Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
L'utilisateur
d'un logiciel
peut-il accéder aux codes source?
- Mardi
9 avril 2002
-
La
loi prévoit dans certains cas, par exception au monopole de
l'auteur, la possibilité pour l'utilisateur d'accéder aux
codes source du logiciel sans l'autorisation de l'auteur.
Celui-ci doit donc encadrer strictement et organiser, par
le contrat, cette atteinte à ses droits.
L'auteur
d'un logiciel jouit sur celui-ci, du seul fait de sa création,
d'un droit de propriété exclusif et opposable à tous (article
L. 111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ou CPI). Pour
en retirer un bénéfice commercial, l'auteur choisit souvent
de concéder à des clients tout ou partie de ses droits, au
premier rang desquels celui d'utiliser le logiciel. Aussi,
le Code de la propriété intellectuelle précise que tous les
actes que l'auteur n'aura pas autorisés par contrat seront
strictement interdits (article L. 131-3 CPI).
Pourtant, l'utilisation du programme
contraint fréquemment le client à devoir l'adapter ou le modifier
en fonction de ses besoins, en corriger certaines erreurs
ou le rendre interopérable avec d'autres logiciels. Il lui
faut alors accéder aux codes source, langage de programmation
seul compréhensible par le développeur, bien qu'il n'y soit
pas nécessairement autorisé par le contrat de licence.
En considération de cette difficulté,
l'article L. 122-6-1 CPI (transposant la Directive européenne
du 14 mai 1991) prévoit dans certains cas, par exception au
monopole de l'auteur, la possibilité pour l'utilisateur d'accéder
aux codes source du logiciel sans l'autorisation de l'auteur
(A/). Il convient par conséquent pour l'auteur d'encadrer
strictement et d'organiser, par le contrat, cette atteinte
à ses droits (B/).
A. L'utilisateur
peut accomplir certains actes sans l'autorisation de l'auteur
L'article L. 122-6-1
CPI autorise l'utilisateur à accomplir deux types d'actes
: ceux permettant une utilisation du logiciel conforme à sa
destination (1°) et ceux visant à " décompiler " le logiciel
à des fins d'interopérabilité avec d'autres logiciels (2°).
1°. L'utilisateur peut accomplir
des actes permettant une utilisation du logiciel "conforme
à sa destination"
L'article L. 122-6-1 CPI dispose que les actes de reproduction,
traduction, adaptation ou arrangement d'un logiciel "ne sont
pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires
pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa
destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser,
y compris pour corriger des erreurs". Faute de définition
légale de la notion de "destination", la doctrine précise
que le logiciel est conforme à sa destination lorsqu'il est
capable de traiter les informations en vertu des "fonctionnalités
voulues" par l'auteur et programmées comme telles. Mais cette
définition demeure relativement vague et, sauf pour corriger
les erreurs, hypothèse explicitement prévue par la loi, il
est malaisé de déterminer dans quels cas l'utilisateur peut
intervenir sur le logiciel.
En particulier, il convient de
se demander si l'article L. 122-6-21 CPI permet à l'utilisateur
de faire évoluer le logiciel. La doctrine le suggère en indiquant
que, par "droit d'adaptation", la loi réserve à l'utilisateur
la faculté de faire évoluer le logiciel. Ainsi, l'on peut
considérer que l'utilisateur peut notamment faire évoluer
le logiciel pour l'adapter à la réglementation administrative
ou fiscale (par ex. en cas de changement du taux de TVA ou
de l'impôt). Il est toutefois certain que le droit de faire
évoluer le logiciel ne saurait en aucun cas permettre à l'utilisateur
d'ajouter au logiciel de nouvelles fonctionnalités. De tels
ajouts peuvent entraîner, juridiquement, la création d'une
uvre dérivée, synonyme, en l'absence d'autorisation de l'auteur
de contrefaçon (Versailles, 7 octobre 1999, Bakary-Gando c/
SA Fiat Auto France).
