Juridique
Quelle brevetabilité pour les logiciels ?
 (Mardi 1 juillet 2003)
         
par Sylvain Staub
et Jean-Frédéric Gaultier
Avocats à la Cour
Clifford Chance

La Commission juridique du Parlement européen a voté le 17 juin un rapport favorable à la brevetabilité des logiciels. Le Parlement devra désormais se prononcer après l'été sur cette question, qui fait l'objet d'un large débat entre groupes de pression de l'industrie du logiciel, et notamment du logiciel libre. Au-delà des intérêts politiques, économiques et industriels soulevés par opposants et partisans de cette brevetabilité, il convient de rappeler les aspects juridiques fondamentaux de ce débat.

Les textes en vigueur
Le brevet d'invention est un titre qui confère à son titulaire un monopole d'exploitation temporaire sur une invention relative à un produit ou à un procédé, en contrepartie de l'enrichissement du patrimoine technologique résultant de la divulgation de l'invention. Le Code de la propriété intellectuelle (article L.611-10), reprenant la Convention de Munich (article 52) (Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance des brevets européens, entrée en vigueur le 7 octobre 1977, dont sont parties les 15 Etats de l'UE ainsi que Chypre, le Liechtenstein, Monaco, la Suisse et la Turquie), dispose que "sont brevetables les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle. (…) Ne sont pas considérées comme des inventions (…) les programmes d'ordinateur (…) [dont] la demande de brevet ne concerne que [ceux-ci] en tant que tel".

Le principe, dans les Etats signataires de la Convention de Munich, est donc l'exclusion de la brevetabilité des logiciels "en tant que tels". Or, il existe une réelle incertitude quant à l'interprétation qu'il faut donner à cette expression. Cette incertitude est d'autant plus dommageable que les Etats-Unis et le Japon admettent la protection des logiciels par le brevet, créant de ce fait un déséquilibre au détriment des entreprises européennes.

Le titulaire des droits sur le logiciel n'est cependant nullement démuni, puisqu'il bénéficie de la protection conférée par le droit d'auteur sur l'expression du code source, en aval de l'invention elle-même. Cette seule protection trouve néanmoins des limites, notamment en raison des difficultés à établir la contrefaçon lorsque le présumé contrefacteur ne reprend pas à l'identique les lignes de code.

Les pratiques nationales
La pratique de l'INPI pour la délivrance des brevets, ainsi que les décisions prises par les tribunaux français, reprennent l'exclusion de principe de la brevetabilité des logiciels "en tant que tels" (Mobil Oil Corp., Cass.Com.,28 mai 1975). Cependant il a été admis qu'un procédé à caractère industriel mettant en jeu un programme d'ordinateur, mais qui "ne se borne nullement à ce seul objet", puisse bénéficier de la protection des brevets (Sté Schlumberger, Cour de Paris, 15 juin 1981).

Les pratiques administratives et la jurisprudence diffèrent selon les Etats membres de la Convention de Munich. Certains pays comme l'Italie, l'Angleterre ou l'Allemagne appliquent des critères similaires à ceux de l'OEB (cf. paragraphe ci-après). Les Pays-Bas n'ont pas encore adopté de position claire, mais seraient aussi enclins à suivre la jurisprudence de l'OEB. Quant à la France et l'Espagne, elles appliqueraient des critères plus restrictifs. L'emploi du conditionnel s'impose toutefois car la jurisprudence publiée est rare.

La pratique et la jurisprudence de l'OEB
L'OEB s'est clairement écartée d'une application stricte de l'exclusion de la brevetabilité des logiciels, élargissant progressivement la possibilité d'une protection, d'abord par des brevets de procédés puis par des brevets de produits. Pour ce faire, l'OEB recherche, outre la nouveauté et l'activité inventive, la "contribution technique" du logiciel à l'état de la technique.

Il est difficile de systématiser la jurisprudence de l'OEB sur ce point, même si certains critères - au demeurant assez flous - paraissent se dégager: le logiciel doit posséder des caractéristiques qui vont au-delà de celles communes à tout logiciel, il doit faire fonctionner un calculateur d'une manière différente de son fonctionnement usuel, il ne doit pas se contenter de traiter des informations. En application de ces critères, l'OEB a pu, selon une jurisprudence peu claire, accorder ou refuser des brevets à des inventions qu'il considérait ou non comme ne se résumant pas à des logiciels "en tant que tels" (Vicom, 15 juillet 1986, T208/84, JOOEB 1987,14 ; Koch & Sterzel, 21 mai 1987, T26/86 ; Sohei, 31 mai 1994, T769/92 ; IBM, 1er juillet 1998, T1173/97 ; Controlling pension benefits system, 8 septembre 2000, T0931/95).

Il convient de noter que ce critère de la "contribution technique" est proche du critère classique de " caractère technique " de l'invention, l'OEB recherchant d'ailleurs le problème technique que l'invention est supposée résoudre, et la solution technique donnée à ce problème par l'invention. Demeure la difficulté qui consiste à déterminer ce qui est "technique".

