JDNet.
La population internaute française est souvent
définie comme étant plus jeune et plus
active que la moyenne. Mais comment se définit-elle
sur le plan politique ?
Didier Witkowski.
Les études que nous avons menées sur le
sujet confirment les grandes tendances qui sont attribuées
traditionnellement à cette population :
elle est plus jeune, plus urbaine et d'un niveau d'instruction
plus élevé que la moyenne. En schématisant,
nous sommes en face d'une population dont l'archétype
est le jeune cadre urbain. Or il s'agit d'un profil
davantage sensible aux valeurs économiques et
libérales. L'électorat internaute est
donc très spécifique. En mai 2000, nous
avions réalisé une étude sur le
sujet avec Le Figaro Magazine. L'étude démontrait
que la population internaute disposait d'un léger
penchant pour la droite avec sept points d'opinion
de plus que l'ensemble des Français. L'autre
constat remarquable de cette étude était
le niveau d'attraction des internautes pour la politique :
63 % indiquaient s'y intéresser, contre
38 % en moyenne sur la population française.
C'est un corollaire tout à fait logique au niveau
d'instruction élevé enregistré
parmi les internautes. De plus, la Toile permet d'avoir
un accès à l'information plus important.
Sur
une échelle gauche-droite, comment se caractérise
la population internaute ?
La courbe classique gauche-droite de
l'électorat français est en bosse avec
un pic prononcé sur le centre. Sur la population
internaute, cette forme de courbe se maintient tout
en s'aplatissant au centre et en étant plus prononcée
sur les extrêmes. L'étude démontrait
que l'extrême-gauche et l'extrême-droite
bénéficaient de trois à quatre
points de plus que la moyenne nationale. Cette sur-représentation
des extrêmes s'explique par une utilisation active
de l'Internet. Les extrêmes, qui ont peu accès
aux médias classiques, ont trouvé avec
la Toile un support de communication. En outre, Internet
est un vecteur idéal pour faire passer des messages
du type "on nous cache tout" ou "anti-système".
La force communautaire du Net bénéficie
aux extrêmes.
Pour
l'élection présidentielle, chaque candidat
déclaré, ou presque, se dote d'un site
de campagne. Le média Web est-il devenu un enjeu
de campagne en 2002 ?
Ceux qui imaginent que les prochaines
élections vont se jouer sur Internet risquent
d'être deçus. La principale raison en est,
tout simplement, le niveau d'intérêt des
candidats pour la Toile. Internet n'est pas perçu,
à juste titre, comme un média de masse
mais comme un média de niches. Les actions Internet
entrent donc dans la panoplie de communication des candidats
mais n'en sont pas, loin s'en faut, la charnière
principale. Rien qu'en télévision, les
politiques privilégient un passage sur les trois
premières chaînes afin d'être sûrs
de bénéficier d'un impact de masse. Un
simple "chat" sur Internet ne peut aujourd'hui
rivaliser.
Mais
si Internet n'est pas un support de communication de
masse, n'est-il pas alors un média qui permet
aux candidats de façonner leur image ?
C'est probablement le véritable
attrait du Web. Mais là encore, les candidats
montrent un niveau d'intérêt faible. Les
ressources offertes par Internet, notamment au niveau
du marketing, sont sous-utilisées. De plus, même
au niveau du travail de l'image, la Toile pose problème
aux yeux des candidats. C'est un espace de communication
qui est perçu comme étant peu structuré
et sur lequel les principaux risques sont surtout de
se retrouver piraté, détourné et
déformé.
Quels
sont les éléments qui pourraient rassurer
les politiques sur la pertinence du Net ?
C'est avant tout un signal de crédibilité.
Cette crédibilité sur le plan média
s'acquiert en devenant une source d'information. Sur
Internet coexistent des sites officiels, des portails,
des sites personnels, des sites politiques... Et le
contenu circule abondamment entre ces familles de sites,
sans beaucoup de traçabilité. Cette caisse
de résonance brouille la qualité même
de l'information. Or l'intérêt de la classe
politique pour Internet viendra dès lors que
les autres médias seront obligés d'y faire
référence comme source d'information.
C'est un travail de longue haleine.
Malgré
ce manque de crédibilité, Internet s'avère
souvent être l'aiguillon qui provoque des mutations.
C'est le cas du cadre juridique sur la période
d'interdiction de publication des sondages électoraux
à l'approche des scrutins, qui vient d'être
ramenée à 48 heures...
C'est vrai que la montée en
puissance de l'Internet provoque ou souligne de nouvelles
problématiques. Concernant l'interdiction de
diffusion des sondage électoraux, la pression
Internet a fait reculer une loi qui spécifiait
sept jours d'interdiction de publication. Cette loi
était anti-démocratique et ne correspondait
plus aux nouvelles réalités. Mais ce rôle
moteur dont peut disposer l'Internet se retourne encore
contre lui : le Web est jugé comme un élément
troublant dans le paysage.
En
retournant l'éclairage, quel est le poids actuel
de l'Internet dans le discours politique ?
Tout comme la Nouvelle Economie, Internet
a provoqué il y a quelques années un effet
de mode dans la sphère politique, avec ses excès.
Aujourd'hui le paysage n'est plus le même. Le
thème de la fracture numérique est, par
exemple, devenu tabou en 2002. Et, au final, les candidats
se positionnent très peu sur le terrain direct
des NTIC. Le volet économique devenant moins
légitime, le discours politique autour de l'Internet
évolue vers une problématique sociétale.
Le Net devient aujourd'hui une sorte d'enjeu national
avec des thématiques électorales comme
l'accès et l'e-mail pour tous, le développement
du haut débit, la connexion des écoles
et l'administration en ligne.
Ce
changement de discours politique sur l'Internet n'est-il
pas le reflet du courant anti-mondialisation, dans lequel
le Web peut être englobé ?
Je ne pense pas. Les fondations du
courant anti-mondialisation portent davantage sur les
actions des grands groupes, des multinationales et sur
les mécanismes de fusions et acquisitions. Internet
est à la marge par rapport à cette logique.
En fait, l'évolution naturelle du Web fait que
l'Internet au niveau du grand public est de plus en
plus perçu comme une thématique appartenant
au monde des loisirs et des médias.
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