Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Quelle
loi appliquer au contrat BtoC de mise à disposition
d'oeuvres sur Internet?
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Mardi 18 septembre 2001 -
Le principe selon lequel a loi applicable au contrat est la
loi désignée par les parties pourrait devenir l'exception.
Le
problème de la loi applicable au contrat conclu en ligne par
les consommateurs est le centre d'une attention accrue. Nous
allons nous intéresser plus particulièrement au contrat impliquant
la mise à disposition d'une uvre au consommateur par l'intermédiaire
du réseau. Imaginons ainsi le cas d'une société éditrice de
progiciel californienne qui met à la disposition ses progiciels
à titre gratuit sur son site Internet. Les internautes ont
simplement à appuyer sur le bouton "télécharger" qui se trouve
sur une page du site de la société californienne pour reproduire
les progiciels sur leur ordinateur multimédia. Les termes
et conditions de la mise à disposition de ces progiciels,
qui figurent sur une autre page du même site, stipulent que
l'acte de télédéchargement par l'internaute vaut acceptation
et que la loi de l'Etat de Californie s'applique. Il s'agit
donc d'un contrat dont la formation et l'exécution a lieu
en ligne, et qui implique le droit d'auteur en ce sens où
l'objet du contrat, le progiciel, est protégé par le droit
d'auteur. La question qui se pose alors est de savoir si la
loi désignée dans le contrat, la loi de l'Etat de Californie,
va effectivement s'appliquer à tous les litiges pouvant naître
à l'occasion de la formation et de l'exécution de ce contrat.
Nous allons tenter de répondre
à cette question au regard du seul droit international privé
français. C'est en effet toute l'antinomie de la matière :
en dépit de son objet international, le droit international
privé reste essentiellement national.
Notre objectif dans le cadre de
ce court article est de tenter de démontrer que le principe
de base, selon lequel la loi applicable au contrat est la
loi désignée par les parties (la loi de l'Etat de Californie
dans notre exemple), pourrait devenir l'exception en ce qui
concerne les contrats B2C de mise à disposition d'uvres sur
Internet. Cela ne résulte pas tant du fait que le contrat
implique un consommateur (nous allons voir que l'application
du régime dérogatoire de protection du consommateur prévu
par la Convention de Rome n'est pas évidente), mais s'explique
davantage par l'objet de ce contrat.
Application
discutable du régime de protection du consommateur
La
Convention de Rome est la source principale des règles de conflit
de loi relatives aux contrats en droit international privé français.
Son article 3 dispose que "le contrat est régi par la loi choisie
par les parties". L'article 5 de cette même convention instaure
cependant un régime dérogatoire pour les contrats conclus par
les consommateurs ayant pour objet "la fourniture d'objets mobiliers
corporels" ou de "services". Dans ce cas, c'est la loi du lieu
de résidence habituelle du consommateur qui doit être mise en
uvre lorsque la loi désignée dans le contrat prive le consommateur
de la protection que lui assure les dispositions impératives
de la loi de sa résidence habituelle.
Ce régime
dérogatoire s'applique-t-il au contrat de mise à disposition
d'uvres ? Le doute est permis. D'abord, le champ d'application
de la Convention de Rome est limité au contrat ayant pour
objet "la fourniture d'objets mobiliers corporels" ou de "services".
Or, l'objet du contrat qui nous préoccupe est la mise à disposition
d'une uvre, bien incorporel et non pas celle d'un exemplaire
de l'uvre. Cette mise à disposition est en effet dématérialisée,
l'uvre est transmise du serveur de l'exploitant à l'ordinateur
de l'utilisateur final sans le recours à aucun exemplaire.
En outre, la mise à disposition de l'uvre implique, selon
nous, la concession d'un droit d'usage au profit du consommateur.
Dans ces conditions, il semble que le contrat de mise à disposition
est en dehors du champ d'application du régime de protection
du consommateur défini dans la Convention de Rome.
Ensuite,
en admettant que le contrat de mise à disposition s'analyse
en un contrat de vente, c'est la Convention de La Haye de
1955 qui devrait en principe régir la question. Or, cette
dernière ne contient aucune disposition de protection du consommateur.
Dans ce cas, c'est donc la loi désignée par les parties dans
le contrat qui devrait s'appliquer, sous réserve que l'acceptation
des termes et conditions du contrat de mise à disposition
existe.
Le juge
français va-t-il pour autant renoncer à appliquer le régime
de protection du consommateur ? Il nous semble que cette solution
est incompatible avec l'évolution du droit communautaire favorable
au consommateur, et la volonté des juges de protéger tout
consommateur par application de clauses d'exception générale.
