L'article
L. 122-5 du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) prévoit
que lorsqu'une uvre à été divulguée, son auteur ne
peut en interdire les copies ou reproductions "strictement
réservées à l'usage du copiste [c'est-à-dire, en principe,
celui qui effectue la reproduction] et non destinées
à une utilisation collective". Cette disposition est
reprise par l'article 211-3 du même code pour les artistes-interprètes
et les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes.
En vertu de cette exception, il est possible à tout
un chacun par exemple de copier un film sur une cassette
vidéo, un CD audio sur son disque dur, permettant à
l'acquéreur légitime de jouir de l'uvre comme il l'entend
dans un cadre strictement personnel ou familial.
Cependant,
l'avant-projet de loi relatif au "droit d'auteur et
aux droits voisins dans la société de l'information"
autorise les éditeurs, producteurs et fournisseurs de
contenu à mettre en place des mesures techniques de
protection, visant à empêcher la copie des uvres dont
ils sont titulaires sur certains supports ou à limiter
le nombre de copies possibles.
Pour certains, cet avant-projet
annonce la mort prochaine de la copie privée. Pour d'autre
il aborde un problème complexe qui nécessite concertations
et propositions. Ce texte, susceptible de modifications,
doit être discuté une nouvelle fois le 8 janvier devant
la "Commission copie privée" du Conseil Supérieur de
la Propriété Littéraire et Artistique.
1.
Fondement de l'exception de copie privée
L'exception de copie privée
telle qu'elle est envisagée par le Code de la propriété
intellectuelle est issue des technologies existantes
dans l'univers analogique. Pour justifier cette exception
au monopole d'exploitation de l'auteur sur son uvre,
plusieurs arguments ont été traditionnellement avancés.
D'une part, il n'est pas possible de contrôler l'usage
d'une uvre (et des copies qui en sont faites) dès lors
qu'une personne jouit de cette uvre dans sa sphère
privée. D'autre part, le préjudice résultant de la copie
privée est limité pour les ayants droit puisque la qualité
de l'uvre reproduite se dégrade par rapport à l'original.
Cependant, les justifications
invoquées à l'appui de cette exception perdent de leur
pertinence dans l'environnement numérique. L'original
et la "copie numérique" sont d'une qualité identique
et des mesures techniques empêchant la reproduction
peuvent aisément être mises en place. Aussi, d'autres
fondements ont été avancés pour justifier la copie privée:
liberté d'expression, nécessité d'information et de
recherche, respect de la sphère privée de chaque personne
2.
Exception de copie privée ou droit à la copie privée
?
Peut-on considérer que l'utilisateur
d'une uvre dispose d'un "droit à la copie privée" ?
La question est toujours controversée. Les associations
de consommateurs estiment que la copie privée est un
"droit reconnu aux consommateurs" qui, en tant qu'acquéreurs
et utilisateurs, doivent pouvoir utiliser librement
l'uvre dans l'intimité de leur foyer. En revanche,
certains auteurs estiment que la copie privée est une
tolérance, ou tout au plus une exception au monopole
de l'auteur, qui trouve sa limite dès lors qu'elle porte
atteinte à l'exploitation normale de l'uvre ou cause
un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.
Les producteurs et les éditeurs se rangent volontiers
derrière cette analyse
Les textes internationaux relatifs
au droit d'auteur ne qualifient pas l'exception de copie
privée comme un "droit". Ainsi, la directive du 22 mai
2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit
d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information
parle de "faculté" pour les Etats membres de prévoir
une exception de copie privée.
3.
L'avant-projet de loi remet-il en cause le principe
de la copie privée ?
La disposition la plus critiquée
figure à l'article 8 alinéa 1 de l'avant-projet. Elle
prévoit que "l'auteur d'une uvre autre qu'un logiciel,
l'artiste-interprète, le producteur de phonogrammes
ou de vidéogrammes, l'entreprise de communication audiovisuelle
peut mettre en place des mesures techniques de protection
des droits qui leur sont reconnus par les livres I et
II [du CPI]". Cette faculté est également offerte au
producteur de bases de données (article 18) mais curieusement
pas aux éditeurs de logiciels.
