Rubrique Juridique

Chaque semaine, gros plan sur la loi et l'Internet

Les risques du "position squatting"
- Mardi 9 juillet 2002 -

L'achat de mots clefs dan sles outils de recherche se fait parfois irrégulièrement. Quelle est la responsabilité de l'acheteur et celle du vendeur?


par Arnaud Diméglio
Avocat à la Cour
Docteur en droit
Cabinet Ulys

Selon CVFM, 60 % des entreprises du CAC 40 et 93 % du Don Jones seraient victimes de position squatting. Celui-ci consiste, pour un titulaire de site, à acheter dans un outil de recherche un mot clef correspondant à une marque, et, en fonction de celle-ci, à positionner son site en tête de résultat, de façon à détourner la clientèle qui lui est attachée. Le position squatting s'apparente aux premières formes de squatting (l'usurpation d'un signe par un tiers) tout en s'en distinguant (le signe usurpé est enregistré non pas en nom de domaine, mais en mot clé).

En savoir plus

De cette différence, il résulte notamment que la procédure UDRP instaurée par l'ICANN pour trancher les litiges entre marque et nom de domaine ne devrait pas s'appliquer au position squatting. Néanmoins, l'OMPI a crée une procédure spécifique aux mots clefs, laquelle dérive de celle adoptée par l'ICANN. Mais elle apparaît pour l'instant limitée dans la mesure où elle ne concerne que l'achat de mot clef par l'intermédiaire de Real Names et de Common Name. Or, le premier a annoncé dernièrement sa fermeture, et le second, implanté en Grande Bretagne, ne concerne que l'achat de mots dans les navigateurs et les messageries électroniques. Ainsi, tous les mots clefs achetés dans les outils de recherche échappent à cette procédure. En attendant l'élargissement des accords entre l'OMPI et ces outils, et, à défaut de résolution amiable, les titulaires de signes distinctifs sont donc contraints de recourir à une procédure judiciaire pour récupérer leurs signes.

En dehors de l'acheteur, les outils de recherche et les intermédiaires sont les principaux visés par une telle procédure. Le plus souvent, les intermédiaires, telles que les sociétés de référencement, agissent en tant que mandataire de l'acheteur, et sont donc totalement transparents vis à vis des tiers. Le risque d'un procès engagé à leur encontre est donc limité.

La responsabilité de l'acheteur
A l'encontre de l'acheteur peut être invoquée une multitude de fondement. Tout dépend de la nature du signe squatté. Si ce dernier représente une marque, comme c'est souvent la cas, son titulaire agira naturellement en contrefaçon de marque. Ce fondement est notamment utilisé de manière reconventionnelle dans l'affaire Nissan aux Etats-Unis (Nissan motor co., ltd.; Nissan North America, inc. v. Nissan computer corporation, United States District Court central district of California, 29 août 2001). Celle-ci oppose la société Nissan, le constructeur automobile, titulaire de la marque Nissan, à la société Nissan Computer, vendeur d'ordinateurs, également titulaire de la marque Nissan, mais aussi du nom de domaine Nissan.com. Cette dernière reproche à la première d'avoir acheté dans le moteur Goto, l'actuel Overture, les deux mots clés "Nissan" et "Nissan.com". Bien que l'achat de la dénomination "Nissan.com" en mot clé par le plaignant puisse créer une confusion avec le site du défendeur, le tribunal de Californie a rejeté sa demande.

Une nouvelle décision devrait être rendue dans cette affaire en octobre, mais le juge affirme très nettement que la jurisprudence relative à la protection des marques face à leur utilisation dans les metatags devrait s'étendre aux mots clés achetés dans les outils de recherche. Or la jurisprudence, aux Etats-Unis comme en France (voir par exemple l'affaire Playboy contre Calvin Designer Label aux Etats-Unis, et l'affaire Chanel contre Cyticom en France), condamne l'utilisation d'une marque dans les balises Meta. De manière générale, il ne suffit pas d'être titulaire d'une marque pour gagner, encore faut il que les conditions propres au droit des marques s'appliquent. Et il est des cas épineux. On pense par exemple aux conflits qui opposent les fabricants aux distributeurs. En effet, si ces derniers peuvent utiliser la marque afin d'en faire la promotion, ou d'indiquer la destination d'un produit ou service accessoire, ils ne peuvent s'en servir pour appeler la clientèle vers des produits identiques ou similaires à ceux qu'elle désigne. Dans tous les cas, si le distributeur est agrée par le titulaire de la marque, il conviendra d'examiner les stipulations du contrat relatives à son utilisation.

Lorsque le signe constitue un nom commercial, une dénomination sociale, une enseigne ou un nom de domaine, son titulaire pourra agir en concurrence déloyale ou parasitisme. De même, si le signe correspond à un titre ou à une appellation d'origine contrôlée, pourront être invoqués le droit d'auteur ou le droit de la consommation. Ajouter à cela le droit de la publicité trompeuse ou comparative, on en déduit, qu'il existe une multitude de fondements possibles pour engager la responsabilité des acheteurs de mots clés. Précisons que, afin de faire cesser leurs troubles, les titulaires de signes peuvent recourir à une procédure au fond, laquelle permet d'obtenir des dommages et intérêts, mais aussi à une procédure en référé, plus rapide.

