Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Le
droit
des espaces de communication
de l'Internet
-
Mardi 27 mars 20001 -
Forums
de discussion, chats, mailing listes, petites annonces ou
techniques de co-navigation permettent aux internautes de
s'exprimer.Quelles mesures faut-il prendre pour atténuer,
voire transférer la responsabilité du maître du site?
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par
Eric Barbry, avocat au barreau de Paris, président
de Cyberlex
|
L'Internet
est devenu un espace marchand mais il ne faudrait pas oublier
qu'il est avant tout un espace de communication, d'expression,
un lieu d'échanges d'idées et de propos en tout genre. C'est
ainsi que sont nés les forums de discussion, les chats, les
mailing listes, sites de petites annonces ou plus récemment,
les techniques de co-navigation qui permettent aux internautes
de s'exprimer. Modération ou non de ses espaces de communication,
protection ou non de l'anonymat, contenu des messages diffusés,
... sont autant de questions que le "Maître" de l'espace de
communication doit prendre en compte, et pour cause, sa responsabilité
pourrait bien être engagée quant aux messages diffusés. Que
la responsabilité soit engagée n'est pas un problème en soit,
ce qui l'est plus, c'est qu'elle puisse être admise par un
tribunal.
Pour ce
faire il est important de prendre les mesures de nature à
atténuer, parfois à transférer la responsabilité du maître
du site. Il n'est pas question ici de tomber dans le travers
du tout "disclaimer". Nombreux sont en effet les sites qui
comportent un ou plusieurs messages précisant en quelques
mots que "le site ne saurait être responsable des messages
diffusés". Cela fait bien longtemps que le droit refuse de
légitimer les déclarations unilatérales d'irresponsabilité.
Comment pourrait on d'ailleurs imaginer qu'il en soit autrement
! Est-ce à dire que le "disclaimer" n'a pas d'avenir? Certainement
pas. Il a comme tout acte juridique un triple rôle : un rôle
d'information et de sensibilisation (le maître du site rappelle
les règles du jeu), un rôle probatoire (il démontre qu'il
a pris des mesures de nature à informer), l'internaute étant
averti on peut considérer que le disclaimer a un rôle d'atténuation
de la responsabilité du maître du site et d'aggravation de
celui qui, ainsi avisé, a violé les règles du jeu. Encore
faut-il que le disclaimer soit rédigé dans des termes "acceptables",
à savoir qu'il ne décrète pas l'irresponsabilité de l'un et
la responsabilité entière de l'autre, mais qu'il explicite
les raisons pour lesquelles le maître du site ne pourrait
pas être responsable des messages échangés.
Plus généralement
le disclaimer est l'arbre qui cache la forêt ; il est en effet
une bien insuffisante "parade" qui ne permet pas de résoudre
l'ensemble des droits et obligations des parties en présence,
à savoir le maître du service d'un coté et les utilisateurs
de ce même service d'autre part. Le maître du service s'autorise-t-il
à contrôler les messages, peut-il supprimer un message, peut-il
même supprimer temporairement ou définitivement un espace
de communication, a t-il le droit (ou le devoir) de communiquer
les informations dont il dispose sur l'émetteur d'un message
incriminé, qui peut accéder à l'espace, qui est responsable
de quoi, qui gère et comment est gérée la collecte de données
personnelles? Tout ceci se règle normalement dans un document
bien plus complet que ne l'est le disclaimer et que l'on appelle
de manière codée, les CGUS, autrement dit les Conditions Générales
d'Utilisation du Service.
Très
nombreux sont encore les sites qui ne disposent ni de disclaimer,
ni de CGUS ; or les contentieux relatifs aux messages diffusés
au sein de ces espaces de communication vont grandissants
sur des fondements aussi variés que l'injure, la diffamation,
les propos révisionnistes, racistes, la pédophilie, la contrefaçon,
l'atteinte à la vie privée, pour n'en citer que quelques uns.
Le
maître d'un site sera sans nul doute considéré comme l'éditeur
ou le "maître" de l'espace de communication. |
S'agissant
de la responsabilité, nombreux, là encore, sont ceux qui s'estiment
protégés par la loi du 1er août 2000 qui traite de la délicate
question de la responsabilité des professionnels de l'Internet.
