Juridique
Copie privée : jusqu'où?
 (Mardi 7 janvier 2003)
         

par Paul Hébert
Cabinet Salans

L'article L. 122-5 du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) prévoit que lorsqu'une œuvre à été divulguée, son auteur ne peut en interdire les copies ou reproductions "strictement réservées à l'usage du copiste [c'est-à-dire, en principe, celui qui effectue la reproduction] et non destinées à une utilisation collective". Cette disposition est reprise par l'article 211-3 du même code pour les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes. En vertu de cette exception, il est possible à tout un chacun par exemple de copier un film sur une cassette vidéo, un CD audio sur son disque dur, permettant à l'acquéreur légitime de jouir de l'œuvre comme il l'entend dans un cadre strictement personnel ou familial.

Cependant, l'avant-projet de loi relatif au "droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information" autorise les éditeurs, producteurs et fournisseurs de contenu à mettre en place des mesures techniques de protection, visant à empêcher la copie des œuvres dont ils sont titulaires sur certains supports ou à limiter le nombre de copies possibles.

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Pour certains, cet avant-projet annonce la mort prochaine de la copie privée. Pour d'autre il aborde un problème complexe qui nécessite concertations et propositions. Ce texte, susceptible de modifications, doit être discuté une nouvelle fois le 8 janvier devant la "Commission copie privée" du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique.

1. Fondement de l'exception de copie privée
L'exception de copie privée telle qu'elle est envisagée par le Code de la propriété intellectuelle est issue des technologies existantes dans l'univers analogique. Pour justifier cette exception au monopole d'exploitation de l'auteur sur son œuvre, plusieurs arguments ont été traditionnellement avancés. D'une part, il n'est pas possible de contrôler l'usage d'une œuvre (et des copies qui en sont faites) dès lors qu'une personne jouit de cette œuvre dans sa sphère privée. D'autre part, le préjudice résultant de la copie privée est limité pour les ayants droit puisque la qualité de l'œuvre reproduite se dégrade par rapport à l'original.

Cependant, les justifications invoquées à l'appui de cette exception perdent de leur pertinence dans l'environnement numérique. L'original et la "copie numérique" sont d'une qualité identique et des mesures techniques empêchant la reproduction peuvent aisément être mises en place. Aussi, d'autres fondements ont été avancés pour justifier la copie privée: liberté d'expression, nécessité d'information et de recherche, respect de la sphère privée de chaque personne…

2. Exception de copie privée ou droit à la copie privée ?
Peut-on considérer que l'utilisateur d'une œuvre dispose d'un "droit à la copie privée" ? La question est toujours controversée. Les associations de consommateurs estiment que la copie privée est un "droit reconnu aux consommateurs" qui, en tant qu'acquéreurs et utilisateurs, doivent pouvoir utiliser librement l'œuvre dans l'intimité de leur foyer. En revanche, certains auteurs estiment que la copie privée est une tolérance, ou tout au plus une exception au monopole de l'auteur, qui trouve sa limite dès lors qu'elle porte atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Les producteurs et les éditeurs se rangent volontiers derrière cette analyse…

Les textes internationaux relatifs au droit d'auteur ne qualifient pas l'exception de copie privée comme un "droit". Ainsi, la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information parle de "faculté" pour les Etats membres de prévoir une exception de copie privée.

3. L'avant-projet de loi remet-il en cause le principe de la copie privée ?
La disposition la plus critiquée figure à l'article 8 alinéa 1 de l'avant-projet. Elle prévoit que "l'auteur d'une œuvre autre qu'un logiciel, l'artiste-interprète, le producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes, l'entreprise de communication audiovisuelle peut mettre en place des mesures techniques de protection des droits qui leur sont reconnus par les livres I et II [du CPI]". Cette faculté est également offerte au producteur de bases de données (article 18) mais curieusement pas aux éditeurs de logiciels.