La responsabilité du vendeur
La responsabilité de l'outil de recherche est plus délicate à définir. En effet, la vente d'un mot clé peut s'effectuer de façon humaine ou automatique, et cette différence technique est susceptible de rejaillir sur le plan juridique.

Lorsque le positionnement est effectué de façon manuelle, la responsabilité de l'outil ne devrait pas poser de difficulté. Dans l'affaire Estée Lauder (Estée Lauder c/Fragrance Counter, Landericht Hamburg, 16 février 2000), Excite a ainsi été condamné en Allemagne pour avoir vendu à la société Fragrance Counter des mots clefs relatifs à des marques de la société Estée Lauder. Mais dans une autre affaire (Playboy v. Netscape & Excite, 12 septembre 2000, District Court of California), opposant le même outil de recherche à Playboy, le mot Playboy signifiant "jouisseur" en anglais, la Cour du district de Californie a considéré que l'outil avait utilisé la marque uniquement comme mot du langage courant. Derrière cette justification, on sent que la jurisprudence est encore hésitante. En effet, comment les juges peuvent ils admettre que la marque "Playboy" puisse être distinctive lorsque c'est l'annonceur qui l'utilise, et générique dans le cas de l'outil ? Si la marque est distinctive, la responsabilité de l'outil devrait être engagée en raison de sa connaissance du signe squatté. Néanmoins, il convient de préciser sur quel fondement, et il n'est pas sûr que le droit des marques soit adapté. En effet, la finalité poursuivie par l'outil de recherche n'est pas la même que celle de l'acheteur : le premier cherche à commercialiser son espace publicitaire, le second à squatter un signe. La responsabilité de l'outil devrait donc davantage être recherchée sur le terrain de sa faute que sur celui, spécifique, du droit des marques.

La question se pose ensuite de savoir où placer la limite d'une telle responsabilité. En effet, il se peut que le signe acheté soit utilisé de façon authentique, notamment par un distributeur agrée, ou qu'il ne soit pas notoirement connu. Le fondement et l'étendue de la responsabilité des outils de recherche restent donc encore à préciser. A ce sujet, beaucoup attendent de l'affaire "Body Solutions", actuellement en cours aux Etats-Unis. Dans cette dernière, la société Mark Nutritionals Incorporation (MNI), titulaire de la marque Body Solutions, vient d'assigner notamment sur le fondement du droit des marques et de la concurrence déloyale, quatre outils de recherche (Altavista, FindWhat, Kanoodle et Overture) qui ont vendu sous la forme de mot clé, la marque "Body Solutions" à des concurrents (Mark Nutritionals vs. AltaVista, FindWhat, Kanoodle & Overture, District court of San Antonio Texas, février 2002).

A l'opposé, lorsque l'outil vend de façon automatique le mot clef, faute de connaissance, sa responsabilité ne devrait pas être engagée. Cependant, par analogie avec les fournisseurs d'accès ou d'hébergement, il n'est pas exclu que leur responsabilité soit fondée sur leur faute d'imprudence ou de négligence. Ce qui supposerait que l'outil n'ait pas préalablement informé l'acheteur de l'interdiction d'enregistrer en mot clé des marques appartenant à des tiers, ou qu'il n'ait pas mis en place une procédure d'alerte leur permettant de recevoir leur plainte, et que, à la suite d'une telle plainte, il n'ait pas retiré promptement le mot clé manifestement illicite. Certains auteurs évoquent même la possibilité d'engager la responsabilité des moteurs sur le fondement du fait des choses ou du risque. Si ces derniers apparaissent pour l'instant théoriques, il n'en restent pas moins une menace importante pour les moteurs.

En conclusion, les titulaires de signes distinctifs peuvent agir tant à l'encontre des acheteurs que des outils de recherche. Ces derniers contribuant au préjudice, leur responsabilité pourrait être engagée de façon solidaire avec celle des acheteurs. Ce qui représente un avantage certain lorsque l'acheteur est insolvable. Si l'on ajoute à cela que, à l'instar du cyber squatteur, le position squatteur peut être anonyme, on en déduit que les outils de recherche encourent un risque important d'être attraits devant les tribunaux. Mais d'un autre côté, en raison du caractère international du position squatting, il n'est pas évident que ces recours soient efficaces, rapides et peu coûteux. Il semblerait par conséquent que les titulaires de signes distinctifs, et en particulier de marque, aient davantage intérêt à ce que, à l'instar des procédures UDRP, des accords soient conclus entre les outils de recherche et l'OMPI, ou d'autres centres d'arbitrage et de médiation.

[arnaud.dimeglio@wanadoo.fr]

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