Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Réalisation
d'un site :
qui est responsable
de l'absence d'un cahier des charges ?
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Mardi 3 juillet 2001 -
Par référence au contentieux du droit de l'informatique, la
jurisprudence a grandement évolué ces dernières années en
France mais a d'ores et déjà répondu à la question.
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par
Olivier Iteanu, avocat.
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Le
contrat de réalisation de site Web, quel que soit la génération
du site que l'on envisage de développer, est aujourd'hui une
relation juridique courante pour les entreprises. La nature
juridique de ce contrat ne pose d'ailleurs aucun problème
: c'est une prestation de services qui entre dans la catégorie
des contrats d'entreprise ou louage d'ouvrage définis à l'article
1710 du Code Civil : "celui par lequel l'une des parties s'engage
à faire quelque chose pour l'autre moyennant un prix convenu
par elles." Il s'agit de la catégorie dans laquelle se retrouvent
toutes les prestations intellectuelles et notamment informatiques.
L'entreprise qui souhaite réaliser son site institutionnel,
un intranet ou plus simplement sa boutique va souvent s'adresser
à une société spécialisée dans le développement de ces véritables
applications informatiques que sont les sites Web.
Le schéma contractuel est dès lors
bien connu, il doit être rapproché de celui du contrat de
réalisation de logiciels spécifiques. Les temps forts de cette
relation économique débutent par l'établissement d'un cahier
des charges, qui pourra distinguer la ligne graphique de la
ligne éditoriale et qui devra préciser également les liens
hypertextes mis en place sur le site, puis la ou les réceptions
de l'ouvrage réalisé, éventuellement découpé en lots ou phases,
la question des droits attachés à cette création etc
Or, s'agissant justement de ce
premier temps fort, l'établissement d'un cahier des charges,
il n'est pas rare que, très souvent, par précipitation ou
par négligence ou, pire encore, par simple ignorance, la relation
se conclue en l'absence d'un cahier des charges écrit, accepté
des deux parties et donc inclus dans le champs contractuel.
Or, si la relation tourne mal, si une fonctionnalité que le
client croyait promise fait défaut ou plus généralement si
la fourniture est un échec, se posera alors la question de
savoir qui est responsable de l'absence d'un cahier des charges.
Par référence au contentieux du droit de l'informatique, la
jurisprudence a grandement évolué ces dernières années en
France mais a d'ores et déjà répondu à la question.
La
Cour de Cassation a été claire : cette absence est de
la faute du client |
La Cour
de Cassation, dans un arrêt du 11 mai 1999, a apporté une
dernière pierre que l'on espère définitive à l'édifice de
ce contentieux qui a beaucoup agité les tribunaux pendant
dix ans. Le conflit jugé opposait un client qui avait commandé
un logiciel de comptabilité qui ne fonctionnait pas en multidevises.
L'absence de cette fonctionnalité semblait constituer le grief
majeur du client. Celui-ci s'adressait à la justice pour voir
anéantir le contrat de fourniture (résolution) et obtenir
que son fournisseur soit condamné à lui payer, outre le remboursement
du prix payé, des dommages et intérêts. Pour sa défense, le
fournisseur s'abritait derrière l'absence de cahier des charges.
Le client, lui, considérait que le fournisseur s'était engagé
par courrier à procéder à l'analyse des besoins du client
et que donc le cahier des charges n'était pas utile.
Derrière
des notions juridiques tournées autour du devoir de conseil,
la question posée aux juges était celle qui nous intéresse
: qui est responsable de l'absence de cahier des charges?
Et la Cour de Cassation a été claire : cette absence est de
la faute du client. La Cour s'exprime comme suit : "qu'en
retenant que le fonctionnement du logiciel de comptabilité
en multidevises n'a pas été prévu, faute par la société Campocasso
[le client] (
) d'avoir rédigé un cahier des charges, [qu'elle]
ne saurait donc reprocher à la société G Info [le fournisseur]
l'absence de la fonction multidevises du logiciel de comptabilité
"
Un an
auparavant, les juges avaient adopté la position exactement
inverse. Par un arrêt du 19 mai 1998, la Cour de Cassation
avait jeté le trouble dans l'esprit des sociétés de services
lorsqu'elle avait considéré que le fait, pour le prestataire,
d'avoir accepté de s'engager "sur des objectifs définis en
termes généraux, sans demander aucune clarification ni implication
supplémentaire à sa cliente" le rendait responsable en totalité.
Elle s'était alors rangée à l'avis de la Cour d'Appel qui
avait sanctionné le fournisseur sur le fondement de l'article
1147 du Code Civil et d'un manquement au devoir de conseil.
Cette jurisprudence revenait à conférer une véritable prime
à l'incompétence et au bénéfice des clients qui, même profanes,
n'en restent pas moins des professionnels. De plus, comment
les juges pouvaient-ils s'arroger le droit de délimiter l'étendue
de l'obligation d'un prestataire quand le client ne l'avait
pas fait lui même ?
Près d'une
année plus tard jour pour jour, l'arrêt de 1999 remet la situation
dans le bon ordre et devrait sans difficultés s'appliquer
également à la relation "réalisation d'un site Web", qui n'est
en réalité qu'une prestation informatique appliquée à un domaine
particulier selon les standards de l'Internet. La réponse
est donc claire. Les obligations qui pèsent sur le fournisseur
d'un système d'information, y compris un site web, dépendent
des besoins et objectifs exprimés par le client, à condition
qu'il les exprime. Gageons que cette jurisprudence frappée
au coin du simple bon sens, sera définitivement maintenue.
[oiteanu@iteanu.com]
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