L'avant-projet ajoute un important
arsenal répressif qui transpose presque mot pour mot
la directive du 22 mai 2001 et assimile au délit de
contrefaçon (dont la sanction peut aller jusqu'à deux
ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende) le fait
de "porter atteinte, en connaissance de cause, à toute
technologie, produit, appareil, dispositif, moyen, service
ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement,
est destiné à permettre le contrôle de l'utilisation
de l'uvre". Ce même article interdit de fabriquer,
d'importer, de détenir en vue de la vente, ou de faire
connaître directement ou indirectement tout service,
information ou moyen en vue de contourner une mesure
technique de protection.
D'aucuns estiment que l'avant-projet
de loi empêche pratiquement les utilisateurs de procéder
à des copies privées. Pourtant, l'avant-projet de loi
ne supprime cette exception. L'alinéa 2 de l'article
8 précise que les mesures de protection "doivent permettre
aux bénéficiaires des exceptions prévues au deuxièmement
(
) de l'article L. 122-5, [et] au deuxièmement (
)
de l'article L. 211-3 d'en jouir lorsqu'il a un accès
licite à l'uvre". Cette disposition signifie que les
dispositifs anti-copie ne doivent pas empêcher l'utilisateur
légitime d'une uvre de réaliser une copie privée dans
les conditions prévues par la loi. L'exception de copie
privée n'est donc pas supprimée dans son principe et
l'acquéreur d'une uvre aura toujours la faculté de
reproduire celle-ci par d'autres moyens que ceux qui
sont prohibés par l'auteur (enregistrement analogique
d'une version numérique ou l'inverse
).
4.
Dans quelles conditions les mesures de protection seront
elles acceptables pour les particuliers ?
L'avant-projet n'indique pas
quelles seront les restrictions d'utilisation qui pourront
être apportées par les mesures techniques de protection,
ni comment le particulier sera informé de ces restrictions.
Si l'objectif du texte doit
être de réaliser un équilibre entre mesures techniques
de protection (qui limitent le préjudice des ayants
droit lié aux contrefaçons) et bénéfice l'exception
de copie privée, aucune réponse précise n'est apportée
à ces questions. L'avant-projet de loi confie cette
délicate mission au juge et précise de façon laconique
que "le juge peut prescrire (
) toutes mesures de nature
à assurer le bénéfice des exceptions" (art. 8 dernier
alinéa). Cependant, il n'est pas certain que cette solution
soit la plus adaptée. Il aurait été préférable que le
législateur édicte les critères permettant d'assurer
cet arbitrage plutôt que de s'en remettre à la seule
appréciation du juge
Les
mesures techniques de protection risquent cependant
d'être mal acceptées par les consommateurs et de les
induire en erreur s'il n'ont pas été suffisamment informés.
Aussi, les producteurs et les éditeurs ont tout intérêt
à mettre en garde l'acheteur d'une uvre si celle-ci
ne peut pas être lue ou copiée sur certains supports.
Ils devront informer les utilisateurs, de façon apparente,
compréhensible, et en français, des éventuelles restrictions.
A défaut, les producteurs, éditeurs, et fournisseur
de contenus risquent d'engager leur responsabilité civile
et pénale notamment sur le fondement de l'article L
111-1 du Code de la consommation.
Conclusion
: quel est l'avenir de la rémunération pour copie privée
avec la mise en place des mesures techniques de protection
?
La loi du 17 juillet 2001 étend
le mécanisme de rémunération pour copie privée à l'ensemble
des supports numériques. Ainsi, lorsqu'un particulier
achète un CD vierge, il paye une redevance sur chaque
CD (0,56 euros). Cette somme est destinée à compenser
le préjudice subi par les ayants droit du fait de l'impossibilité
technique de contrôler la copie de leurs uvres. Ces
redevances devraient rapporter aux ayants droit 150
millions d'euros sur l'année 2002.
En principe, le taux des redevances
devraient être revus à la baisse voire supprimés si
les dispositifs de protection empêchent l'utilisateur
de réaliser certaines copies. L'avant-projet de loi
n'aborde pas ce point délicat, et il n'est pas certain
que les éditeurs et producteurs acceptent de renoncer
à tout ou partie de cette rémunération substantielle
[phebert@salans.com]
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