La remise en cause des textes et de la pratique européenne
L'interdiction de principe du brevet de logiciel, largement contournée en pratique, ainsi que les divergences entre les Etats membres, sont dénoncées comme étant une sources d'insécurité juridique.

L'élargissement progressif et peu clair des critères développés par l'OEB a conduit à des rédactions de demandes et de textes de brevets visant à exclure artificiellement les mots et notions de "logiciels" et d'"information".

Or, un brevet obtenu de la sorte par un office national ou par l'OEB est contestable devant une juridiction nationale ou devant la Chambre de recours de l'OEB..

La proposition de directive communautaire
La proposition de directive du Parlement et du Conseil "concernant la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur" a été présentée le 20 février 2002, et devrait être discutée en assemblée plénière du Parlement européen après l'été.

La principale nouveauté de ce texte résulte de l'article 3 qui prévoit que "les Etats membres veillent à ce qu'une invention mise en œuvre par ordinateur soit considérée comme appartenant à un domaine technique". En d'autres termes, les logiciels ne sont plus exclus par principe de la brevetabilité. Au contraire, si la rédaction de cet article est maintenue, elle instaurerait une présomption de caractère technique pour toute invention mise en œuvre par ordinateur. Une méthode commerciale mise en œuvre par ordinateur serait-elle de ce seul fait considérée comme technique, et donc susceptible d'être brevetée, à l'inverse de ce qui a été décidé récemment par la Cour d'Appel de Paris (S.A. Sagem c. Le Directeur de l'INPI, Cour d'appel de Paris, 10 janvier 2003) ? Une clarification s'impose sur ce point.

Les autres dispositions de la propositions reprennent pour l'essentiel la jurisprudence de l'OEB : une invention mise en œuvre par ordinateur est brevetable "à la condition qu'elle soit susceptible d'application industrielle, quelle soit nouvelle et qu'elle implique une activité inventive", c'est à dire qu'elle respecte les critères classiques de la brevetabilité.

L'activité inventive est définie comme une "contribution technique (…) évaluée en prenant en considération la différence entre l'objet de la revendication de brevet considéré dans son ensemble (…) et l'état de la technique" (article 4). Il s'agit de la reprise du critère dégagé par l'OEB.

La brevetabilité des logiciels ne serait donc pas systématique puisqu'elle resterait soumise aux mêmes critères (application industrielle, nouveauté et activité inventive) que ceux appliqués aux autres types d'inventions.

A l'exception de son article 3, la proposition de directive n'apporte donc rien de bien nouveau par rapport à la pratique de l'OEB et de certains offices nationaux. Elle aurait néanmoins pour effet de ratifier cette jurisprudence et de "sécuriser" devant les juridictions nationales les brevets de logiciels déjà déposés. Cela devrait engendrer à l'avenir une augmentation significative du nombre de dépôts de demandes de brevets de logiciels.

Il convient de regretter le silence du projet sur l'un des principaux problèmes posés par la brevetabilité des logiciels : la co-existence sur un même procédé ou produit d'un brevet et de droit d'auteur. Cette question fondamentale à notamment des incidences sur les relations avec l'auteur-inventeur salarié (titularité des droits, rémunération…), l'exploitation des droits (formalisme des concessions de droits, obligation d'exploiter…), le contentieux (compétence, prescription, auteur de la contrefaçon…). Autant de sujets sur-lesquels le droit d'auteur et le droit des brevets n'apportent pas, en l'état, la même réponse.

La nécessaire évolution du droit des brevets
Accepter, sous certaines conditions, le principe de la protection de certains logiciels par le brevet ne revient pas nécessairement, comme cela est souvent dit, à verrouiller la création et à tuer le logiciel libre. Bien au contraire, cette protection, si elle est accordée en application de conditions précises et claires, peut permettre de protéger efficacement le créateur face à la concurrence internationale des grands groupes et d'assurer notamment la diffusion des logiciels libres.

Il s'agit de s'interroger sur l'équilibre qu'il doit y avoir entre la protection privative d'un créateur, et l'apport que celui-ci fait au patrimoine technologique dont bénéficie l'ensemble du monde de l'industrie logicielle.

Ainsi, loin de chercher à s'opposer par principe à la brevetabilité des logiciels, qui est quoi qu'il en soit déjà acquise par la pratique, il conviendrait de s'attacher aux critères d'éligibilité à cette protection, aux conditions de transparence requises pour la rédaction des revendications et des brevets, et à la coexistence, dans un même procédé ou produit, du droit des brevets et du droit d'auteur. C'est autour de ces questions que devrait se concentrer le débat concernant l'inévitable évolution du droit des brevets.

[Sylvainstaub@wanadoo.fr]

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[Rédaction, JDNet]
 
 
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