JDN.
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de réactualiser
votre rapport sur les PME et Internet ?
Jean-Michel Yolin.
A l'origine, c'est un rapport que j'ai réalisé
en 1996 sur commande de Franck Borotra, qui était
ministre de l'industrie, de la Poste et des Télécommunications
dans le gouvernement d'Alain Juppé II. A l'époque,
les débats autour des enjeux Internet appliqués
aux PME-PMI débutaient en France. Mon rapport
avait pour objectif d'éclaircir l'action du gouvernement
dans ce domaine. Aujourd'hui, nous sommes dans une autre
problématique.
De
quelles manières les entreprises peuvent-elles
tirer parti des nouvelles technologies ?
Le principal intérêt se
situe dans les relations inter-entreprises. En ce qui
concerne les grands groupes, le développement
de standards techniques et de protocoles d'échanges
de données hétérogènes a
favorisé ce mouvement. Nous sommes passés
d'une approche "ponts-et-chaussées"
avec des schémas directeurs bien cadrés
à une vision plus biologique avec des développements
permanents.
Auriez-vous
un exemple concret pour illustrer cette "vision
biologique" ?
Dans le domaine de l'aéronautique, nous observons
un phénomène de grappes d'entreprises
avec un recours important à l'externalisation
des prestations. Il arrive que la sous-traitance soit
poussée jusqu'au quatrième niveau. Confrontée
à des soucis de réduction des coûts
de production et de délais de conception, l'industrie
aéronautique réfléchit au moyen
d'intégrer les sous-traitants dans un mode "cluster".
C'est l'une des principales problématiques du
programme BoostAero et de sa composante e-PME. Le vice-président
de Boeing, en charge de la stratégie des systèmes
d'information, a l'habitude de dire que dans la conception
d'un avion, il y a 80 % d'info-management et 20 %
de produits physiques. C'est sur le premier volet que
l'on peut obtenir des gains de productivité,
notamment en maîtrisant les nouvelles technologies.
Après une première véritable impulsion
en décembre, le Groupement des Industries Françaises
Aéronautiques et Spatiales (Gifas) devrait aboutir à
une harmonisation des standards dans le courant de l'année,
quitte à adopter les modèles américains.
Quels grands groupes français
ont donné l'impulsion dans ce domaine ?
En 1999, la banque d'affaires Morgan
Stanley estimait qu'Usinor était le groupe industriel
qui avait intégré au mieux les enjeux
Internet. A l'époque, Francis Mer était
aux commandes de l'entreprise. Il considérait
que la moitié du capital d'Usinor passait son
temps à rouiller à travers le système
d'organisation clients-fournisseurs et les outils de
production. L'enjeu majeur pour le groupe n'était
pas la création d'un site Web ou de faire du
commerce électronique, il s'agissait surtout
de restructurer l'ensemble de la chaîne clients-fournisseurs
pour être capable de vendre des solutions en acier
dans une logique de fabrication sans stock. Autre exemple :
Renault a également donné le ton en nommant
Jean-Pierre Corniou à la tête de sa direction
des systèmes d'information. Celui-ci n'a pas
un profil d'ingénieur ou d'informaticien. Le
groupe automobile a choisi un représentant du
comité exécutif pour qu'il prenne la main
sur l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise.
Le système de gestion des conseils d'administration
des filiales du groupe et leur interconnexion est intéressant
d'un point de vue gouvernance d'entreprise. Un autre
exemple encore : la Snecma est efficace dans ses
relations e-business avec General Electric et dans son
process de services après-vente.
Quel bilan dressez-vous de
l'état de la compétitivité numérique
des PME en France ?
Le paysage des PME en France est très
hétérogène mais elles ont en point
commun une grande marge de progrès à réaliser
dans le domaine des nouvelles technologies. Je pense
que cela est dû à des différences
d'approche culturelle. J'estime que la fracture se situe
entre les pays de culture latine, basés sur un
système hiérarchique, et les pays de culture
anglo-saxonne, très orientés réseaux.
Une récente étude de l'OCDE montre que
la France est placée numéro quatre mondial
pour la qualité de ses ingénieurs, ce
qui est une place relativement honorable. Mais elle
occupe la dix-neuvième place pour la capacité
de ses structures à s'adapter à la nouvelle
approche de l'Internet. Un score d'autant moins brillant
que l'OCDE comprend vingt-cinq pays membres. Inéluctablement,
la France va s'adapter à l'économie de
réseaux, mais cela se fera sous la contrainte,
pour faire face à la concurrence.
Quels
conseils donneriez-vous aux PME qui souhaitent tirer
des avantages des outils Internet ?
