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ASP : le client peut-il exiger une copie de sauvegarde du logiciel qu'il utilise?
- Mercredi 28 novembre 2001 -

En l'absence de jurisprudence, l'utilisateur d'une solution ASP ne peut s'appuyer sur les dispositions légales existantes pour exiger une copie unique de sauvegarde. Le contrat reste donc pour l'instant l'outil juridique majeur de l'ASP.

par Olivier Iteanu, avocat.
L'une des caractéristiques majeures de la fourniture ASP est qu'une application accessible par ce mode offre l'utilisation d'un logiciel via un réseau de télécommunications, le plus souvent au standard de l'Internet. Cette utilisation en ligne, sous forme locative, nécessite à notre sens que soit mises en place sur un plan contractuel toutes les dispositions habituelles du droit du logiciel. Le logiciel est en effet assimilé à une œuvre de l'esprit protégée au titre du droit d'auteur depuis une loi du 3 Juillet 1985, ce qui soumet son exploitation et utilisation à des règles très formalistes et très rigoureuses exposées au Code de la Propriété Intellectuelle (CPI). A défaut du respect de ces règles, le contrevenant se trouvera en situation de contrefaçon, ce qui, pour mémoire, l'expose à des sanctions pénales d'un maximum de deux ans d'emprisonnement et de 1 million de francs d'amende et également à des sanctions civiles, telles que dommages et intérêts, publication judiciaire, mesures d'interdictions sous astreinte etc… Soit tout un panel de mesures qui sont appliquées assez sévèrement par les tribunaux français.

Ce formalisme imposé va contraindre dès lors le contrat ASP à inclure des dispositions accessoires concernant la licence de logiciel (le terme locatif n'est pas adapté au monde immatériel). Chaque partie y a intérêt. Par exemple, le client doit des voir concéder le droit d'utiliser le logiciel sous forme d'une licence traditionnelle avec toutes les limites et exclusions qui sont traditionnellement incluses dans ces contrats. En effet, que le logiciel soit utilisé purement en ligne via un navigateur ou que la prestation ait nécessité son installation sur des postes clients, les droits de reproduction et de représentation prévus au CPI entrent en jeu et dans ces conditions, une autorisation expresse est nécessaire pour l'utilisateur. Autre exemple, le client doit s'assurer que son prestataire dispose lui même du droit d'offrir le logiciel dans le cadre de la solution ASP mise en place. En effet, une simple lecture des licences d'utilisation des progiciels les plus populaires suffit à se rappeler que les éditeurs contrôlent la diffusion de leurs droits et généralement le prestataire ASP devra obtenir une autorisation spéciale pour son offre. Là encore, le défaut d'autorisation préalable exposera tant le prestataire que le client aux peines pénales, mais aussi civiles (dommages et intérêts etc…) de la contrefaçon.

Cependant, une question reste posée, qui peut donner parfois lieu à discussion. Celle de la copie de sauvegarde. Dans les modes de diffusion traditionnels des logiciels, la question est traitée par l'article L 122-6-1 du CPI. Selon cet article, "la personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l'utilisation du logiciel". La directive communautaire de 1991 avait été beaucoup plus loin en disposant que l'utilisateur régulier "… ne peut être empêché par contrat de faire une copie de sauvegarde" (article 5.2). Après moult tergiversations, la jurisprudence a abouti à la conclusion que le texte français, qui légalisait une pratique et une jurisprudence antérieures, imposait le droit pour l'utilisateur d'exiger une copie unique de sauvegarde. La copie de sauvegarde était donc un droit et l'éditeur ne pouvait s'y opposer. Cette situation avait amené la Cour de Cassation dès 1991 à considérer que dès l'instant où l'utilisateur avait reçu cette copie de sauvegarde, "l'acheteur… est rempli de ses droits".

Dans le cas de l'ASP, il nous paraît que la solution ne coule pas de source. Ca n'est pourtant pas une question théorique. L'utilisateur a tout intérêt à disposer d'une telle copie, quand le prestataire aura une tendance naturelle à résister à une telle demande, étant réticent à laisser en liberté des copies du logiciel ou cherchant à rendre un peu plus captif son client ou enfin n'étant pas l'éditeur lui même, il n'aura tout simplement pas le droit de fournir une telle copie. Si l'article L 126-6-1 du CPI s'applique à l'ASP, la question ne se pose plus puisque l'utilisateur peut l'exiger.

En l'absence de jurisprudence (ce qui n'étonnera personne compte tenu de la jeunesse de l'offre), nous nous trouvons réduit à interpréter le texte dans l'état où il se trouve. Le texte prévoit deux conditions à son application. D'une part, le droit à copie de sauvegarde de l'article L 122-6-1 du CPI n'est ouvert qu'à l'utilisateur régulier, c'est à dire celui qui dispose d'une licence en cours de validité. Dans le cas d'une offre ASP, cette condition ne pose pas de problème. D'autre part, cet utilisateur régulier doit pouvoir justifier sa demande en faisant valoir que cette copie est nécessaire, pour le cas où, par exemple, il perdrait à l'occasion d'un incident la copie installée et utilisée.

Or, dans l'ASP traditionnel, le client ne dispose d'aucune copie. De la sorte, la justification de la copie de sauvegarde telle qu'admise par le législateur pour imposer cette exception aux droits de l'éditeur n'a plus lieu d'être. En effet, le risque de perte du logiciel ne pèse plus sur l'utilisateur mais sur le prestataire lui même. Ce prestataire s'est le plus souvent engagé à garantir, dans le cadre d'un SLA (Service Level Agreement, ou engagements de qualité) généralement, un taux de disponibilité. La disparition du logiciel, sa destruction, est susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle.

Dans ces conditions, aux risques d'être peut-être contredit demain par une jurisprudence à venir, nous opterons pour la seconde solution : non, l'utilisateur d'une solution ASP ne peut s'appuyer sur les dispositions légales existantes pour exiger qu'une copie unique de sauvegarde lui soit livrée.

Pour éviter ici la cassure, les parties pourront alors s'appuyer sur la technique habituelle du séquestre, utilisée notamment pour l'accès au code source de logiciels généralement spécifiques. Le séquestre est un tiers de bonne renommée, de bonne moralité et pérenne qui pourra éventuellement donner l'accès à une copie exploitable du logiciel en cas de défaillance ou disparition du prestataire : ce sera en quelque sorte une copie de sauvegarde contractuelle. On le voit, en l'absence de règles légales précises, le contrat reste l'outil juridique majeur de l'ASP.

[oiteanu@iteanu.com]

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