Juridique
Paiements électroniques : ce que change la LSQ
 (Mercredi 2 avril 2003)
         

par Etienne Wéry,
Avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles,
Cabinet Ulys

Fut-ce inconsciemment, presque tous les Français utilisent régulièrement un instrument de paiement électronique qui met en œuvre des systèmes informatiques complexes encadrés par des règles juridiques contraignantes. Certes, les paiements électroniques évoquent pour beaucoup les paiements en ligne, mais les deux ne sont pas synonymes; la matière est en effet bien plus vaste :
- elle touche directement la vie des dizaines de millions de Français qui utilisent leur carte bancaire quotidiennement pour faire le plein d'essence, régler une note de restaurant, franchir un péage autoroutier sur la route des vacances, réserver par téléphone un hôtel ou un billet de spectacle, etc. ;
- elle englobe aussi les innombrables retraits d'argent qui ont lieu chaque jour dans l'Hexagone auprès d'un distributeur automatique de billet (DAB);
- elle touche également toutes les personnes et entreprises qui réalisent quotidiennement des opérations de virements et de paiement à l'aide d'un logiciel de banque en ligne, etc.

En savoir plus
"Facture, monnaie et paiement électroniques"
par Etienne Wéry (éditions Litec)

Le droit positif français est principalement composé par le Code monétaire et financier (CMF). La loi sur la sécurité quotidienne (plus connue sous son appellation abrégée "LSQ"), a récemment introduit quelques modifications ; nous saisissons l'occasion pour décrire quelques principes directeurs de la matière et souligner les modifications introduites par la LSQ.

L'influence européenne
La LSQ s'inspire - sans néanmoins s'aligner totalement - de la recommandation européenne 97/489 relative aux opérations effectuées au moyen d'instruments de paiement électronique, en particulier la relation entre émetteur et titulaire, dont l'objectif est de "contribuer à l'avènement de la société de l'information, en particulier du commerce électronique, en suscitant une plus grande confiance de la clientèle envers ces instruments et leur plus large acceptation par les commerçants" (considérant 4). Il est difficile d'être plus clair : à ce jour, ce texte pivot constitue l'axe central des normes européennes en la matière.

Depuis lors, l'exécutif bruxellois a consacré plusieurs études et communications à la matière, dont un texte du 7 mai 2002 dans lequel la Commission annonce son intention de couler la substance de la recommandation en un cadre juridique global et contraignant, ce qui justifie une brève analyse. La France n'a donc, à ce jour, aucune obligation de se conformer à la recommandation, mais si ce texte est rebaptisé en directive, il lui faudra se mettre en conformité.

Définitions
Selon le CMF, une carte de paiement est "toute carte émise par un établissement de crédit ou par une institution ou un service mentionné à l'article L. 518-1 et permettant à son titulaire de retirer ou de transférer des fonds" ; une carte de retrait est quant à elle "toute carte émise par un établissement, une institution ou un service mentionné au premier tiret et permettant, à son titulaire, exclusivement de retirer des fonds."

Révocabilité de l'ordre de paiement
La question de la révocabilité de l'ordre de paiement est un souci constant pour les opérateurs, qui craignent que le titulaire d'un instrument donne un ordre de paiement et le révoque ensuite pour un motif fallacieux. Or, l'irrévocabilité de l'ordre de paiement pose d'énormes problèmes lorsque l'opération est qualifiée de mandat. En effet, conformément au Code civil, la révocabilité est de l'essence du mandat. En d'autres termes, un titulaire peut donner un ordre de paiement en transmettant son numéro de carte de crédit… et révoquer quelques secondes plus tard le mandat à peine donné !

Le législateur ne pouvait pas rester insensible à une telle insécurité juridique, préjudiciable tant aux émetteurs qu'aux titulaires. Il est intervenu pour préciser que "L'ordre ou l'engagement de payer donné au moyen d'une carte de paiement est irrévocable (…)".

Cette disposition ne règle pas tous les problèmes. D'une part, l'irrévocabilité ne vise que l'ordre ou l'engagement donné au moyen d'une "carte de paiement". Quand est-on en présence d'une carte ? Le libellé suggère l'exigence d'un support physique, mais est-ce aussi clair ? Les procédés purement logiciels qui reproduisent à l'identique le fonctionnement de la carte de crédit sans recourir à un support en sont-ils exclus ? Une carte dynamique est-elle encore une carte ? A l'heure actuelle, ces questions demeurent ouvertes. D'autre part à supposer que l'instrument considéré soit indubitablement une carte de paiement, quand l'ordre ou l'engagement a-t-il été donné grâce à ce moyen ? Par exemple, la communication du numéro facial de la carte est-elle suffisante ? De nombreux observateurs sont dubitatifs, même s'il est à nouveau hasardeux d'être trop affirmatif dans cette matière récente.

Partage des risques
Le titulaire ne peut faire opposition au paiement qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse de la carte ou des données liées à son utilisation, de redressement ou de liquidation judiciaires du bénéficiaire (art. L-132-2 CMF).

