Juridique
Une nouvelle réponse procédurale aux délits de presse sur Internet
 (Jeudi 10 avril 2003)
         
Par Anne Cousin
et Carine Piccio,
Alain Bensoussan Avocats

Le Tribunal de grande instance de Paris a rendu le 22 janvier 2003, par la voie d'une ordonnance du juge de la mise en état, une réponse très attendue à une question fort débattue du droit de l'Internet : la détermination du juge civil compétent pour juger les procès en diffamation et injures, publiques ou non, utilisant le réseau des réseaux comme mode de communication. Un site Web consacré à "l'actualité des têtes couronnées" a diffusé les 21 et 28 février 2003 deux numéros comportant des imputations jugées par le demandeur, Paul de H., diffamatoires et injurieuses à son égard, et qui l'amenèrent à saisir par la voie de la procédure rapide, dite à jour fixe, le Tribunal de grande instance de Paris d'une demande d'indemnité s'élevant à la somme de 50 000 euros, et de la publication du jugement à intervenir dans plusieurs journaux et magazines.

Dans un premier temps, Stéphane B., le défendeur, a limité sa défense au développement d'un moyen d'incompétence. Il soutenait que l'article R. 321-8 du Code de l'organisation judiciaire, selon lequel le Tribunal d'instance est compétent pour connaître des injures et diffamations publiques ou non, commises autrement que par voie de presse, impose au Tribunal de grande instance de se dessaisir au profit de cette juridiction. Cette position est clairement rejetée par le Tribunal, dans une ordonnance particulièrement motivée qui veut mettre un point final à une discussion soulevée dès le début de l'année 1999 et qui a passionné les juristes spécialistes du domaine.

On se souvient en effet que le Tribunal d'instance de Puteaux, par un jugement du 28 septembre 1999 avait sans difficulté fait application de la loi du 29 juillet 1881 et notamment de son chapitre IV relatif aux délits de presse à la diffusion de pages personnelles sur Internet. La polémique confirme, s'il en était besoin, que ce média de communication, que l'on n'ose plus qualifier de nouveau, n'a probablement pas fini de dépoussiérer les vieux concepts du droit de la presse et de la procédure civile, comme il l'a déjà fait au sujet de la prescription des délits d'injures et de diffamations et du régime juridique du droit de réponse.

Définir le mot "presse"
La question tranchée par l'ordonnance du 22 janvier 2003 est d'autant plus fondamentale qu'elle suppose la définition du mot "presse", simple et évident en apparence et qui, bien qu'utilisé par plusieurs textes législatifs ou réglementaires français, n'est à notre connaissance précisé qu'une seule fois. La grande loi française garantissant la liberté de la presse, la loi du 29 juillet 1881 elle-même, ne définit pas les bénéficiaires de cette liberté, et se borne à mêler deux séries de dispositions, les unes applicables à toutes publications imprimées, les autres propres à la presse périodique.

L'article R. 321-8 du Code de l'organisation judiciaire, issu d'une loi antérieure comme nous le dit l'ordonnance examinée, puisqu'elle a été promulguée en 1838, ne le fait pas davantage. Seule, la loi du 1er août 1986, donc bien postérieure aux deux précédentes, l'a défini comme "tout service utilisant un mode écrit de la pensée, mis à disposition du public en général ou de catégorie de publics et paraissant à intervalles réguliers". Ce texte concerne non seulement les titres périodiques édités sur support papier, mais pourrait également être susceptible de s'appliquer à ceux diffusés sur support électronique.

L'aspect audiovisuel
La frontière entre la presse périodique et le livre est devenue imprécise, certaines publications paraissant régulièrement, alors que d'autres non. Mais surtout, la presse au sens étroit, est aujourd'hui en concurrence avec la radio, la télévision, et maintenant Internet, qui offre lui aussi des services d'information ou de communication audiovisuelle. Ces nouveaux supports se trouvent assujettis à des règles techniques et des principes juridiques qui leur sont propres, ainsi qu'à des dispositions initialement élaborées pour la seule presse écrite.

Bien sûr, il n'a jamais été question d'interpréter la loi du 29 juillet 1881, ni la loi du 25 mai 1838, à la seule lumière de la loi du 1er août 1986 adoptée plus d'un siècle après, ce que l'ordonnance du 22 janvier 2003 refuse expressément de faire, mais d'en tenir compte dans le faisceau d'indices permettant de s'approcher d'une définition formelle et fondamentale de la presse, curieusement absente de nos textes et de la jurisprudence.

