La
parodie de marque a le vent en poupe : après l'appel
au boycott de la marque Danone par le réseau Voltaire
l'année dernière, cette année c'est au tour de l'association
Greenpeace de donner un coup de griffe à la marque Esso
et Areva. Et ce mouvement n'est pas prés de s'arrêter
si l'on en croit la dernière jurisprudence rendue en
matière de parodie de marque.
En
effet, dans une ordonnance de référé du 2 août 2002,
le Tribunal de Grande Instance de Paris, vient de reconnaître
le droit pour l'association Greenpeace de diffuser sur
son site Internet des parodies et autres caricatures
de la marque Areva. Or, dans les affaires précédentes,
le juge avait au contraire considéré que la parodie
de marque constituait une contrefaçon
Que s'est-il
donc passé en l'espace d'une année pour que la jurisprudence
évolue ainsi ?
Le
principe de la parodie
La parodie constitue une exception
au droit d'auteur, ainsi qu'il ressort de l'article
L. 122-5 4° du Code de la Propriété Intellectuelle :
"Lorsque l'uvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire
: 4º La parodie, le pastiche et la caricature, compte
tenu des lois du genre." Le droit des marques, pour
sa part, ne prévoit aucune "exception de parodie". Aussi,
lorsqu'une marque était parodiée, la tendance de la
jurisprudence était de rejeter la parodie de marque,
et de condamner, sur le fondement du droit des marques,
les auteurs de la parodie. Telles furent les solutions
rendues dans les affaires Danone et Esso mais aussi
RATP, ou encore Onetel. C'est précisément cette analyse
que la "jurisprudence Areva" ébranle.
En l'espèce, le Tribunal a
considéré que l'utilisation de la marque à des fins
parodiques n'entrait pas dans le cadre du droit des
marques. En substance, le Tribunal s'est attaché à la
finalité même du droit des marques : protéger la marque
contre son utilisation à des fins commerciales, pour
désigner des produits ou services identiques ou similaires
à la marque enregistrée. Or les sites contestataires,
comme celui de Greenpeace, n'ont pas de vocation commerciale.
Ils ont pour but de critiquer la politique, ou tout
simplement l'activité de telle ou telle grande enseigne.
Dés lors, l'utilisation de la marque à des fins parodiques
ne constituerait pas une contrefaçon.
Néanmoins, l'affaire Areva
n'a été jugée qu'en référé. Cette jurisprudence doit
donc encore être "confirmée" par les juges du fond,
notamment sur le terrain du droit d'auteur. Dans la
mesure où la marque peut être protégée, dans sa forme
dénominative comme figurative, par le droit d'auteur,
aucun obstacle ne devrait s'élever à l'encontre de l'application
de l'exception de parodie à la marque. A supposer que
les magistrats reconnaissent ce "principe" d'application,
il ne faut pas non plus tomber dans l'excès inverse,
et croire que la parodie de marque serait un droit "absolu".
Les
limites de la parodie
Les limites de la parodie tiennent
au fait qu'elle est une exception au droit d'auteur
: pour qu'elle s'applique, certaines conditions doivent
être respectées. Parmi ces conditions, il en est deux
essentielles : l'absence de confusion, et de dénigrement.
Confusion. La
parodie est par définition un travestissement de la
réalité. Aucune confusion ne doit dés lors exister entre
la marque et sa parodie. La condition d'absence de confusion
a déjà pu se vérifier en jurisprudence, tant pour le
nom de domaine, que pour le contenu des sites contestataires.
En ce qui concerne les noms
de domaine, la jurisprudence condamne la reprise de
la marque à l'identique. Dans l'affaire RATP, les auteurs
du site avaient enregistré le nom de domaine "ratp.org".
