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par
Thibault Verbiest
Avocat aux Barreaux
de Paris et de Bruxelles,
chargé d'enseignement
à l'Université Paris I (Sorbonne)
Cabinet
Ulys
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Les
publicités pour certains secteurs ou produits, considérés
comme sensibles, sont soumises à des régimes particuliers.
Il en est notamment ainsi du tabac, de l 'alcool et
des médicaments. Le présent article est le premier d'une
série consacrée aux règles juridiques applicables sur
Internet à ces produits.
En
vertu de l'article L.3511-3 du Code la santé, "La propagande
ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du
tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution
gratuite sont interdites. (
) Toute opération de parrainage
est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet
la propagande ou la publicité directe ou indirecte en
faveur du tabac ou des produits du tabac." Il s'agit
donc d'un régime d'interdiction, et ce quelque soit
le support. Ce régime s'applique dès lors sans conteste
à l'Internet et aux nouveaux médias.
Au
niveau européen, depuis l'adoption récente de la directive
en matière de publicité et de parrainage en faveur des
produits du tabac (qui devra être transposée avant le
31 juillet 2005), la même interdiction est de rigueur.
Elle s'applique en outre expressément à la publicité
pour le tabac "via les services de la société de l'information".
Le Code la santé énonce toutefois trois exceptions.
Publicité
dans les débits de tabac : applicable à un site Web
?
Selon
l'article L. 3511-3, la prohibition ne s'applique pas
"aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes
disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles
de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces
affichettes soient conformes à des caractéristiques
définies par arrêté interministériel."
Appliquée
à l'Internet, cette exception pose la question de l'existence
légale de débits de tabac "virtuels". En d'autres termes,
serait-il juridiquement possible pour un site Web de
vendre du tabac tout en bénéficiant de la dérogation
prévue à l'article L. 3511-3 en ce qui concerne les
publicité diffusée à l'intérieur" du site ?
Le
Code de la santé fait référence à la notion d' "établissement",
ce qui pourrait laisser penser qu'un débit de tabac
ne point être exploité que dans un immeuble. Nous n'en
sommes pas convaincus. En effet, la barrière du verbe
n'est pas nécessairement insurmontable.
La
jurisprudence, et singulièrement celle de la Cour de
cassation, ont parfois recours à une interprétation
"évolutive" ou "téléologique" de la loi. Cette interprétation
se retrouve même en droit pénal, qui est pourtant d'interprétation
restrictive.
Selon
l'enseignement de la Cour de cassation, le juge répressif
est en droit, sans violer le principe de la stricte
application de la loi pénale, de retenir l'intention
du législateur et de définir le domaine d'application
d'un texte.
Par
ailleurs, dans le domaine de la fiscalité internationale,
la notion d'"établissement stable", initialement conçue
pour des emplacements physiques (succursales, bureaux
etc.), a évolué, pour finalement englober, à certaines
conditions, les serveurs web. A notre sens, ce ne serait
pas trahir l'intention du législateur que de considérer
qu'il aurait visé les sites Web de vente de tabac s'il
avait pu imaginer le commerce électronique à l'époque
où fut promulguée la loi. Toutefois, la transposition
au Web n'est possible que si le monopole étatique sur
les débits de tabac, visé à l'article 568 du Code général
des impôts (CGI), est préservé.
En
pratique, selon une instruction ministérielle, "la création
d'un débit de tabac doit répondre à un besoin réel des
consommateurs, qui n'est pas normalement satisfait par
le réseau existant, dans un secteur ou un quartier déterminé,
défini par un périmètre d'implantation. Ce besoin est
apprécié par la direction régionale des douanes et droits
indirects territorialement compétente, en fonction de
critères objectifs d'appréciation définis par instructions
: BOD n°6161 du 31.01.97."
Les
instructions ministérielles imposent une série d'obligations
au gérant du débit de tabac, dont celle d'exploiter
le comptoir de vente dans un local agréé par l'administration.
Au
vu de la philosophie qui préside à ces instructions
- à savoir contrôler le plus étroitement possible l'agencement
du débit de boisson -, il nous semble parfaitement possible
d'imaginer un débit de boisson opérant exclusivement
sur l'Internet, moyennant une configuration agréée par
l'administration, et sous réserve d'une évaluation correcte
des dangers d'une telle distribution pour la santé publique.
Certes,
les instructions ministérielles existantes devraient
être adaptées pour tenir compte de la spécificité de
nouveau canal de distribution. Toutefois, le débit de
boisson virtuel étant accessible dans le monde entier,
et donc susceptible de heurter des prohibitions instituées
par des lois étrangères, il serait nécessaire de réserver
l'accès du site aux résidents français et à ceux dont
les législations sont compatibles avec l'activité de
vente de tabac sur l'internet. En outre, pour les mêmes
raisons, il conviendrait de mettre en place un système
permettant d'empêcher l'accès des mineurs, et ce dès
la page d'accueil (et, en tous cas, avant l'apparition
des publicités pour le tabac).
Les
publicités "professionnelles"
L'article L. 3511-3 édicte que
"Elles ne s'appliquent pas non plus aux publications
éditées par les organisations professionnelles de producteurs,
fabricants et distributeurs des produits du tabac et
qui sont réservées à leurs adhérents, ni aux publications
professionnelles spécialisées dont la liste est établie
par arrêté ministériel."
Cette exception pourrait sans
problème s'appliquer aux publications de ce type revêtant
une forme électronique (par exemple une "newsletter"
envoyée par courriel exclusivement aux adhérents de
l'organisation concernée).
La
retransmission de compétitions sportives
L'article L.3511-5 énonce que
"La retransmission des compétitions de sport mécanique
qui se déroulent dans des pays où la publicité pour
le tabac est autorisée, peut être assurée par les chaînes
de télévision".
Cette disposition semble donc
exclure les retransmissions par d'autres supports, tels
que le Web. Toutefois, il nous semble que la ratio legis
qui préside à cette exception devrait aussi valoir pour
des retransmissions par l'Internet (de type WebTV),
dans la mesure où le responsable du site n'a pas les
moyens techniques pour empêcher la visualisation de
la publicité litigieuse (par exemple dans le cas d'une
retransmission en streaming).
[thibault.verbiest@ulys.net]
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