INTERVIEW 
 
Martin Varsavsky
PDG et fondateur
FON
Martin Varsavsky
"Nous souhaitons créer le premier réseau Wifi au monde d'ici un an"
Le serial entrepreneur argentin, qui a notamment fondé le portail Ya.com et l'opérateur espagnol Jazztel, est à l'origine d'un nouveau projet ambitieux. FON se veut le Skype du Wifi et souhaite devenir sous un an le premier réseau mondial. Martin Varsavsky se confie au JDN.
(25/01/2006)
 
JDN. Vous avez annoncé il y a trois mois la naissance du projet FON. En quoi consiste-t-il ?
  Le site
FON.fr
Martin Varsavsky. Il s'agit de créer un vaste réseau Wifi, unifié, à l'échelle mondiale, et simple d'utilisation, avec un modèle original. Mon souhait avec FON, c'est de diffuser le Wifi partout dans le monde.

Comment avez-vous eu l'idée de lancer ce projet ?
Durant toute une partie de ma carrière d'entrepreneur, j'ai cherché des solutions pour casser les oligopoles dans le secteur des télécoms. Je suis notamment à l'origine du "call back", avec la création en 1990 de la société Viatel. Cela a marqué une révolution dans les appels téléphoniques internationaux : nous installions un logiciel dans les centrales d'appels et tous les appels passaient par les Etats-Unis, seul marché libéralisé à l'époque. Cela a fait chuter le prix des communications de manière vertigineuse. FON reprend le même principe, mais sur le Wifi. Il s'agit d'installer un logiciel sur son routeur Wifi, puis l'on partage sa connexion avec les autres membres de la communauté FON, les "Foneros".

Mais l'idée d'un réseau Wifi libre n'est pas neuve. De nombreux projets se sont succédé et aucun n'a réussi. En quoi FON différerait-il ?
Le réseau FON n'est pas complètement libre. En fait, jusqu'à présent, deux systèmes cohabitaient. On avait, d'un côté, des réseaux comme ceux d'Orange ou Vodafone, où l'on paye plusieurs euros pour 30 minutes de connexion et cela ne fonctionne pas toujours. De l'autre côté, il y avait des extrémistes du tout gratuit, qui ouvraient complètement leur connexion, mais avec un inconvénient : personne n'investissait dans ces réseaux, donc en général c'était un échec. Nous proposons un système intermédiaire, qui se rapproche davantage de celui de Skype.

Pouvez-vous nous décrire son fonctionnement ?
En fait, il y a plusieurs niveaux dans la communauté, avec une tarification spécifique à chaque niveau. Pour les membres de FON, les "Linus", qui peuvent s'inscrire sur notre site Internet, l'accès est complètement gratuit. Ensuite, il y aura un niveau intermédiaire mis en place dans les prochaines semaines, celui des "Bills", qui bénéficieront d'un tarif réduit. Cette formule est faite pour les commerçants, les restaurateurs, les entrepreneurs, qui garderont 50 % des bénéfices issus des connexions du troisième niveau. Ce troisième niveau, c'est celui des "Aliens", pour qui l'accès via la connexion des Foneros est payant : 1,50 euro pour 30 minutes, 5 euros pour 24 heures, ou 35 euros par mois, mais qui pourront ainsi bénéficier d'un accès Wifi partout dans le monde grâce à la communauté FON. Nous pensons que le modèle est sain financièrement : il y a aujourd'hui 3.000 Foneros, au milieu de 650 millions d'utilisateurs d'Internet. Si tout le monde utilise notre système, nous courons à la perte, mais là, il y a encore une marge. Et, une fois encore, Skype a montré que ce modèle était viable.