La messagerie électronique est
indispensable. Ensuite, Il faut un diagnostic personnalisé
- avec un oeil extérieur si
possible - pour régler le curseur des vrais enjeux
de l'Internet. Les entrepreneurs ne doivent pas se laisser
aveugler par des recettes de cuisine sur les nouvelles
technologies que vendent les opérateurs et les
prestataires. Les PME-PMI ont trop tendance à
croire que l'usage de l'Internet se résume à
la création d'un site Internet vitrine ou au
commerce électronique BtoC.
Estimez-vous que la communication
des pouvoirs publics pour sensibiliser les PME aux
nouvelles technologies est efficace ?
Non. Mais je ne suis pas sûr que
la communication institutionnelle soit la meilleure
façon pour appréhender les enjeux. La
création d'un guichet unique poserait des soucis
de légitimité. Seul le travail de terrain
marche à travers les administrations locales,
les chambres de métiers, de commerce ou d'agriculture.
Ces relais locaux, proches des entreprises, doivent
prendre conscience de la nécessité d'intégrer
les outils Internet pour développer la compétitivité.
Ils peuvent s'appuyer sur des exemples de réussites
par secteurs d'activités.
Cela reste compliqué,
non ?
Il faut être pragmatique : en juillet 2003, nous
avons créé le réseau R@cines de
diffusion des technologies de l'information dans les
PME. Il a vocation à servir de tronc commun pour les
échanges d'information entre les différents réseaux
partenaires (Acfi, Drire, réseau l'Echangeur
)
déployés sur le terrain. Autre exemple concret : en
avril 2003, le programme e-PME a été lancé
sous l'impulsion conjointe des donneurs d'ordre aéronautiques
(Dassault, Thalès, Snecma
), des régions (collectivités
locales, Drire, CCI, Chambres syndicales, réseau R@cine,
etc.) et de l'Afnet
(Association Française des Utilisateurs du Net) animée
par Pierre Faure, directeur e-business de Dassault Aviation.
Selon le député
Jean-Pierre Charié, qui a écrit un rapport
sur la compétitivité numérique
des PME, l'Etat accorde 100 millions d'euros pour développer
l'usage des nouvelles technologies au sein des entreprises.
Pensez-vous que cela soit efficace ?
Je n'en suis pas convaincu. Le fond du
sujet n'est pas lié à l'argent ou aux
programmes de subventions. Il faut que les entreprises
prennent conscience qu'en investissant 1, elles voient
un retour 10 dans l'année, ne serait-ce que sur
les économies engendrées. De manière
basique, l'usage de la messagerie électronique
permet déjà d'aboutir à des économies.
Quel est votre site d'information
favori ?
Le moteur de recherche Google. L'outil
Kartoo est également intéressant d'un
point de vue relationnel.
Quel est votre e-service public
favori ?
Les portails Adminet.fr
et service-public.fr.
Comment
utilisez-vous votre site personnel Yolin.Net ?
Je l'ai mis en ligne en 1996. Il m'a
servi de journal de bord lors de l'élaboration
du rapport initial sur les PME et Internet. C'est un
outil d'action qui m'a permis de mettre à disposition
des internautes des rapports d'étapes avant la
version définitive. Je continue à le tenir
à jour chaque semaine. Le développement
des outils collaboratifs type Wiki m'intéresse
beaucoup également.
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Jean-Michel Yolin, ancien élève de l'Ecole Polytechnique
(promotion 1965) et de l'Ecole Nationale Supérieure des
Mines de Paris (promotion 1968), est ingénieur général
des mines. Au sein du Conseil général des Mines, il préside
la section innovations, développements économiques
, enseignements et recherches rattachée au ministère
de l'Economie et des Finances. Jean-Michel Yolin a débuté
sa carrière en région, d'abord au service des mines,
puis comme chargé de mission auprès du Préfet de région
du Nord-Pas-de-Calais. De 1982 à 1986, il est directeur
de la chimie, du textile et des industries diverses au
ministère de l'industrie. De 1986 à 1992, il occupe les
fonctions de Directeur régional de l'Industrie, de la
Recherche et de l'Environnement d'Ile-de-France et Inspecteur
Général des Carrières de la Ville de Paris. De 1992 à
1996, il est appelé au ministère de la Recherche et de
la Technologie comme directeur de l'Innovation de la Technologie
et de l'Action Régionale. Il rejoint le Conseil Général
des Mines (CGM) en mai 1996, où il est chargé de nombreuses
missions intéressant le développement industriel, l'enseignement
supérieur et l'innovation. Il préside la nouvelle section
"innovation et entreprises" commune au CGM et
au Conseil Général des Technologies de l'Information en
s'investissant tout particulièrement dans les questions
posées par l'irruption des NTIC dans l'économie. Jean-Michel
Yolin est également administrateur de l'Issoc,
de l'Afuu, de l'AFTT et du Club de l'Arche. |