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par
Thibault Verbiest
Avocat aux Barreaux
de Bruxelles et Paris,
Cabinet
Ulys
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Quiconque
a tenté de trouver une information sur le Web sait à
quel point les moteurs de recherche sont importants
: ceux-ci indexent en permanence les sites en fonction
des mots qu'ils contiennent, et les classent. Tout internaute
peut gratuitement les interroger en ligne sur base de
mots-clés, et recevoir en réponse une liste des sites
qui traitent du sujet, classés par nombre d'occurrences
des mots-clés encodés. Certains titulaires de sites
Web ont dès lors pris l'habitude d'insérer des mots
cachés dans les codes sources de leur site (metatags),
dans le but d'obtenir une indexation automatique sous
des mots-clés qui n'ont qu'un lien indirect avec le
contenu, et profiter ainsi d'un trafic supplémentaire.
Cette insertion a parfois lieu
avec l'accord du titulaire de la marque utilisée. Ainsi,
la société Pepsi Cola a intégré dans le code source
de son site Web les noms des acteurs, sportifs ou marques
avec lesquels elle a conclu un contrat de sponsoring
ou de publicité ; le même procédé a permis aux annonceurs
officiels de la dernière coupe du monde de football
d'être automatiquement renseignés par les moteurs de
recherche quand un internaute effectuait des recherches
sur le Mondial.
Une
contrefaçon de marque
Lorsque
l'insertion d'un metatag correspondant à une marque
déposée est effectué sans l'autorisation du titulaire,
le Code de la propriété intellectuelle s'appliquera.
Il est par ailleurs parfaitement envisageable que celui
qui utilise des metatags correspondant à une marque
verbale sans autorisation, tire indûment profit du caractère
distinctif ou de la renommée de cette marque (si renommée
il y a), ou à tout le moins, lui porte préjudice, dans
la mesure où le site contrefaisant apparaîtrait dans
la liste des moteurs de recherche avant ou à proximité
du site du titulaire de la marque. Le préjudice pourra
consister en une dilution de la marque si les résultats
des moteurs de recherche sont faussés artificiellement
au détriment du titulaire légitime.
Une
concurrence déloyale
De surcroît, l'utilisation abusive
de la marque, du nom commercial ou de la dénomination
sociale d'autrui dans les metatags peut constituer un
acte de concurrence déloyale. En effet, selon la jurisprudence,
la citation du nom d'autrui doit être prohibée si elle
est susceptible de créer une confusion entre deux commerçants.
De plus, l'usage de la marque,
du nom commercial ou de la dénomination sociale peut
être jugé parasitaire dans la mesure où il porte atteinte
au pouvoir distinctif de la marque, du nom commercial
ou de la dénomination sociale, tout en permettant à
l'auteur du parasitage d'épargner des frais de lancement
ou des efforts de commercialisation au détriment du
premier porteur du nom.
Dénigrement
et publicité mensongère
Dans certains cas, le recours
aux metatags pourrait même constituer un dénigrement
ou une imputation diffamatoire, voire une publicité
mensongère. Tel pourrait être le cas d'un site dont
les metatags reprennent le nom d'un concurrent pour
attirer des visiteurs qui auront ensuite accès à des
propos dénigrants, des metatags associant le nom d'une
personne physique ou morale à des propos diffamatoires
lorsque la réponse du moteur de recherche affiche à
l'écran les metatags (diffamation), ou d'un site qui
intègre dans ses metatags des mots-clés lui permettant
d'être sélectionné par des moteurs de recherche pour
des qualités dont il ne dispose pas (publicité mensongère).
La
jurisprudence
Plusieurs décisions ont été
rendues, tant aux États-Unis qu'en Europe. Playboy Entreprise
Inc. (PEI) reprochait à la société Calvin Designer Label
d'avoir inséré sans autorisation dans les metatags de
son site Web les marques protégées Playboy et Playmate,
alors que les produits et services offerts par le site
litigieux n'avaient aucune relation avec lesdites marques.