Pour l'ordonnance en cause, il faut bien plus s'attacher aux dispositions de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 modifié et étendu par la loi du 13 décembre 1985 qui, à l'énumération des modes d'expression des injures ou des diffamations, a ajouté la communication audiovisuelle définie par le législateur du 1er août 2000 comme "toute mise à disposition du public par un procédé de télécommunications, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons et de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée".

La compétence du tribunal d'instance
Or, il n'est pas contestable selon l'ordonnance que la diffusion par Internet correspond à cette définition. Elle estime ensuite que, adopter la définition fournie par la loi du 1er août 1986 reviendrait à attribuer au seul tribunal d'instance tout le contentieux de la diffamation et de l'injure commise par la voie du livre, alors que depuis l'origine des textes eux-mêmes, la compétence des tribunaux de grande instance pour en connaître n'a jamais été contestée. Il est exact qu'une telle dévolution ne peut avoir été l'intention du législateur et il est tout aussi exact qu'elle n'a jamais été défendue.
La loi du 29 juillet 1881 s'intitule elle-même "Loi sur la liberté de la presse" et son article 1er proclame d'ailleurs, dans un bel ensemble, "la presse et la librairie sont libres".

Dans quel domaine s'exerce donc la compétence du tribunal d'instance, compétence qui lui est expressément attribuée par une loi du 25 mai 1938 ? On ne craint pas de commettre d'erreur en affirmant que toutes les diffamations et injures commises oralement, lors de réunions publiques ou non, et toutes celles transportées par les lettres missives que s'adressent les particuliers, relèvent indiscutablement de celle-ci. Mais on connaît en jurisprudence un exemple, il est vrai à la fois ancien et isolé, de diffamation commise au cinéma et qui a été confiée au tribunal d'instance ... Or il s'agit là incontestablement d'un moyen de communication audiovisuelle, tout comme l'Internet dont le contentieux est explicitement réservé par l'ordonnance en cause au tribunal de grande instance.

Le profane et même le juriste pourraient regretter que l'ensemble manque de cohérence, surtout si on ajoute que le régime légal du droit de réponse en matière audiovisuelle vient d'être écarté par le président du Tribunal de grande instance de Paris saisi en référé pour une mise en cause diffusée par l'intermédiaire d'Internet au motif que ses modalités d'exercice ne seraient pas transposables à ce média...

Un média double
On approuve sans discussion l'ordonnance du 22 janvier 2003 qui refuse de renvoyer au tribunal d'instance tout le contentieux des infractions de presse qui ne seraient pas commises par l'intermédiaire d'un support ne paraissant pas à intervalles réguliers. On l'approuve aussi de rejeter la sèche définition de la loi du 1er août 1986 et de refuser de la retenir au-delà du champ d'application bien précis et bien limité du texte qui l'a adoptée. On l'approuve enfin d'avoir retenu la solution qu'elle dégage dans la situation d'espèce qui lui a été soumise.

En effet, il ne paraît faire guère de doute que les deux numéros des 21 et 28 février 2002 de la lettre d'information "Royal News" constituent bien un support de presse justiciable des tribunaux de grande instance et que l'interprète des textes ne doit effectuer aucune distinction sur ce point suivant que le contenu est diffusé par voie électronique ou sur support papier. En revanche, nous ne pensons pas que même si Internet constitue un moyen de communication audiovisuelle, toutes les injures ou diffamations commises par son intermédiaire échapperaient définitivement à la compétence d'attribution du tribunal d'instance.

Que dire des pages personnelles ouvertes par tout internaute qui le souhaite, des e-mails adressés par telle ou telle personne à telle autre ou des innombrables forums de discussions à la diffusion plus ou moins restreinte. Il appartiendra désormais à l'interprète et au juge de rechercher dans chaque cas précis si l'infraction commise utilise la voie de la presse ou, au contraire, si elle est assimilable aux injures et insultes prononcées oralement ou par la voie de lettres ou tracts qui sont le lot commun des tribunaux d'instance...

[carine-piccio@alain-bensoussan.com
et anne-cousin@alain-bensoussan.com]

Sommaire de la rubrique

[Rédaction, JDNet]
 
 
  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International
 
 

Dossiers

Marketing viral

Comment transformer l'internaute en vecteur de promotion ? Dossier

Ergonomie

Meilleures pratiques et analyses de sites. Dossier

Annuaires

Sociétés high-tech

Plus de 10 000 entreprises de l'Internet et des NTIC. Dossier

Prestataires

Plus de 5 500 prestataires dans les NTIC. Dossier

Tous les annuaires