Chaque
semaine, gros plan sur la loi et l'Internet
Liens
hypertextes :
risques et responsabilités
- Mardi 16 juillet 2002 -
Le
lien hypertexte ne fait
l'objet d'aucune réglementation spécifique sur le plan européen
ou français. En l'absence de texte, les tribunaux français
ont eu l'occasion de préciser les risques encourus par leurs
auteurs.
Une
décision d'un juge néerlandais en date du 20 juin 2002 donne
un nouvel éclairage au débat relatif à la responsabilité des
auteurs de liens hypertextes. Dans cette affaire, un lien
pointait vers la page d'accueil d'un site, lequel contenait
des articles polémiques expliquant comment bloquer un convoi
de transports nucléaires. Le juge, considérant le contenu
du site illicite, a décidé que le fait de permettre sciemment
l'accès à un tel contenu, par le biais d'un lien renvoyant
vers la page d'accueil de ce site, était condamnable..
Cette
décision intervient alors que le lien hypertexte ne fait actuellement
l'objet d'aucune réglementation spécifique sur le plan européen,
la directive "commerce électronique" du 8 juin 2000 ne définissant
pas de cadre juridique en la matière. En France, le projet
de loi sur la société de l'information (LSI) n'est d'ailleurs
pas davantage prolixe. En l'absence de texte, les Tribunaux
français ont eu l'occasion de préciser les risques encourus
par les auteurs de liens hypertextes. La jurisprudence a ainsi
mis en place une typologie des liens, certains étant présumés
autorisés, d'autres non.
Les
risques encourus par les auteurs de liens
Il
convient de distinguer quatre fondements majeurs permettant
de mettre en jeu la responsabilité de l'auteur d'un lien hypertexte
:
1. Le risque de contrefaçon
En premier lieu, l'insertion d'un lien hypertexte peut
être sanctionnée lorsqu'elle permet de porter atteinte à une
marque. C'est ainsi que la Cour d'appel de Paris a condamné,
le 19 septembre 2001, la société Europe 2 pour avoir permis
de façon délibérée l'accès à un site contrefaisant la marque
NRJ (NRJ SA c/ Société Europe 2 Communication).
Mais le
risque de contrefaçon ne concerne pas seulement les marques.
Le lien peut également être sanctionné lorsqu'il permet l'accès
à un contenu reproduisant de manière illicite une uvre protégée
(texte, image, son, etc.). C'est ainsi que le Tribunal Correctionnel
d'Epinal, dans un jugement du 24 octobre 2000, a retenu la
responsabilité pénale et civile d'un individu qui avait permis,
par le biais de liens hypertextes, d'accéder à des uvres
musicales sous format MP3 sans l'autorisation leurs auteurs.
2.
Le risque de concurrence déloyale
La concurrence déloyale est sanctionnée sur le fondement
général de la responsabilité délictuelle (art. 1382 du Code
civil). Sa première application marquante permet au juge de
sanctionner le fait de s'approprier le contenu d'un site tiers
en utilisant des liens laissant croire à l'internaute qu'il
reste sur le même site. Cette appropriation illicite du travail
d'autrui sans son autorisation constitue un "acte parasitaire",
selon le vocable consacré par la doctrine et la jurisprudence.
En outre,
si le contenu pointé est dénigrant, le lien peut également
être sanctionné sur le fondement de la concurrence déloyale.
En ce sens, la Cour d'appel de Paris, dans l'arrêt précité,
a condamné l'éditeur du site Web d'Europe 2 pour avoir mis
en place un lien hypertexte renvoyant vers un site "anti-NRJ".
3.
Le risque de diffamation ou d'injure
La mise en jeu de la responsabilité de l'auteur d'un lien
hypertexte peut également se faire sur le fondement des délits
de presse, c'est-à-dire, notamment, la diffamation et l'injure
(loi du 29 juillet 1881 relative la liberté de la presse).
Quand bien même aucune décision n'a été rendue à ce jour sur
ce fondement, l'on peut considérer que des liens hypertextes
pourraient participer à la propagation de propos diffamatoires,
de la même manière qu'ils peuvent participer au dénigrement
d'une entreprise.
4.
