
portails d'information : ils sont très bien
faits et de plus en plus réactifs.
A l'inverse,
qu'est-ce que vous détestez dans l'Internet japonais ?
La qualité
graphique des sites qui laisse réellement à
désirer.
Et dans
l'Internet français ?
Le sens
de la relation client qui n'est pas encore suffisamment
développé.
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