Ainsi, le Règlement récemment adopté par l'Union européenne
concernant la compétence judiciaire conforte le régime de
protection du consommateur qui peut intenter une action soit
devant les tribunaux de l'Etat membre sur le territoire duquel
son cocontractant est domicilié, soit devant le tribunal du
lieu où le consommateur est domicilié.
Nous constatons
donc que l'application du régime de protection du consommateur
défini dans la Convention de Rome au contrat de mise à disposition
d'uvres est discutable en raison de l'objet immatériel de
ce contrat. Il est souhaitable que l'Union européenne clarifie
ce point dans le cadre de l'adaptation de la convention de
Rome, le fameux projet de Convention dit de Rome II.
Inapplication
de la loi désignée par les parties en raison de l'objet spécifique
du contrat
L'objet spécifique du contrat pourrait éventuellement
amener le juge à ne pas appliquer la règle de conflit de loi
contractuelle (aux termes de laquelle la loi désignée par
les parties s'applique) et à mettre en uvre une autre règle
de conflit de loi. Le raisonnement repose sur la méthode de
résolution des conflits de lois. Cette méthode est fondée
sur la classification des rapports de droit par catégories
dites de rattachement, en ce sens qu'à chaque catégorie, correspond
un ou plusieurs critères qui permettent de rattacher le rapport
de droit à un territoire donné. La première tâche du juge
consiste donc, lorsqu'il résout un conflit de loi, à qualifier
le problème qui se pose à lui, c'est-à-dire à ranger ce problème
dans une catégorie de rattachement.
Pour illustrer
notre propos, imaginons que le litige oppose la bibliothèque
d'une université américaine et un éditeur de progiciel français
qui concluent un contrat de mise à disposition de progiciel
en ligne soumis au droit français. Le litige porte sur les
droits de la bibliothèque d'utiliser le progiciel pour un
usage limité aux membres de son personnel. Elle décide en
effet d'étendre la mise à disposition du progiciel de l'exploitant
français aux étudiants, contrairement à une stipulation contractuelle
qui prévoit que les droits concédés sont pour l'usage du seul
personnel de l'utilisateur. Le problème soumis au juge est
donc celui de la mise à disposition du progiciel de l'exploitant
français par la bibliothèque américaine aux étudiants. Il
existe un vrai conflit ici, car la mise à disposition du progiciel
aux étudiants est probablement licite au regard du droit d'auteur
américain par application de la doctrine du " fair use " et
contraire aux stipulations contractuelles. Le problème est
donc de savoir s'il s'agit d'un problème contractuel (le contrat
stipule que l'utilisation du logiciel est pour le seul usage
du personnel de la bibliothèque) ou d'une question de droit
d'auteur (le droit d'auteur américain prévoit que la mise
à disposition aux usagers de la bibliothèque est licite).
Autrement dit, à quelle catégorie juridique, contractuelle
ou de droit d'auteur le juge va-t-il rattacher le problème
?
Si le
juge retient la qualification contractuelle, il appliquera
alors probablement la loi désignée dans le contrat, c'est-à-dire
la loi française. Au contraire, dans l'hypothèse où le juge
décide de rattacher le problème au droit d'auteur, il fera
application des règles de conflit de droit d'auteur, à savoir
la loi du pays dans lequel la protection est recherchée (lex
protectionis), c'est-à-dire la loi américaine. La qualification
de droit d'auteur devrait être retenue selon nous, dans la
mesure où les limites au monopole de l'auteur aux Etats-Unis
ne sont pas de simples exceptions, mais de véritables droits
au profit de l'utilisateur final.
Nous pensons
que ce problème risque de se poser de manière accrue dans
l'environnement numérique et perdurera tant que les exceptions
au droit d'auteur ne seront pas davantage harmonisées au niveau
communautaire et international.
Conclusion
Nous constatons donc que la loi désignée dans le contrat B2C
de mise à disposition d'uvres est susceptible d'être privée
d'effet à chaque fois que le litige porte sur la validité
de l'acceptation et sur les limites de l'utilisation de l'uvre.
Cela n'est pas sans conséquence pour les fournisseurs de contenu,
qui risquent d'être soumis à autant de lois qu'il y a de pays
connectés à internet. Face à tant d'incertitude, les fournisseurs
d'uvres ne vont-ils pas hésiter à se lancer dans ce nouveau
mode de distribution des uvres. Le risque serait alors de
compromettre une des activités clefs de la société de l'information.
Pour cette
raison, il nous semble important de tenir compte, au delà
de la recherche d'un compromis entre les intérêts du consommateur
et des fournisseurs de contenu, de la spécificité propre au
contrat de mise à disposition d'uvres dans le cadre de l'élaboration
des nouvelles normes régionales et internationales ayant pour
objet l'adaptation des règles de conflit de lois à la société
de l'information.
[aragueneau@salans.com]
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