Conformément à l'article L-132-3 CMF, le titulaire supporte la perte subie, en cas de perte ou de vol, avant la mise en opposition prévue ci-dessus, dans la limite d'un plafond qui ne peut dépasser 150 €. Toutefois, s'il a agi avec une négligence constituant une faute lourde ou si, après la perte ou le vol de ladite carte, il n'a pas effectué la mise en opposition dans les meilleurs délais, compte tenu de ses habitudes d'utilisation de la carte, ce plafond n'est pas applicable. Le contrat entre le titulaire de la carte et l'émetteur peut cependant prévoir le délai de mise en opposition au-delà duquel le titulaire de la carte est privé du bénéfice du plafond prévu au présent alinéa. Ce délai ne peut être inférieur à deux jours francs après la perte ou le vol de la carte.

Par dérogation à ce qui précède, la responsabilité du titulaire n'est pas engagée si le paiement contesté a été effectué frauduleusement, à distance, sans utilisation physique de sa carte (art. L-132-4 CMF). Cette exception est fondamentale pour le commerce électronique, qui donne très souvent lieu à paiement sans présentation physique de la carte, par exemple en cas de communication des informations faciales.

L'influence de la recommandation européenne 97/489 est patente, mais l'alignement n'est pas complet. Notamment, le texte européen identifie deux cas de non-responsabilité (utilisation de l'instrument de paiement sans présentation physique ou sans identification électronique), là où le texte français ne prévoit quant à lui qu'une seule hypothèse (absence d'utilisation physique). En outre, là où le texte européen retient l'idée de "présentation" physique de l'instrument de paiement, le libellé français opte plutôt pour son "utilisation" physique. Faut-il y voir un message particulier ? Peut-on présenter un instrument sans nécessairement l'utiliser ou, inversement, l'utiliser sans nécessairement le présenter ? L'une et l'autre position se défendent car les juristes sont sur ce plan tributaires de la technologie. Il demeure qu'en droit français, le seul critère à prendre en compte pour l'exonération de responsabilité est bel et bien "l'utilisation physique" de l'instrument.

La responsabilité du titulaire n'est pas non plus engagée en cas de contrefaçon de sa carte au sens de l'article L. 163-4 et si, au moment de l'opération contestée, il était en possession physique de sa carte. Nous reparlerons de cette condition sous le chapitre consacré au fardeau de la preuve.

La mise en œuvre des exceptions est conditionnée par l'existence d'une contestation écrite de la part du titulaire. En ce cas, les sommes contestées lui sont recréditées sur son compte par l'émetteur de la carte ou restituées, sans frais, au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception de la contestation.

Charge de la preuve
La charge de la preuve est à ce point cruciale que la recommandation européenne a introduit un principe de renversement de la charge de la preuve. Le droit français ne contient pas de disposition analogue, ce qui n'est pas une infraction au droit européen dans la mesure où la recommandation n'est, à ce stade, pas contraignante.

Ce régime probatoire pourrait réserver quelques surprises lors de la mise en musique des règles introduites par la LSQ. Par exemple… :
- nous avons vu que la responsabilité du titulaire n'est pas engagée en cas de contrefaçon de sa carte si, au moment de l'opération contestée, il était en possession physique de celle-ci. Comment établir a posteriori qu'au moment de l'opération, le titulaire était en possession physique de sa carte ? ;
-
nous avons également vu que lors de la perte ou du vol de sa carte, l'émetteur doit effectuer la mise en opposition dans les meilleurs délais compte tenu de ses habitudes d'utilisation de la carte, étant entendu que le contrat peut fixer un délai qui ne peut toutefois être inférieur à deux jours francs. La sanction est sévère puisque le titulaire est autrement privé du plafond de responsabilité. En pratique, cela revient à dater le fait générateur ou à tout le moins sa prise de connaissance, à analyser les habitudes d'utilisation de chacun, voire débattre du moment auquel un titulaire normalement diligent s'en serait aperçu. Cela promet de beaux débats…

Protection du consommateur dans les contrats conclus à distance
La transposition de la directive sur les contrats à distance a été assurée par les articles 5 à 15 de l'ordonnance 2001-741 du 23 août 2001, insérés dans le Code de la consommation, lequel stipule qu'en cas de paiement anticipé, l'exercice par le consommateur de son droit de rétractation entraîne pour le professionnel l'obligation de le rembourser sans délai et au plus tard dans les trente jours suivant la date à laquelle ce droit a été exercé. Au-delà, la somme due est, de plein droit, productive d'intérêts au taux légal en vigueur. Cela étant posé, et contrairement à une affirmation trop souvent entendue, la recommandation 97/489 n'est pas une redite de la directive 97/7, de sorte que la transposition en droit interne de la seconde n'implique pas ipso facto la transposition de la première, notamment parce que l'un est un texte protégeant le consommateur alors que l'autre s'applique plus largement.

L'arsenal pénal
Le droit pénal pénètre chaque jour davantage la vie quotidienne. Il n'est plus un texte ou un règlement qui ne soit assorti de dispositions pénales. La loi réprime notamment les accès non autorisés (art. 323-1 du Code pénal), l'entrave au fonctionnement d'un système (art. 323-2) et l'introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé (art. 323-3), mais elle contient aussi des disposition spécifiques aux instruments de paiements, tel la contrefaçon et la falsification des monnaies et des billets de banque, ainsi que le transport, la mise en circulation et la détention en vue de la mise en circulation de monnaies et de billets contrefaits ou falsifiés (art. 442-1 à 442-14), et la contrefaçon des cartes de paiement (art. 163-4 CMF) en ce compris les actes préparatoires.

[etienne.wery@ulys.net]

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[Rédaction, JDNet]
 
 
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