L'analyse est pour le moins hasardeuse dans la mesure où le
texte de la loi vise expressément les fournisseurs d'accès
et les prestataires d'hébergement. Le maître d'un site, qui
propose un chat ou un forum par exemple, ne sera peut-être
pas considéré comme l'éditeur des contenus (encore que la
jurisprudence sur ce point n'est pas figée), mais sera sans
nul doute considéré comme l'éditeur ou le "maître" de l'espace
de communication. C'est en effet lui qui propose l'espace,
le configure, en défini les règles d'usage et dispose seul
de la faculté de le contrôler. Cette responsabilité en qualité
d'éditeur risque même d'être renforcée dans les cas où le
"maîitre" du service serait incapable ou refuserait
de communiquer les coordonnées des auteurs premiers des messages
incriminés.
Là encore,
un débat ne manquera pas de s'instaurer quant à la "vraie
identification" et la "vraie fausse identification". Il appartient
en effet au maître d'un site, s'il veut limiter sa responsabilité
ou l'atténuer, de détenir les informations sur les auteurs
des messages, afin de satisfaire à la "curiosité" du juge.
Dans la plupart des cas ce ne sont que les nom, prénom et
adresse mail qui sont demandés par le maître du site ; or
chacun sait que tout internaute peut donner un faux nom, un
faux prénom et une fausse adresse mail, ou une adresse mail
totalement anonymisée. Les magistrats seront sans nul doute
saisis de l'identification en mode "Canada dry®", celle qui
a le goût de l'identification, la couleur de l'identification
mais... qui n'est pas de l'identification.
Le cas
de la mailing est extrêmement intéressant car il pose une
problématique non moins intéressante : celle de la correspondance
privée. Un mail adressé à un ensemble de personnes en particulier
peut-il conserver son statut de correspondance privée du seul
fait qu'il est un mail ? On semble tendre vers une réponse
négative dès lors que le message est adressé au "public en
général" ou à un "public en particulier". En tout état de
cause, que le mail soit ou non de la correspondance privée
ne modifie qu'une partie de la donne.
La
qualification des faits ne prend que très rarement en
compte le support du message en cause. |
Dans l'esprit
populaire le Web est resté longtemps un espace de non droit,
un "no law's land". Maintenant et toujours, dans l'esprit
de ce même public, c'est le mail qui échappe au droit. Autrement
dit, si un internaute peut être inquiété pour les messages
diffusés sur le Web, il ne pourrait l'être si le message incriminé
était adressé par mail. Cette analyse est pour le moins surprenante
dans la mesure où la qualification des faits ne prend que
très rarement en compte le support du message en cause (sauf
à aggraver les peines ou à prédéfinir une cascade de responsabilité)
et qu'en tout état de cause, même si le message bénéficie
de la protection de la loi du 10 juillet 1991, il pourra faire
l'objet d'interceptions judiciaires ou administratives. Enfin,
tout mail qui ne relèverait pas de la sphère personnelle et
privée de l'individu (le mail d'entreprise par exemple) est
susceptible d'être "contrôlé" sous réserve d'en aviser préalablement
l'interessé et de l'informer des droits qui sont les siens.
La co-navigation
est la dernière "tendance" de l'internet. L'idée est louable
puisqu'elle vise à "accompagner" l'internaute acheteur dans
sa navigation sur le Net. Mais comme tout progrès technologique,
il porte en lui les risques de dérives. Parmi les nombreux
risques qui peuvent être identifiés il en est un qui inquiète
tout particulièrement les consommateurs : celui d'un accompagnement
tellement "efficace" qu'il pourrait s'apparenter à de la vente
forcée ou à de l'abus de faiblesse Là encore, technique et
droit sont au service des interessés qui devront, tant dans
leurs engagements (CGUS) que dans les techniques employées,
démontrer que l'internaute reste dans un espace ou son libre
arbitre est intact.
[ebarbry@club-internet.fr]
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