Le
7 octobre, le président du CSA demandait au Parlement
d'interdire la diffusion des films pornographiques à
la télévision. Il soutenait ainsi la proposition de
loi signée trois mois plus tôt par 96 députés visant
à interdire à la télévision les "scènes de pornographie
ou de violences gratuite". Le débat entre les partisans
de l'interdiction pure et simple de la pornographie
à la télévision et les tenants de la liberté d'expression
prônant la responsabilité des parents est donc ouvert.
Mais cette controverse masque mal le fait que le moyen
le plus aisé pour accéder à des contenus pornographiques
demeure l'Internet.
Au
contraire de la télévision, de la radio, de la presse
écrite et du cinéma, aucune disposition spécifique à
l'Internet ne règle la question de l'accès des mineurs
à la pornographie. C'est pourquoi, un arrêt de la Cour
d'appel de Paris du 2 avril 2002, en condamnant à 30.000
euros d'amende l'éditeur d'un site qui n'avait pas pris
de "précautions utiles" pour bloquer aux mineurs l'accès
à des contenus pornographiques, pourrait avoir des répercussions
très importantes.
Il reste que les règles relatives
à la diffusion de contenus pornographiques en ligne
se fondent essentiellement sur le régime de sanction
de droit commun qui, bien que sévère, est pour le moins
peu adapté, les mesures de préventions restant malgré
tout marginales.
1.
Un régime de sanctions sévère mais peu adapté
La répression de la diffusion
de contenus pornographiques aux mineurs sur l'Internet
se fonde sur l'article 227-24 du Code pénal, qui précise
que "le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser
par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le
support un message à caractère violent ou pornographique
ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité
humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est
puni de trois ans d'emprisonnement et de 75.000 euros
d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu
ou perçu par un mineur."
Un délit entendu de manière
particulièrement large. Le fait réprimé par le Code
pénal, ou élément matériel du délit, n'est donc pas
la diffusion effective de contenus pornographiques à
des mineurs, mais simplement le fait que le contenu
puisse être perçu par ces mineurs. Il suffit en outre
pour caractériser l'élément intentionnel du délit que
l'agent ait "conscience de diffuser un message à caractère
pornographique [
] susceptible d'être vu ou perçu par
un mineur" (Cour d'appel de Paris, 14
décembre 1994). Le délit est donc entendu de
manière très large, tant en ce qui concerne l'élément
matériel que l'élément intentionnel.
Un régime peu adapté. Le
délit prévu à l'article 227-24 du Code pénal demeure
toutefois peu adapté aux acteurs de l'Internet, tant
il est délicat de déterminer l'auteur de l'infraction,
entre l'hébergeur, l'auteur du contenu, et l'éditeur.
Il est acquis, en vertu de
l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 (issu
de la loi du 1er août 2000), que la responsabilité des
fournisseurs d'hébergement ne peut être recherchée que
si ces derniers n'agissent pas promptement pour bloquer
l'accès à un site sur ordre d'un juge. En d'autres termes,
leur responsabilité ne pourra être que très rarement
retenue.
En revanche, l'auteur du contenu
pourra être responsable, à moins que ce contenu ait
été mis en ligne sans qu'il en ait connaissance, l'élément
intentionnel faisant alors défaut. Le problème reste
que l'auteur est souvent difficilement identifiable,
de sorte qu'une injonction judiciaire sera nécessaire
pour obtenir ses coordonnées auprès des prestataires
techniques.
L'éditeur est quant à lui soumis
à une obligation légale d'identification, mais la jurisprudence
est divisée sur la question de sa responsabilité. Certains
juges considèrent qu'il est responsable à raison du
contrôle qu'il exerce sur le contenu diffusé (Tribunal
de Grande Instance de Lyon 28 mai 2002, TGI Toulouse
5 juin 2002), tandis que d'autres lui appliquent
le même régime que celui de prestataires techniques,
c'est-à-dire l'article 43-8 de loi de 1986, excluant
de facto sa responsabilité (TGI Paris,
18 février 2002). C'est pourquoi la décision
de la Cour d'appel de Paris du 2 avril 2002, qui énonce
qu'une "obligation de précaution" pèse sur l'éditeur
du site pourrait avoir une portée considérable si elle
faisait jurisprudence, et cela d'autant plus qu'elle
va dans le sens d'une plus grande prévention
2.
Des mesures de prévention à développer
Le filtrage des contenus
par le fournisseur d'accès. L'article 43-7 de la
loi du 30 septembre 1986 modifiée dispose que les fournisseurs
d'accès sont tenus "d'une part, d'informer leurs abonnés
de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre
l'accès à certains services ou de les sélectionner,
d'autre part, de leur proposer au moins un de ces moyens."
La seule obligation des fournisseurs d'accès, non assortie
de sanction, est donc d'informer et de mettre à disposition
des moyens de filtrage. Le blocage effectif doit venir
d'un tiers, les parents par exemple.
Les logiciels de filtrage empêchent
l'accès au contenu, en fonction d'adresses URL et/ou
de mots clés. On citera par exemple le logiciel développé
par l'Internet Content Rating Association, qui fait
intervenir l'éditeur de services (par l'établissement
d'une fiche signalétique décrivant le contenu du site,
à partir de mots clés standardisés), les parents ayant
la charge de sélectionner les sites étiquetés.
L'obligation de précaution
de l'éditeur du site. Dans sa décision du 2 avril
2002, la Cour d'appel de Paris a condamné l'éditeur
d'un site diffusant des contenus pornographiques malgré
la mise en garde placée sur la page d'accueil du site
et l'information relative à l'existence de logiciels
de restriction d'accès. La Cour a en effet jugé que
les contenus pornographiques "étaient susceptibles d'être
vus par toute personne ayant accès à l'Internet, y compris
par les mineurs". Les juges ont considéré qu'une "obligation
de précaution" pesait sur le diffuseur - non respectée
en l'occurrence - et ont refusé de prendre en compte
"une carence éventuelle des parents".
La Cour n'a pas pour autant
précisé quelles devaient être les "précautions utiles".
Il est permis de penser que les juges ont entendu faire
peser sur l'éditeur du site l'obligation de mettre en
place un contrôle effectif de l'âge des internautes.
On se souviendra qu'en matière télématique, la jurisprudence
avait déjà stigmatisé, pour certains services à destination
des adultes, l'absence de contrôle de l'âge des utilisateurs.
La carence de règles spécifiques
à l'Internet concernant la diffusion de contenus pornographiques
et l'absence d'autorité de régulation (comme le CSA
pour la télévision) ont amené la jurisprudence à rechercher
la responsabilité des diffuseurs sur le fondement du
Code pénal. Mais le chemin tracé par la Cour d'appel
de Paris, de même que l'édiction de règles - françaises
ou européennes -, risque de se heurter au caractère
transfrontalier de l'Internet. Non seulement la loi,
mais également les éventuelles décisions des juridictions
françaises, seront en effet difficilement applicables
aux sites étrangers.
Il n'en reste pas moins que
si la position de la Cour d'appel de Paris devait être
confirmée par de nouvelles décisions, une multiplication
des condamnations pourrait voir le jour très prochainement
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