Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Conditions
et conséquences de la brevetabilité des logiciels
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Mardi 4 décembre 20001 -
Dans
un souci de clarification du régime de protection des logiciels,
plusieurs projets de réforme ont été initiés. Il est indispensable
d'en anticiper les limites et les effets.
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par
Jérôme Perlemuter,
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Depuis
plusieurs années déjà, la communauté européenne, ainsi que
la France, s'interrogent sur l'opportunité d'une réforme visant
à reconnaître le caractère brevetable des logiciels. En effet,
malgré un principe clairement affirmé d'exclusion des programmes
d'ordinateurs en tant que tels du champ des inventions brevetables,
la pratique des offices nationaux et de l'office européen
des brevets (OEB) est toute différente, accordant des brevets
de logiciels sous certaines conditions.
C'est
dans un souci de clarification du régime de protection des
logiciels que plusieurs projets de réforme ont été initiés,
aux niveaux européen, communautaire et national. Ainsi, bien
que l'Organisation européenne des brevets ait finalement reporté
la révision de la convention de Munich de 1973 qui devait
lever l'interdiction de la brevetabilité des logiciels, la
Commission européenne a pour sa part entamé une grande consultation
auprès des Etats membres et du public pour établir sa position.
Le gouvernement français a donc à son tour lancé une large
consultation publique auprès notamment de l'Académie des technologies,
du Syntec Informatique, de la Compagnie nationale des conseils
en propriété industrielle...
La question
de la reconnaissance officielle du caractère brevetable des
programmes d'ordinateurs reste donc toujours d'actualité et
les enjeux économiques, stratégiques et politiques de cette
question sont largement débattus. Toutefois, dans l'optique
d'une reconnaissance légale de la brevetabilité des logiciels,
il est indispensable d'en anticiper les limites et les conséquences
afin d'éviter tant les dérives rencontrées aujourd'hui aux
Etats-Unis qu'une limitation abusive de la concurrence du
fait d'une reconnaissance trop large de la brevetabilité des
logiciels.
1.
Les conditions de brevetabilité des inventions appliquées
aux logiciels
L'obtention
d'un brevet est soumise à trois conditions qui devront permettre
une limitation du bénéfice de la protection aux seuls logiciels
consistant en des " inventions nouvelles, impliquant une activité
inventive et susceptibles d'application industrielle " (art.
L. 611-10-1° CPI). Il convient d'étudier dans quelle mesure
ces conditions traditionnelles d'obtention des brevets pourront
s'appliquer aux logiciels.
a)
Une invention " nouvelle"
La nouveauté nécessite une recherche d'antériorité, portant
sur l'état de la technique, qui englobe tout ce qui a été
rendu accessible au public, ainsi que le contenu de demandes
antérieures de brevets français et européens ou internationaux
désignant la France. On voit là les difficultés que l'examen
de cette première condition pourra poser dans la mesure où
contrairement aux autres inventions, l'état de l'art en matière
de logiciel n'est pas actuellement reflété dans les brevets
déjà déposés et où les offices de brevets ne disposent pas
encore de bases de données leur permettant de faire des recherches
d'antériorité efficaces.
C'est
dans cet esprit que l'Académie des technologies s'est prononcée,
le 18 juillet 2001 pour une brevetabilité " encadrée " des
logiciels et a recommandé la mise en place de dispositifs
d'accompagnement destinés à éviter les effets négatifs éventuels
des brevets de logiciels et notamment :
- formation spécifique des examinateurs de brevets,
- constitution d'une base de données européenne facilitant
la recherche d'antériorité,
-
information des PME et mesures d'incitation au dépôt de brevets.
b)
Une invention "impliquant une activité inventive"
L'invention est considérée comme impliquant une activité
inventive si " pour l'homme du métier, elle ne découle pas
d'une manière évidente de l'état de la technique " (art. L.