Ce faisant, ils créaient une confusion avec le site
officiel de la RATP, "ratp.fr". On comprend dés lors
qu'ils aient été condamnés. En raison de la finalité
non commerciale du site parodique, on regrette seulement
qu'ils l'aient été sur le fondement du droit des marques,
et non du droit d'auteur. En sens inverse, dans l'affaire
Danone, le nom de domaine "jeboycottedanone" n'a pas
été sanctionné. Les magistrats ont en effet considéré
que ce nom de domaine ne prêtait pas à confusion avec
la célèbre marque. Enfin, dans les affaires Greenpeace,
la question de la confusion ne s'était pas posée dans
la mesure où la parodie était située, dans l'affaire
Esso, dans un sous domaine (greenpeacefrance.fr/stopesso)
et, dans l'affaire Areva, sur la page d'accueil du site
de Greenpeace.
S'agissant du contenu du site,
comme pour le nom de domaine, la marque ne doit pas
être utilisée comme un titre, notamment sous la forme
d'une rubrique, et créer une confusion dans l'esprit
du public (cf. par exemple l'affaire Onetel précitée).
A partir du moment où la marque, qu'elle soit dénominative
ou figurative, est parodiée, aucune confusion ne peut
avoir lieu. L'exception de parodie est donc applicable.
C'est sur ce terrain que la jurisprudence Areva devrait
avoir le plus d'effet. Les magistrats ne devraient plus
ainsi juger comme dans l'affaire Danone, que la reprise
d'un logo, même parodié, est constitutif d'une contrefaçon
de marque.
En parallèle, précisons que
les auteurs de sites contestataires, peuvent bénéficier
d'une autre exception au droit d'auteur que celle de
parodie : l'exception de courte citation. La marque
peut, en effet, être naturellement "citée" à l'identique
pour accompagner la critique. Et ce, que la marque se
présente sous une forme dénominative ou figurative.
La marque, en tant que forme protégée par le droit d'auteur,
peut donc être reprise à l'identique, à condition qu'elle
constitue une courte citation. Elle doit alors s'incorporer
de façon brève, autrement dit, accessoire dans le contenu.
Lorsqu'elle se présente sous la forme d'une image, la
jurisprudence tend à considérer que la reproduction
de la marque sous une forme réduite respecte la condition
de brièveté..
Dénigrement. S'agissant
de la condition d'absence de dénigrement, elle découle
de l'interprétation faite par la jurisprudence de l'article
L. 122-5 4° du Code de la Propriété Intellectuelle,
lequel prévoit que la parodie est tenue de respecter
les "lois du genre". A l'instar de la condition de confusion,
celle de dénigrement s'applique pour les noms de domaine,
et le contenu des sites parodiques.
Peuvent notamment être sanctionnés
pour dénigrement, les noms de domaine composés de la
marque, et d'un préfixe ou d'un suffixe tel que "suck"
ou "fuck". Les "arbitres" de l'OMPI sanctionnent ce
type de nom de domaine sur le fondement de la confusion
(cf. par exemple les affaires "vivendiuniversalsuck"
ou encore "accorsucks.com") et non du dénigrement. Mais
cela tient davantage aux principes même des règles de
l'ICANN, qui exigent de prouver une confusion entre
le nom de domaine et la marque, qu'à l'absence même
de prise en compte de la notion de dénigrement. Les
juridictions internes sanctionnent, quant à elles, sur
le fondement du droit commun de la responsabilité, les
noms de domaine et contenus dénigrants (Cf par exemple
l'affaire Ontelfuck TGI Paris, 29 mai 2001 Onetel c/
Nicolas M et l'affaire RATP précitée). Reste à savoir
si un tel contenu pourrait à la fois être condamné sur
le fondement du droit d'auteur et du dénigrement. Dans
tous les cas, le dénigrement, et au delà, la diffamation
ou l'injure sanctionnées par la loi de 1881 constituent
une limite certaine à la parodie de marque.
En conclusion, la parodie de
marque est licite, mais elle est un art difficile. Comme
tout droit, elle est limitée, et il convient de respecter
certaines conditions, dont les principales sont l'absence
de confusion et de dénigrement.
[arnaud.dimeglio@wanadoo.fr
et thibault.verbiest@ulys.net]
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