Juridique
L'accès des mineurs à la pornographie sur l'Internet : protections et sanctions
 (Mercredi 13 novembre 2002)
         


par Jérôme Perlemuter
Avocat à la Cour
Cabinet Salans

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Liens hypertextes : risques et responsabilités (16/07/02)

Le 7 octobre, le président du CSA demandait au Parlement d'interdire la diffusion des films pornographiques à la télévision. Il soutenait ainsi la proposition de loi signée trois mois plus tôt par 96 députés visant à interdire à la télévision les "scènes de pornographie ou de violences gratuite". Le débat entre les partisans de l'interdiction pure et simple de la pornographie à la télévision et les tenants de la liberté d'expression prônant la responsabilité des parents est donc ouvert. Mais cette controverse masque mal le fait que le moyen le plus aisé pour accéder à des contenus pornographiques demeure l'Internet.

Au contraire de la télévision, de la radio, de la presse écrite et du cinéma, aucune disposition spécifique à l'Internet ne règle la question de l'accès des mineurs à la pornographie. C'est pourquoi, un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 avril 2002, en condamnant à 30.000 euros d'amende l'éditeur d'un site qui n'avait pas pris de "précautions utiles" pour bloquer aux mineurs l'accès à des contenus pornographiques, pourrait avoir des répercussions très importantes.

Il reste que les règles relatives à la diffusion de contenus pornographiques en ligne se fondent essentiellement sur le régime de sanction de droit commun qui, bien que sévère, est pour le moins peu adapté, les mesures de préventions restant malgré tout marginales.

1. Un régime de sanctions sévère mais peu adapté
La répression de la diffusion de contenus pornographiques aux mineurs sur l'Internet se fonde sur l'article 227-24 du Code pénal, qui précise que "le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur."

Un délit entendu de manière particulièrement large. Le fait réprimé par le Code pénal, ou élément matériel du délit, n'est donc pas la diffusion effective de contenus pornographiques à des mineurs, mais simplement le fait que le contenu puisse être perçu par ces mineurs. Il suffit en outre pour caractériser l'élément intentionnel du délit que l'agent ait "conscience de diffuser un message à caractère pornographique […] susceptible d'être vu ou perçu par un mineur" (Cour d'appel de Paris, 14 décembre 1994). Le délit est donc entendu de manière très large, tant en ce qui concerne l'élément matériel que l'élément intentionnel.

Un régime peu adapté. Le délit prévu à l'article 227-24 du Code pénal demeure toutefois peu adapté aux acteurs de l'Internet, tant il est délicat de déterminer l'auteur de l'infraction, entre l'hébergeur, l'auteur du contenu, et l'éditeur.

Il est acquis, en vertu de l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 (issu de la loi du 1er août 2000), que la responsabilité des fournisseurs d'hébergement ne peut être recherchée que si ces derniers n'agissent pas promptement pour bloquer l'accès à un site sur ordre d'un juge. En d'autres termes, leur responsabilité ne pourra être que très rarement retenue.

En revanche, l'auteur du contenu pourra être responsable, à moins que ce contenu ait été mis en ligne sans qu'il en ait connaissance, l'élément intentionnel faisant alors défaut. Le problème reste que l'auteur est souvent difficilement identifiable, de sorte qu'une injonction judiciaire sera nécessaire pour obtenir ses coordonnées auprès des prestataires techniques.

L'éditeur est quant à lui soumis à une obligation légale d'identification, mais la jurisprudence est divisée sur la question de sa responsabilité. Certains juges considèrent qu'il est responsable à raison du contrôle qu'il exerce sur le contenu diffusé (Tribunal de Grande Instance de Lyon 28 mai 2002, TGI Toulouse 5 juin 2002), tandis que d'autres lui appliquent le même régime que celui de prestataires techniques, c'est-à-dire l'article 43-8 de loi de 1986, excluant de facto sa responsabilité (TGI Paris, 18 février 2002). C'est pourquoi la décision de la Cour d'appel de Paris du 2 avril 2002, qui énonce qu'une "obligation de précaution" pèse sur l'éditeur du site pourrait avoir une portée considérable si elle faisait jurisprudence, et cela d'autant plus qu'elle va dans le sens d'une plus grande prévention…

2. Des mesures de prévention à développer
Le filtrage des contenus par le fournisseur d'accès. L'article 43-7 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée dispose que les fournisseurs d'accès sont tenus "d'une part, d'informer leurs abonnés de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à certains services ou de les sélectionner, d'autre part, de leur proposer au moins un de ces moyens." La seule obligation des fournisseurs d'accès, non assortie de sanction, est donc d'informer et de mettre à disposition des moyens de filtrage. Le blocage effectif doit venir d'un tiers, les parents par exemple.

Les logiciels de filtrage empêchent l'accès au contenu, en fonction d'adresses URL et/ou de mots clés. On citera par exemple le logiciel développé par l'Internet Content Rating Association, qui fait intervenir l'éditeur de services (par l'établissement d'une fiche signalétique décrivant le contenu du site, à partir de mots clés standardisés), les parents ayant la charge de sélectionner les sites étiquetés.

L'obligation de précaution de l'éditeur du site. Dans sa décision du 2 avril 2002, la Cour d'appel de Paris a condamné l'éditeur d'un site diffusant des contenus pornographiques malgré la mise en garde placée sur la page d'accueil du site et l'information relative à l'existence de logiciels de restriction d'accès. La Cour a en effet jugé que les contenus pornographiques "étaient susceptibles d'être vus par toute personne ayant accès à l'Internet, y compris par les mineurs". Les juges ont considéré qu'une "obligation de précaution" pesait sur le diffuseur - non respectée en l'occurrence - et ont refusé de prendre en compte "une carence éventuelle des parents".

La Cour n'a pas pour autant précisé quelles devaient être les "précautions utiles". Il est permis de penser que les juges ont entendu faire peser sur l'éditeur du site l'obligation de mettre en place un contrôle effectif de l'âge des internautes. On se souviendra qu'en matière télématique, la jurisprudence avait déjà stigmatisé, pour certains services à destination des adultes, l'absence de contrôle de l'âge des utilisateurs.

La carence de règles spécifiques à l'Internet concernant la diffusion de contenus pornographiques et l'absence d'autorité de régulation (comme le CSA pour la télévision) ont amené la jurisprudence à rechercher la responsabilité des diffuseurs sur le fondement du Code pénal. Mais le chemin tracé par la Cour d'appel de Paris, de même que l'édiction de règles - françaises ou européennes -, risque de se heurter au caractère transfrontalier de l'Internet. Non seulement la loi, mais également les éventuelles décisions des juridictions françaises, seront en effet difficilement applicables aux sites étrangers.

Il n'en reste pas moins que si la position de la Cour d'appel de Paris devait être confirmée par de nouvelles décisions, une multiplication des condamnations pourrait voir le jour très prochainement…

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[Rédaction, JDNet]
 
 
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