Des membres dans 53 pays"
Comment avez-vous mis en place la structure FON ?
Au niveau international, elle a été créée il y a trois mois, et FON France il y a un mois. Et aujourd'hui nous comptons des membres dans 53 pays. Nous avons également créé des structures en Espagne, en Suède, aux Etats-Unis, au Japon, en Allemagne. Pour chaque FON locale, la composition de la société est la même : elle appartient à 10 % aux représentants locaux et à 90 % à la holding FON. Dans notre bureau exécutif, nous avons réuni des personnes qui travaillaient auparavant avec moi à Ya.com ou chez Jazztel, et le directeur de la stratégie était en poste chez O2. En France, Tariq Krim, fondateur de Génération MP3 et de Netvibes, nous a notamment rejoints, au Japon, c'est le fondateur de Technorati Joichi Ito, etc. Dans chaque pays où nous sommes présents, nous pouvons compter sur le soutien de plusieurs leaders d'opinion, notamment des blogueurs actifs qui vont assurer notre promotion.

Nous voulons jouer à fond sur l'aspect communauté"
Justement, comment communiquez-vous sur votre projet ? L'aspect communautaire semble avoir une place importante.
En effet, nous voulons jouer à fond sur cet aspect communauté. Ainsi, quand on se connectera à partir d'un point, le site indiquera quelles sont les connexions disponibles dans le quartier, en présentant chacun des Foneros. Cela peut même être un moyen de rencontrer ses voisins : un tel, dans le quartier, est Fonero, vous pouvez entrer en contact avec lui. Nous montons ainsi un projet avec Google Map pour visualiser sur une carte tous les Foneros et donc leurs connexions Wifi. Nous disposons également d'un blog, sur lequel il est possible de suivre l'actualité de FON. Les Foneros qui se connecteront pourront enfin disposer d'une page personnalisée. Nous essayons de rendre le projet sympathique, convivial. Pas comme certains opérateurs qui, dès la connexion, vous disent "vous devez payer tant"…

Où en est la couverture ?
Pour l'instant, donc, nous en sommes à un peu plus de 3.000 Foneros dans le monde. En France, ils sont à peu près 350 et la couverture est assez homogène, même si Paris et Toulouse prédominent.

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Négociez-vous avec les opérateurs, qui pourraient voir votre arrivée d'un très mauvais œil ?
Oui, bien sûr, nous avons commencé à discuter avec quasiment tous les opérateurs : Wanadoo, Neuf, Club Internet, etc. Il est important de préciser que nous sommes très respectueux de leur travail, nous ne sommes pas là pour ouvrir un réseau complètement libre. Nous voulons seulement apporter un service à leurs clients, qui pourront, grâce à nous, bénéficier d'un accès Wifi partout dans le monde, avoir un roaming efficace.

Tout bénéfice pour les opérateurs"
Concrètement, que proposez-vous aux opérateurs lors des négociations ?
Pour eux, c'est tout bénéfice, puisque les frais sont engagés par FON. Ils peuvent même bénéficier de revenus supplémentaires grâce à nous. Nous leur offrons un pourcentage de ce que nous gagnons sur les connexions des "Bills" et des "Aliens", ainsi qu'un paiement par abonné Fonero. Sans compter que nous les associons à une marque au fort potentiel, à une communauté qui peut leur apporter beaucoup en termes de marketing.

En est-il de même avec les opérateurs mobiles ?
Nous ne discutons pas avec eux, mais nous n'avons aucune intention de vendre des téléphones. En revanche, il est certain que notre modèle aura certainement un meilleur écho chez les opérateurs fixes, pour qui le Wifi représente une petite revanche. La technologie Wifi est bien plus puissante que le GSM ou l'UMTS puisqu'elle peut être diffusée dans des endroits où ceux-ci ne vont pas, dans les caves, dans les transports par exemple. Et le Wifi ne nécessite pas l'installation d'antennes relais sur les toits, mais un simple routeur posé près des fenêtres.

Quels sont vos objectifs à court terme ?
Nos objectifs sont très simples : nous souhaitons devenir en un an le réseau Wifi le plus dense au monde. C'est tout à fait réalisable puisque aujourd'hui, au niveau mondial, le premier réseau est celui de T-Mobile, qui possède 24.000 hotspots. Or, le potentiel est énorme, notamment en France avec plus de 9 millions de connexions ADSL qui pourraient se transformer en autant de hotspots. La couverture en Wifi est aujourd'hui encore très faible. En Espagne, par exemple, on ne recense que 1.300 hotspots.

