Juridique
Liberté d'expression contre droit des marques
 (Mercredi 23 juillet 2003)
         

par Jérôme Perlemuter
Avocat à la Cour
Cabinet Salans

Danone ayant annoncé la fermeture de deux de ses usines en France, deux sites Web intitulés "jeboycottedanone.com" - et ".net" - avaient été créés, critiquant Danone et reproduisant et parodiant sa marque. Danone décidait de réagir sur le plan judiciaire et gagnait en référé sur le terrain de la contrefaçon de marque. Elle gagnait ensuite, au fond, devant le Tribunal de grande instance de Paris. Pour ce dernier, le créateur et le responsable des sites avaient en effet commis des actes de contrefaçon en imitant les marques de la société. De manière contestable, le Tribunal décidait ainsi de restreindre de manière très importante le droit de critiquer, de parodier, voire, tout simplement, de citer une marque.

Le créateur et le responsable des sites en cause interjetaient appel et, le 30 avril 2003, la Cour d'appel de Paris leur donnait raison, estimant que ceux-ci n'avaient fait qu'inscrire leur action "dans le cadre d'un strict exercice de leur liberté d'expression et dans le respect des droits des sociétés intimées dont les produits n'étaient pas dénigrés et que d'autre part, aucun risque de confusion n'était susceptible de naître dans l'esprit des usagers".

Cette décision était très attendue, tant le jugement du Tribunal était controversé. En décidant de débouter Danone, la Cour s'est placée dans un courant désormais dominant selon lequel le droit des marques doit être strictement confiné à la sphère commerciale et la liberté d'expression, sans être absolue, ne doit être réprimée qu'en cas d'abus dans l'exercice de cette liberté.

1 Le droit des marques est confiné à la sphère commerciale
On rappellera que selon l'article L. 713-1 du Code de la Propriété intellectuelle (CPI), l'enregistrement d'une marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque. En conséquence, le titulaire peut agir en contrefaçon dès lors que sa marque est reproduite sans son autorisation pour des produits identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ou, pour des produits similaires, s'il en résulte un risque de confusion dans l'esprit du public (articles L. 713-2 et L. 713-3 CPI).

Restait à savoir si, en vertu de ces textes, la citation, la parodie ou la critique d'une marque était possible. La jurisprudence a tout d'abord exclu que la simple citation d'une marque puisse être sanctionnée. Ainsi, la Cour d'appel de Paris a précisé, dans une décision de 1974, que "le seul fait pour un auteur de citer une marque de médicament dans son livre (…) ne saurait constituer une atteinte". Puis, le 22 février 1995, le Tribunal de grande instance de Paris avait jugé que "l'usage [d'une marque] dans un but d'information ne constitue pas une contrefaçon".

Pour ce qui concerne la parodie et la critique, c'est le fameux arrêt "Guignols de l'info" du 12 juillet 2000 qui a définitivement exclu une éventuelle sanction pour contrefaçon. Dans cette affaire, alors que la marque Peugeot s'était vue critiquée et parodiée, la Cour de cassation a considéré que les propos de l'émission de télévision ne créaient "pas de risque de confusion entre la réalité et l'œuvre satirique".

Mais c'est très récemment, dans les affaires "Esso" et "Areva", que la Cour d'appel a explicité le critère utilisé antérieurement. Dans ces affaires, Greenpeace avait parodié et violemment critiqué ces deux marques. Or, la Cour a écarté la contrefaçon en expliquant que le litige était "étranger à la vie des affaires, et à la compétition entre entreprises commerciales". Pour les juges, le débat public ou politique, par opposition au discours commercial, ne saurait être limité par le droit des marques. La décision "jeboycottedanone" ne fait aujourd'hui que se ranger à cette doctrine.

2. Seul l'abus de la liberté d'expression peut être réprimé
Il est utile de rappeler que le droit français consacre la valeur constitutionnelle du principe de la liberté d'expression. Pour autant, les intérêts commerciaux en jeu lorsqu'une marque est parodiée ou critiquée peuvent être importants. Quelles répercussions pour les moqueries quotidiennes dont Peugeot faisait l'objet aux Guignols de l'info ? Quelles conséquences pour Danone de l'appel au boycott de sa marque ? Comme dans l'exercice de tout droit, l'abus de la liberté d'expression est sanctionnée.

Pour ce qui est de la critique d'une marque, la jurisprudence a posé le critère de cet abus : celui du but poursuivi par l'auteur du discours. Si ce but est légitime, alors, l'auteur peut se retrancher derrière sa liberté d'expression. Mais, s'il ne l'est pas, l'entreprise victime du discours pourra demander réparation du préjudice subi en vertu de l'article 1382 du Code civil.

La jurisprudence a en outre tracé les contours de ce qu'il faut entendre par "but légitime". Ainsi, lorsque le but poursuivi est polémique ou critique, s'il est de participer au débat public, les juges ne sanctionneront pas le discours. Dans un arrêt du 22 mai 2002 relatif à la marque "Camel", la Cour d'appel de Paris a par exemple considéré que "le fait d'attirer l'attention du public sur la nocivité d'un produit ne constitue pas un abus de la liberté d'expression, dès lors que la santé publique, but légitime s'il en fut, est en jeu.".

En revanche, les juges ont plusieurs fois considéré que le but cessait d'être légitime lorsqu'il consistait à dénigrer les produits d'une société. Ainsi, dans un arrêt de 1997, la Cour de cassation a précisé qu'une campagne de presse dénigrante devait être sanctionnée sur l'article 1382 du Code civil, même en l'absence de tout rapport de concurrence ou commercial entre l'auteur du discours et la victime.

En définitive, la décision rendue en appel dans l'affaire "jeboycottedanone" n'est donc pas réellement une surprise. En filigrane, la Cour semble avoir examiné l'intention manifestée par le créateur et le responsable des sites "jeboycottedanone", et avoir conclu que cette intention n'était pas celle de dénigrer, mais de participer au débat public.

[jperlemuter@salans.com]

Sommaire de la rubrique

[Rédaction, JDNet]
 
 
  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International
 
 

Dossiers

Marketing viral

Comment transformer l'internaute en vecteur de promotion ? Dossier

Ergonomie

Meilleures pratiques et analyses de sites. Dossier

Annuaires

Sociétés high-tech

Plus de 10 000 entreprises de l'Internet et des NTIC. Dossier

Prestataires

Plus de 5 500 prestataires dans les NTIC. Dossier

Tous les annuaires