611-11 CPI). Seules les véritables créations innovantes de
logiciels pourront donc bénéficier de la protection par le
brevet. Ainsi, l'automatisation par un programme d'ordinateur
d'un procédé déjà connu ne peut faire l'objet d'un brevet,
car elle peut être considérée comme n'impliquant aucune activité
inventive. Reste encore à déterminer les critères qui permettront
de décider qu'une invention logicielle découle de manière
évidente ou non de l'état de la technique.
c)
Une invention "susceptible d'applications industrielles"
Bien qu'une invention mise en uvre par ordinateur puisse
a priori être considérée comme susceptible d'application industrielle,
ce critère devra tout de même faire l'objet d'une vérification
au cas par cas, selon les règles traditionnelles du droit
des brevets. Ainsi, selon l'article L 611-15 du Code de la
propriété intellectuelle : "Une invention est considérée comme
susceptible d'application industrielle si son objet peut être
fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie, y compris
l'agriculture".
2.
Les conséquences envisageables de la reconnaissance de la
brevetabilité des logiciels
a) Coexistence entre brevet et droits d'auteur sur les
logiciels ?
S'agissant
des conséquences envisageables de la réforme, la question
de la coexistence éventuelle entre brevet et droit d'auteur
devra être traitée. Brevet et droit d'auteur ayant un champ
de protection très différent, on peut se demander quelle sera
la place qui sera désormais réservée au droit d'auteur qui
protège traditionnellement les logiciels. En effet, le droit
d'auteur protège une forme d'expression, alors que le brevet
protège plutôt la fonction utilitaire de l'invention. La protection
accordée par le brevet et par le droit d'auteur n'ayant pas
le même champ d'application, il est donc envisageable de les
considérer non pas comme exclusifs l'un de l'autre, mais plutôt
d'application complémentaire.
Il ne
faut toutefois pas ignorer les difficultés qu'une telle coexistence
peut présenter : disparité du point de départ de la protection
et de sa durée ou encore différence de traitement et de rémunération
entre les inventeurs et les auteurs salariés.
b)
Autres conséquences à anticiper
Le recours au brevet pour protéger les programmes d'ordinateur
innovants suscite bien d'autres questions qu'il faudra également
résoudre.
- La rédaction des demandes de brevet de logiciel : En application
de l'article L.612-5 du Code de la propriété intellectuelle,
l'invention doit être exposée dans la demande de brevet de
façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du
métier puisse l'exécuter. Il convient donc, lors du dépôt
de la demande de brevet, de décrire l'invention, c'est-à-dire
l'identifier et de définir l'objet de la protection demandée
par le biais des revendications. L'une et l'autre de ces conditions
vont certainement donner lieu à des difficultés rédactionnelles
dans le cadre du dépôt de brevets de logiciels : faudra-t-il
notamment communiquer et publier les codes sources et organigrammes
du logiciel ?
-
La rémunération des inventeurs salariés : Restera également
pour les entreprises à traiter la question de la rémunération
des inventeurs, principalement lorsque ceux-ci sont salariés.
En effet, on distingue en matière de brevet, les inventions
de mission, découvertes dans le cadre des fonctions du salarié,
et les inventions hors-mission attribuables, l'entreprise
pouvant sous certaines conditions demander l'attribution de
l'invention en contrepartie d'un juste prix versé au salarié,
pouvant aller jusqu'à plusieurs centaines de milliers de francs.
Dans ces circonstances, la reconnaissance de la brevetabilité
des logiciels aura un impact financier très important pour
les entreprises qui devront prendre en considération, en sus
du coût de dépôt du brevet, la rémunération du salarié inventeur,
à moins qu'elle puisse démontrer qu'il s'agit d'une invention
de mission.
Enfin,
on peut s'interroger sur l'opportunité de mettre en place
un mode simplifié de dépôt des demandes de brevet prenant
en considération les spécificités de l'économie des logiciels
et notamment la toujours plus rapide obsolescence des inventions
dans ce domaine. Ce constat renvoie plus largement à la question
de l'adaptation du brevet aux programmes d'ordinateurs et
de l'opportunité pour une entreprise de s'engager dans une
procédure de demande de brevet, parfois longue et coûteuse.
Il n'en demeure pas moins, que stratégiquement, le brevet
constitue une arme concurrentielle très forte, accordant à
son titulaire un monopole d'exploitation pendant vingt ans
et constituant, au regard des investisseurs et des éventuels
partenaires commerciaux d'une entreprise, un élément important
de valorisation de son actif.
[jperlemuter@salans.com,
jsinibaldi@salans.com]
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