Danone
ayant annoncé la fermeture de deux de ses usines en
France, deux sites Web intitulés "jeboycottedanone.com"
- et ".net" - avaient été créés, critiquant Danone et
reproduisant et parodiant sa marque. Danone décidait
de réagir sur le plan judiciaire et gagnait en référé
sur le terrain de la contrefaçon de marque. Elle gagnait
ensuite, au fond, devant le Tribunal de grande instance
de Paris. Pour ce dernier, le créateur et le responsable
des sites avaient en effet commis des actes de contrefaçon
en imitant les marques de la société. De manière contestable,
le Tribunal décidait ainsi de restreindre de manière
très importante le droit de critiquer, de parodier,
voire, tout simplement, de citer une marque.
Le créateur et le responsable des sites en cause interjetaient
appel et, le 30 avril 2003, la Cour d'appel de Paris
leur donnait raison, estimant que ceux-ci n'avaient
fait qu'inscrire leur action "dans le cadre d'un strict
exercice de leur liberté d'expression et dans le respect
des droits des sociétés intimées dont les produits n'étaient
pas dénigrés et que d'autre part, aucun risque de confusion
n'était susceptible de naître dans l'esprit des usagers".
Cette décision était très attendue,
tant le jugement du Tribunal était controversé. En décidant
de débouter Danone, la Cour s'est placée dans un courant
désormais dominant selon lequel le droit des marques
doit être strictement confiné à la sphère commerciale
et la liberté d'expression, sans être absolue, ne doit
être réprimée qu'en cas d'abus dans l'exercice de cette
liberté.
1 Le
droit des marques est confiné à la sphère commerciale
On rappellera que selon l'article L. 713-1 du Code de
la Propriété intellectuelle (CPI), l'enregistrement
d'une marque confère à son titulaire un droit de propriété
sur cette marque. En conséquence, le titulaire peut
agir en contrefaçon dès lors que sa marque est reproduite
sans son autorisation pour des produits identiques à
ceux désignés dans l'enregistrement ou, pour des produits
similaires, s'il en résulte un risque de confusion dans
l'esprit du public (articles L. 713-2 et L. 713-3 CPI).
Restait à savoir si, en vertu
de ces textes, la citation, la parodie ou la critique
d'une marque était possible. La jurisprudence a tout
d'abord exclu que la simple citation d'une marque puisse
être sanctionnée. Ainsi, la Cour d'appel de Paris a
précisé, dans une décision de 1974, que "le seul fait
pour un auteur de citer une marque de médicament dans
son livre (
) ne saurait constituer une atteinte". Puis,
le 22 février 1995, le Tribunal de grande instance de
Paris avait jugé que "l'usage [d'une marque] dans un
but d'information ne constitue pas une contrefaçon".
Pour ce qui concerne la parodie
et la critique, c'est le fameux arrêt "Guignols de l'info"
du 12 juillet 2000 qui a définitivement exclu une éventuelle
sanction pour contrefaçon. Dans cette affaire, alors
que la marque Peugeot s'était vue critiquée et parodiée,
la Cour de cassation a considéré que les propos de l'émission
de télévision ne créaient "pas de risque de confusion
entre la réalité et l'uvre satirique".
Mais c'est très récemment,
dans les affaires "Esso" et "Areva", que la Cour d'appel
a explicité le critère utilisé antérieurement. Dans
ces affaires, Greenpeace avait parodié et violemment
critiqué ces deux marques. Or, la Cour a écarté la contrefaçon
en expliquant que le litige était "étranger à la vie
des affaires, et à la compétition entre entreprises
commerciales". Pour les juges, le débat public ou politique,
par opposition au discours commercial, ne saurait être
limité par le droit des marques. La décision "jeboycottedanone"
ne fait aujourd'hui que se ranger à cette doctrine.
2.
Seul l'abus de la liberté d'expression peut être réprimé
Il est utile de rappeler que le droit français consacre
la valeur constitutionnelle du principe de la liberté
d'expression. Pour autant, les intérêts commerciaux
en jeu lorsqu'une marque est parodiée ou critiquée peuvent
être importants. Quelles répercussions pour les moqueries
quotidiennes dont Peugeot faisait l'objet aux Guignols
de l'info ? Quelles conséquences pour Danone de l'appel
au boycott de sa marque ? Comme dans l'exercice de tout
droit, l'abus de la liberté d'expression est sanctionnée.
Pour ce qui est de la critique
d'une marque, la jurisprudence a posé le critère de
cet abus : celui du but poursuivi par l'auteur du discours.
Si ce but est légitime, alors, l'auteur peut se retrancher
derrière sa liberté d'expression. Mais, s'il ne l'est
pas, l'entreprise victime du discours pourra demander
réparation du préjudice subi en vertu de l'article 1382
du Code civil.
La jurisprudence a en outre
tracé les contours de ce qu'il faut entendre par "but
légitime". Ainsi, lorsque le but poursuivi est polémique
ou critique, s'il est de participer au débat public,
les juges ne sanctionneront pas le discours. Dans un
arrêt du 22 mai 2002 relatif à la marque "Camel", la
Cour d'appel de Paris a par exemple considéré que "le
fait d'attirer l'attention du public sur la nocivité
d'un produit ne constitue pas un abus de la liberté
d'expression, dès lors que la santé publique, but légitime
s'il en fut, est en jeu.".
En revanche, les juges ont
plusieurs fois considéré que le but cessait d'être légitime
lorsqu'il consistait à dénigrer les produits d'une société.
Ainsi, dans un arrêt de 1997, la Cour de cassation a
précisé qu'une campagne de presse dénigrante devait
être sanctionnée sur l'article 1382 du Code civil, même
en l'absence de tout rapport de concurrence ou commercial
entre l'auteur du discours et la victime.
En définitive, la décision
rendue en appel dans l'affaire "jeboycottedanone" n'est
donc pas réellement une surprise. En filigrane, la Cour
semble avoir examiné l'intention manifestée par le créateur
et le responsable des sites "jeboycottedanone", et avoir
conclu que cette intention n'était pas celle de dénigrer,
mais de participer au débat public.
[jperlemuter@salans.com]
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