2°. L'utilisateur peut décompiler
le logiciel à des fins d'interopérabilité avec d'autres logiciels
La décompilation est l'opération qui consiste à passer du
code objet, seul compréhensible par la machine, au code source
qui peut être lu par tout programmeur. En principe soumise
à l'autorisation de l'auteur du logiciel, la décompilation
peut être réalisée sans cette autorisation lorsqu'elle est
nécessaire pour permettre au logiciel "d'échanger des informations
et d'utiliser mutuellement ces informations" avec un ou plusieurs
autres logiciels (définition de l' "interopérabilité" retenue
par la Directive de 1991).
Bien que le droit de décompilation
soit d'ordre public, il est enfermé, en raison des risques
que l'opération présente pour l'auteur, dans des conditions
strictes. Il suppose d'abord que les informations nécessaires
ne soient pas facilement accessibles par une autre voie. Il
ne peut ensuite être exercé que par l'utilisateur lui-même
ou une personne dûment autorisée par lui. Enfin, il doit se
limiter strictement aux parties du logiciel nécessaires à
son interopérabilité et les informations obtenues ne doivent
pas être utilisées à d'autres fins que la réalisation de l'interopérabilité.
Toutefois, malgré l'encadrement du droit d'accès aux codes
source par l'utilisateur, l'aménagement du contrat de licence
reste à bien des égards la meilleure garantie de ses droits
pour l'auteur.
B. L'encadrement
des droits de l'utilisateur par le contrat
Le contrat peut notamment permettre de circonscrire la
notion de "destination" du logiciel, qui limite les droits
de l'utilisateur (1°) et prévoir que l'auteur se réserve la
maintenance corrective (2°). Il peut également organiser la
remise des codes source par l'auteur ainsi que les modalités
d'accès à ces codes (3°).
1°. Le contrat sert de référent
à la notion de "destination"
L'utilisateur ne peut accomplir, sans l'autorisation de l'auteur,
que les actes permettant une utilisation conforme à la destination
du logiciel. La jurisprudence a eu l'occasion de préciser
que cette destination est essentiellement définie par les
documents contractuels. Ainsi, la Cour de cassation a refusé
de considérer comme faisant partie de la destination d'un
logiciel des fonctionnalités décrites dans un document émanant
du prestataire informatique au motif que ce document n'avait
pas de valeur contractuelle (Cass. com. 10 octobre 1989, Thepault
c/ SMO). Il convient donc pour le client non seulement de
définir ses besoins, mais également de lister très exactement
les documents précisant les fonctionnalités souhaitées (cahier
des charges ; documentation associée ; proposition commerciale
).
2°. L'auteur peut se réserver
par contrat la maintenance corrective
L'article L. 122-6-1 CPI prévoit que l'auteur peut se réserver
expressément le droit de corriger les erreurs. Compte tenu
des enjeux financiers liés à la maintenance corrective et
de sa volonté de n'autoriser personne d'autre que lui à accéder
aux codes source, l'auteur fera le plus souvent valoir la
possibilité qui lui est offerte par le texte de loi de conserver
le monopole de la maintenance. La rédaction du contrat devra
cependant ne laisser aucune ambiguité quant aux droits que
se sera réservé l'auteur.
3° La remise des codes source
et les modalités d'accès peuvent être prévues
Confronté aux risques d'atteinte à ses droits sur sa création,
l'auteur pourra aménager les modalités d'accès aux codes source.
Ainsi, les codes pourront être remis directement par l'auteur
à l'utilisateur, mais il pourront aussi être conservés chez
un tiers séquestre (par ex. l'APP). Il ne sera pas non plus
inutile de mettre à la charge de l'utilisateur une obligation
d'information de l'auteur dans l'hypothèse où il souhaiterait
accéder aux codes source, obligation dissuasive pour l'utilisateur
et permettant un contrôle de ses actes par l'auteur. La sanction
de cette obligation d'information devra également être prévue.
Si l'auteur jouit en principe sur
son uvre d'un droit de propriété exclusif, force est donc
de constater que la loi prévoit certaines atteintes à ce monopole.
Seule la rédaction du contrat de licence permet alors à l'auteur
d'encadrer les atteintes à ses droits. Dans cette optique,
certaines clauses devront retenir tout particulièrement l'attention
des parties, notamment la définition du logiciel, la liste
et l'étendue des droits concédés, l'exclusivité ou non de
l'auteur sur la maintenance, ou encore les cas de remise des
codes source ainsi que les modalités de l'accès à ces codes.
[jperlemuter@salans.com]
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