Le risque de publicité trompeuse
Enfin, depuis l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes du
31 mai 2000 (Crédit mutuel de Bretagne c/ Fédération Logement
d'Ile et Vilaine), la jurisprudence a affirmé à plusieurs
reprises qu'un site internet constituait une publicité. Il
en résulte que le lien qui pointe vers un contenu qualifié
de publicité trompeuse (art. L. 121-1 du Code de la consommation)
peut parfaitement être sanctionné.
La
mise en uvre d'une typologie des liens
Pour
mettre en uvre les différents types de responsabilités, les
juges ont adopté la distinction des liens simples, qui pointent
vers la page d'accueil d'un site internet, des liens profonds,
qui dirigent l'internaute vers une page intérieure d'un site
tiers. Mais, à plusieurs égards, la portée de cette distinction
peut paraître limitée.
1.
La distinction du lien simple et du lien profond
Plusieurs jurisprudences, d'ailleurs toutes relatives à des
sites d'offres d'emplois, sont venues affirmer que les liens
simples, qui sont de l'essence même de l'internet, sont présumés
avoir été autorisés par les éditeurs des sites cibles.
Le principe
a tout d'abord été énoncé en ces termes par le Tribunal de
Commerce de Nanterre, le 8 novembre 2000, dans l'affaire Stepstone
c/ofir : "la raison d'être d'internet et ses principes de
fonctionnement impliquent que des liens hypertextes et interstices
puissent être effectués librement, surtout lorsqu'ils ne se
font pas, comme en l'espèce, directement sur les pages individuelles
du site référencé".
Puis,
le Tribunal de Commerce de Paris a confirmé, dans sa décision
du 26 décembre 2000, dans l'affaire Cadres On Line c/ Keljob,
qu'il " est admis que l'établissement de liens hypertextes
simples est censé avoir été implicitement autorisé ". A cet
égard, les termes employés par le Tribunal montrent une réelle
volonté d'élever ce principe au rang d'usage. Le Tribunal
de Commerce Paris a également souligné à l'occasion de cette
décision qu'il n'en était pas de même pour les liens profonds,
suggérant ainsi la nécessité, dans ce cas, de demander l'autorisation
expresse de l'éditeur du site cible.
2.
La portée limitée de cette distinction
La portée de la distinction entre lien simple et lien profond
nous semble cependant devoir être envisagée avec prudence,
et cela pour deux raisons. Tout d'abord, la quasi totalité
des décisions rendues en matière de responsabilité du fait
des liens hypertextes sont des décisions de référés. Autrement
dit, non seulement elles n'ont pas de caractère contraignant
vis à vis des autres juridictions, mais en outre, le juge
se fonde sur les articles propres à la procédure de référé.
Comme l'indique la formule consacrée, il est juge de l'évidence
et non juge du fond.
Ensuite,
la distinction entre lien simple et lien profond fait abstraction
d'un élément particulièrement important, surtout en matière
de responsabilité pénale : l'élément intentionnel. Ainsi,
on peut légitimement se demander si cette distinction serait
opportune dans l'hypothèse où un lien, quel qu'il soit, viserait
sciemment à propager un contenu diffamatoire
Il est probable
que non.
D'ailleurs,
la jurisprudence française l'a bien compris puisque dans l'affaire
Europe 2 c/ NRJ, la Cour d'appel de Paris, relève qu'Europe2
"ne pouvait se méprendre sur le caractère illicite" des contenus
qu'elle rendait accessibles par les liens créés. En d'autres
termes, il y avait la réunion d'un élément matériel et d'un
élément intentionnel.
Si la
jurisprudence semble avoir pour l'heure adopté la typologie
lien simple/lien profond, la décision du juge néerlandais
a le mérite de nous rappeler que la portée de cette typologie
n'est pas universelle. Pour sa part le juge américain a adopté
une conception très différente du droit applicable aux liens
hypertextes. Pour déterminer si la création d'un lien est
licite, il examine en particulier si le lien peut être protégé
par le "fair use", qui est l'une des exceptions à la protection
par le copyright (paragraphe 107, section 17 du Code US).
Schématiquement, plusieurs critères doivent être examinés
pour bénéficier de la protection du "fair use" : la finalité
de l'utilisation du lien, la nature du lien utilisé, l'importance
des liens copiés et les conséquences de l'acte de reproduction.
[jperlemuter@salans.com]
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