Dans son jugement du 8 septembre 1997, après avoir constaté
que le site de PEI venait après celui de la défenderesse
dans le référencement automatique des moteurs de recherche,
le juge a reconnu la contrefaçon et ordonné la cessation.
En août 1997, la Cour de Justice
du Colorado a fait droit à la demande du cabinet de
propriété intellectuelle Oppendahl & Larson, qui reprochait
à la société Advanced Concepts d'avoir inséré le nom
du cabinet dans le code source de son site Web. Le cabinet
estimait que la démarche induisait l'utilisateur en
erreur en lui faisant croire qu'un lien existait entre
les parties.
En France, par ordonnance de
référé du 4 août 1997, le tribunal de grande instance
de Paris a ordonné à la société Distrimart de supprimer
des metatags de son site les dénominations "Maison et
objet" et "Decoplanet", marques déposées de la société
concurrente Safic.Le tribunal de grande instance de
Paris a rendu une ordonnance de référé similaire, interdisant
sous peine d'astreinte à la société Kargil d'utiliser
les marques de la société Kaysersberg Packaging dans
les rubriques "mots-clés" et "titres" du code source
de sa page Web. Le tribunal a estimé que la défenderesse
attirait de manière illicite sur son site des personnes
en réalité intéressées par des produits vendus par la
société concurrente Kaysersberg Packaging.
Dans une décision du 5 avril
2002, le TGI de Paris a confirmé sa jurisprudence en
condamnant une société qui avait reproduit des marques
déposées par Bouygues Telecom comme mots clés de la
page source de son site Web.
Une
exception de "juste motif" ?
Cette revue de jurisprudence
ne doit pas laisser penser que tout usage de metatags
correspondant à une marque ou au nom commercial d'autrui
est nécessairement prohibé. En droit américain, l'exception
de juste motif ("fair use") permet dans une certaine
mesure d'échapper à la rigueur de la loi.
Ainsi, Playboy a été débouté
de sa demande contre une ex-Playmate qui avait inséré
ce vocable dans les metatags de son site. Le juge a
estimé que le fait d'avoir été Playmate fait partie
des éléments qui identifient la personnalité de la défenderesse.
Dans le même sens, la société titulaire de la marque
verbale Bally a échoué dans son action contre un site
consacré à la protection du consommateur, qui faisait
figurer dans ses metatags la marque et consacrait aux
produits de cette société une page critique : jugé que
le but strictement critique et informatif permet de
bénéficier de l'exception de juste motif.
Pareille exception est-elle
concevable en droit français ? Selon nous, ce n'est
pas à exclure dans la mesure où l'article L.713-5 CPI
indique que l'emploi d'une marque jouissant d'une renommée
pour des produits ou services non similaires à ceux
désignés dans l'enregistrement, engage la responsabilité
civile de son auteur s'il est de nature à porter préjudice
au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue
une exploitation injustifiée de cette dernière. L'on
retrouve donc la limité du caractère injustifié de l'exploitation
Par ailleurs, le juste motif
peut-il encore être invoqué lorsqu'il porte sur une
marque à ce point populaire qu'elle en est devenue pratiquement
générique dans le monde des internautes ? La question
a été posée en premier lieu dans le cadre des litiges
relatifs à la responsabilité des moteurs de recherche,
et de nombreux commentateurs plaident pour sa transposition
aux metatags lorsque la marque désigne, dans l'esprit
du public, une catégorie ou un type de produits davantage
que les produits de son titulaire. Il est vrai que certaines
marques sont passées dans le langage courant à tel point
que certaines figurent au dictionnaire (bic, aspirine,
etc.). Le fait d'interdire l'usage d'une telle marque
ne constituerait-il pas une forme de censure disproportionnée
dans un monde virtuel où la quête d'information est
dominée par les moteurs de recherche ? La question mérite
d'être posée, étant précisé que l'usage d'une marque,
fut-elle générique, appartenant à un concurrent ne pourra
jamais être de nature à créer de confusion quant à sa
titularité.
[thibault.verbiest@ulys.net]
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