Un investissement personnel de plusieurs millions d'euros"
Votre modèle fait que les revenus devraient être faibles à l'origine. Qui investit dans FON ?
En effet, nous ne tablons pas sur d'importants revenus la première année et ne pensons pas dégager de bénéfices dans l'immédiat. J'ai investi personnellement sur ce projet, sur le capital accumulé tout au long de ma carrière. Je ne peux pas dévoiler le montant de l'investissement, mais il est de plusieurs millions d'euros. De plus, il est fort probable que de nouveaux associés se joignent au projet dans le courant de l'année.

Comment gérez-vous les problèmes de sécurité qui pourraient intervenir dans les connexions Wifi ?
Il faut bien comprendre qu'aucune connexion n'est totalement sûre. Si l'on veut une sécurité totale, il ne faut pas se connecter ! Mais comme FON n'est pas un réseau complètement ouvert, je pense que nous devrions gérer d'éventuels problèmes. De plus, pour utiliser FON, il faut s'enregistrer au préalable sur le site. La connexion n'est donc pas anonyme, on délivre un login et un mot de passe. Je pense même que notre projet est plus sûr que les réseaux Wifi qui existent pour l'instant.

Avec quel routeur FON fonctionne-t-il ?
Pour l'instant, nous fonctionnons avec un seul routeur, le Linksys WRT54GL. Mais, très rapidement, une quinzaine de modèles devraient suivre.

Vous êtes à l'origine de plusieurs projets dans le domaine de l'Internet, vous y avez créé de nombreuses entreprises. Comment FON s'inscrit-il dans votre parcours personnel ?
  Le site
FON.fr
Mon obsession a toujours été d'apporter des connexions, de faciliter l'accès à Internet. J'ai investi dans un projet d'équipement d'écoles en Argentine et au Chili, actuellement FON travaille aussi sur un projet pour délivrer des connexions Wifi dans le quartier de Harlem à New York, il y a donc aussi dans ce projet une vision sociale, que l'on pourrait recréer dans plusieurs pays dont la France. Et le potentiel est énorme dans une ville comme Paris, qui compte tant de touristes, qui, avec FON, pourraient se connecter à Internet sur leur ordinateur portable pour le prix d'un ticket de métro.
 
 
Propos recueillis par Nicolas RAULINE, JDN

PARCOURS
 
 
Martin Varsavsky, 46 ans, argentin, est le fondateur de FON. Auparavant, il a créé trois autres entreprises dans le domaine des nouvelles technologies. Il est à l'origine de l'entreprise américaine Viatel en 1991, spécialisée dans les communications téléphoniques internationales à bas prix.

En 1997, il fonde en Espagne Jazztel, un opérateur qui entre en concurrence avec Telefonica, puis Ya.com en 1999, un portail Internet qui devient l'un des sites les plus fréquentés en Espagne avant d'être vendu à T-Online en septembre 2000 pour 550 millions d'euros.

Auparavant, dans les années 1980, il avait créé deux autres entreprises, Urban Capital Corporation, puis Medicorp Services, société canadienne de biotechnologie spécialisée dans la lutte contre le Sida.

Et aussi : Martin Varsavsky a également créé la Fondation Varsavsky, qui vise la démocratisation et la modernisation des systèmes éducatifs en Argentine et au Chili. Il siège aussi au comité directeur de la Fondation Bill Clinton, au bureau de l'école de commerce espagnole Instituto de Empresa et à la Peaceworks Onevoice Foundation.

Martin Varsavsky a été élu entrepreneur européen des télécoms en 1998, entrepreneur européen ECTA de l'année en 1999, Global Leader for Tomorrow par le Forum économique mondial de Davos en 2000 et entrepreneur de l'année en Espagne par iBest en 2000.

   
 
 
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