INTERVIEW
 
Directeur adjoint du département Politique et Opinion
Sofres
Didier Witkowski
"Titre"

L'Internet est là. Pas un candidat déclaré pour la prochaine élection présidentielle n'échappe au lancement de son site de campagne. Reste à savoir les enjeux réels de cette immixtion du Net dans la sphère politique : quel est le penchant politique de l'électorat internaute ? Comment les candidats comptent-ils exploiter ce média ?

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Didier Witkowski, qui a mené au sein de la Sofres plusieurs études sur le sujet, apporte des premiers éléments de réponse. La Sofres a d'ailleurs choisi de s'appuyer sur Internet en lançant un site dédié aux prochaines échéances électorales : 2002.sofres.com. Dernières études, baromètres et données chiffrées depuis 1969 y sont regroupés.

14 février 2002
 
          

JDNet. La population internaute française est souvent définie comme étant plus jeune et plus active que la moyenne. Mais comment se définit-elle sur le plan politique ?
Didier Witkowski. Les études que nous avons menées sur le sujet confirment les grandes tendances qui sont attribuées traditionnellement à cette population : elle est plus jeune, plus urbaine et d'un niveau d'instruction plus élevé que la moyenne. En schématisant, nous sommes en face d'une population dont l'archétype est le jeune cadre urbain. Or il s'agit d'un profil davantage sensible aux valeurs économiques et libérales. L'électorat internaute est donc très spécifique. En mai 2000, nous avions réalisé une étude sur le sujet avec Le Figaro Magazine. L'étude démontrait que la population internaute disposait d'un léger penchant pour la droite avec sept points d'opinion de plus que l'ensemble des Français. L'autre constat remarquable de cette étude était le niveau d'attraction des internautes pour la politique : 63 % indiquaient s'y intéresser, contre 38 % en moyenne sur la population française. C'est un corollaire tout à fait logique au niveau d'instruction élevé enregistré parmi les internautes. De plus, la Toile permet d'avoir un accès à l'information plus important.

Sur une échelle gauche-droite, comment se caractérise la population internaute ?
La courbe classique gauche-droite de l'électorat français est en bosse avec un pic prononcé sur le centre. Sur la population internaute, cette forme de courbe se maintient tout en s'aplatissant au centre et en étant plus prononcée sur les extrêmes. L'étude démontrait que l'extrême-gauche et l'extrême-droite bénéficaient de trois à quatre points de plus que la moyenne nationale. Cette sur-représentation des extrêmes s'explique par une utilisation active de l'Internet. Les extrêmes, qui ont peu accès aux médias classiques, ont trouvé avec la Toile un support de communication. En outre, Internet est un vecteur idéal pour faire passer des messages du type "on nous cache tout" ou "anti-système". La force communautaire du Net bénéficie aux extrêmes.

Pour l'élection présidentielle, chaque candidat déclaré, ou presque, se dote d'un site de campagne. Le média Web est-il devenu un enjeu de campagne en 2002 ?
Ceux qui imaginent que les prochaines élections vont se jouer sur Internet risquent d'être deçus. La principale raison en est, tout simplement, le niveau d'intérêt des candidats pour la Toile. Internet n'est pas perçu, à juste titre, comme un média de masse mais comme un média de niches. Les actions Internet entrent donc dans la panoplie de communication des candidats mais n'en sont pas, loin s'en faut, la charnière principale. Rien qu'en télévision, les politiques privilégient un passage sur les trois premières chaînes afin d'être sûrs de bénéficier d'un impact de masse. Un simple "chat" sur Internet ne peut aujourd'hui rivaliser.

Mais si Internet n'est pas un support de communication de masse, n'est-il pas alors un média qui permet aux candidats de façonner leur image ?
C'est probablement le véritable attrait du Web. Mais là encore, les candidats montrent un niveau d'intérêt faible. Les ressources offertes par Internet, notamment au niveau du marketing, sont sous-utilisées. De plus, même au niveau du travail de l'image, la Toile pose problème aux yeux des candidats. C'est un espace de communication qui est perçu comme étant peu structuré et sur lequel les principaux risques sont surtout de se retrouver piraté, détourné et déformé.

Quels sont les éléments qui pourraient rassurer les politiques sur la pertinence du Net ?
C'est avant tout un signal de crédibilité. Cette crédibilité sur le plan média s'acquiert en devenant une source d'information. Sur Internet coexistent des sites officiels, des portails, des sites personnels, des sites politiques... Et le contenu circule abondamment entre ces familles de sites, sans beaucoup de traçabilité. Cette caisse de résonance brouille la qualité même de l'information. Or l'intérêt de la classe politique pour Internet viendra dès lors que les autres médias seront obligés d'y faire référence comme source d'information. C'est un travail de longue haleine.

Malgré ce manque de crédibilité, Internet s'avère souvent être l'aiguillon qui provoque des mutations. C'est le cas du cadre juridique sur la période d'interdiction de publication des sondages électoraux à l'approche des scrutins, qui vient d'être ramenée à 48 heures...
C'est vrai que la montée en puissance de l'Internet provoque ou souligne de nouvelles problématiques. Concernant l'interdiction de diffusion des sondage électoraux, la pression Internet a fait reculer une loi qui spécifiait sept jours d'interdiction de publication. Cette loi était anti-démocratique et ne correspondait plus aux nouvelles réalités. Mais ce rôle moteur dont peut disposer l'Internet se retourne encore contre lui : le Web est jugé comme un élément troublant dans le paysage.

En retournant l'éclairage, quel est le poids actuel de l'Internet dans le discours politique ?
Tout comme la Nouvelle Economie, Internet a provoqué il y a quelques années un effet de mode dans la sphère politique, avec ses excès. Aujourd'hui le paysage n'est plus le même. Le thème de la fracture numérique est, par exemple, devenu tabou en 2002. Et, au final, les candidats se positionnent très peu sur le terrain direct des NTIC. Le volet économique devenant moins légitime, le discours politique autour de l'Internet évolue vers une problématique sociétale. Le Net devient aujourd'hui une sorte d'enjeu national avec des thématiques électorales comme l'accès et l'e-mail pour tous, le développement du haut débit, la connexion des écoles et l'administration en ligne.

Ce changement de discours politique sur l'Internet n'est-il pas le reflet du courant anti-mondialisation, dans lequel le Web peut être englobé  ?
Je ne pense pas. Les fondations du courant anti-mondialisation portent davantage sur les actions des grands groupes, des multinationales et sur les mécanismes de fusions et acquisitions. Internet est à la marge par rapport à cette logique. En fait, l'évolution naturelle du Web fait que l'Internet au niveau du grand public est de plus en plus perçu comme une thématique appartenant au monde des loisirs et des médias.

 
Propos recueillis par Ludovic Desautez

PARCOURS
 
Didier Witkowski, 34 ans, est directeur adjoint du département politique et opinion de la Sofres. Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, il est également titulaire d'une maîtrise de droit public et d'un DEA de sociologie. Entré à la Sofres en 1992, il se spécialise dans les enquêtes quantitatives et prend en charge la plupart des enquêtes d'opinion réalisées pour la presse. Depuis quelques années, il développe les études réalisées auprès des jeunes et dans le domaine de l'enseignement. Plus récemment, il a supervisé plusieurs enquêtes sur la perception des nouveaux enjeux scientifiques et technologiques.

   
 
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