L'avant-projet ajoute un important arsenal répressif qui transpose presque mot pour mot la directive du 22 mai 2001 et assimile au délit de contrefaçon (dont la sanction peut aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 150.000 euros d'amende) le fait de "porter atteinte, en connaissance de cause, à toute technologie, produit, appareil, dispositif, moyen, service ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à permettre le contrôle de l'utilisation de l'œuvre". Ce même article interdit de fabriquer, d'importer, de détenir en vue de la vente, ou de faire connaître directement ou indirectement tout service, information ou moyen en vue de contourner une mesure technique de protection.

D'aucuns estiment que l'avant-projet de loi empêche pratiquement les utilisateurs de procéder à des copies privées. Pourtant, l'avant-projet de loi ne supprime cette exception. L'alinéa 2 de l'article 8 précise que les mesures de protection "doivent permettre aux bénéficiaires des exceptions prévues au deuxièmement (…) de l'article L. 122-5, [et] au deuxièmement (…) de l'article L. 211-3 d'en jouir lorsqu'il a un accès licite à l'œuvre". Cette disposition signifie que les dispositifs anti-copie ne doivent pas empêcher l'utilisateur légitime d'une œuvre de réaliser une copie privée dans les conditions prévues par la loi. L'exception de copie privée n'est donc pas supprimée dans son principe et l'acquéreur d'une œuvre aura toujours la faculté de reproduire celle-ci par d'autres moyens que ceux qui sont prohibés par l'auteur (enregistrement analogique d'une version numérique ou l'inverse…).

4. Dans quelles conditions les mesures de protection seront elles acceptables pour les particuliers ?
L'avant-projet n'indique pas quelles seront les restrictions d'utilisation qui pourront être apportées par les mesures techniques de protection, ni comment le particulier sera informé de ces restrictions.

Si l'objectif du texte doit être de réaliser un équilibre entre mesures techniques de protection (qui limitent le préjudice des ayants droit lié aux contrefaçons) et bénéfice l'exception de copie privée, aucune réponse précise n'est apportée à ces questions. L'avant-projet de loi confie cette délicate mission au juge et précise de façon laconique que "le juge peut prescrire (…) toutes mesures de nature à assurer le bénéfice des exceptions" (art. 8 dernier alinéa). Cependant, il n'est pas certain que cette solution soit la plus adaptée. Il aurait été préférable que le législateur édicte les critères permettant d'assurer cet arbitrage plutôt que de s'en remettre à la seule appréciation du juge…

Les mesures techniques de protection risquent cependant d'être mal acceptées par les consommateurs et de les induire en erreur s'il n'ont pas été suffisamment informés. Aussi, les producteurs et les éditeurs ont tout intérêt à mettre en garde l'acheteur d'une œuvre si celle-ci ne peut pas être lue ou copiée sur certains supports. Ils devront informer les utilisateurs, de façon apparente, compréhensible, et en français, des éventuelles restrictions. A défaut, les producteurs, éditeurs, et fournisseur de contenus risquent d'engager leur responsabilité civile et pénale notamment sur le fondement de l'article L 111-1 du Code de la consommation.

Conclusion : quel est l'avenir de la rémunération pour copie privée avec la mise en place des mesures techniques de protection ?
La loi du 17 juillet 2001 étend le mécanisme de rémunération pour copie privée à l'ensemble des supports numériques. Ainsi, lorsqu'un particulier achète un CD vierge, il paye une redevance sur chaque CD (0,56 euros). Cette somme est destinée à compenser le préjudice subi par les ayants droit du fait de l'impossibilité technique de contrôler la copie de leurs œuvres. Ces redevances devraient rapporter aux ayants droit 150 millions d'euros sur l'année 2002.

En principe, le taux des redevances devraient être revus à la baisse voire supprimés si les dispositifs de protection empêchent l'utilisateur de réaliser certaines copies. L'avant-projet de loi n'aborde pas ce point délicat, et il n'est pas certain que les éditeurs et producteurs acceptent de renoncer à tout ou partie de cette rémunération substantielle…

[phebert@salans.com]

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[Rédaction, JDNet]
 
 
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