par
Sylvain Staub
et Jean-Frédéric Gaultier
Avocats à la Cour
Clifford Chance
|
|
La
copie numérique illégale constitue une grave menace
pour les droits des créateurs et producteurs, d'autant
que ces copies peuvent être transférées rapidement grâce
au haut débit et aux formats de compression MP3 et DivX.
L'efficacité des dispositifs anticopie développés pour
lutter contre cette pratique fait cependant débat. En
particulier, la présence de ces dispositifs peut empêcher
toute copie privée, et dans certains cas entraîner une
altération du support rendant l'accès à l'uvre impossible.
Quelle
reconnaissance pour les dispositifs anticopie ?
Les dispositifs anticopie
sont des "mesures techniques" définies par la Directive
européenne "droit d'auteur" du 22 mai 2001 (Directive
2001/29/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22
mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du
droit d'auteur et des droits voisins dans la société
de l'information) comme : "toute technologie,
dispositif ou composant (
) destiné à empêcher ou à
limiter (
) les actes non autorisés par le titulaire
d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur
[droit des artistes interprètes et des producteurs]".
En application de cette Directive,
les Etats membres doivent prévoir la possibilité d'engager
la responsabilité de toute personne contournant un dispositif
anticopie ou fournissant un moyen de le contourner.
Le Gouvernement devrait prochainement déposer un projet
de loi de transposition légitimant ainsi les dispositifs
anticopie et sanctionnant leur contournement.
A l'opposé, une proposition
de loi visant purement et simplement à interdire les
systèmes anticopie sur les CD et DVD a été initiée (Projet
de proposition de loi de Didier Mathus, député (PS)
de Saône-et-Loire). Or, face aux préjudices subis
par l'ensemble d'une industrie, il est illégitime, et
en tout état de cause illégal, de lui interdire le principe
même de mesures de protection. La Directive pose en
effet le principe selon lequel l'exception de copie
privée n'est applicable "que dans certains cas spéciaux
qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale
de l'uvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice
injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit".
Bien plus, les mesures techniques visant à protéger
les droits sur une uvre sont reconnues et protégées
depuis longtemps, et notamment par le traité OMPI du
20 décembre 1996 (en vigueur depuis le 6 mars 2002).
Quelle
compatibilité avec la copie privée?
Un
des inconvénients des dispositifs anticopie est précisément
qu'ils peuvent empêcher d'effectuer des copies privées.
Par exception au droit d'auteur, l'article L. 122-5
du Code de la Propriété Intellectuelle autorise toute
personne ayant régulièrement acquis une uvre à en effectuer
des "copies ou reproductions strictement réservées à
[son] usage privé (
) et non destinées à une utilisation
collective
", exception reconnue également par la Directive.
Par
ailleurs, doit être prise en considération l'existence
d'une rémunération pour copie privée, qui légitime d'autant
mieux les copies privées que ceux qui les effectuent
ont, sauf exception, acquitté une redevance sur l'achat
des supports vierges (135 millions d'euros en 2002).
La Directive prévoit ainsi que la rémunération pour
copie privée doit prendre en compte l'application ou
non de mesures techniques.
L'exception
de copie privée a été instaurée en 1957, avant même
le développement de la copie analogique, en raison de
l'impossibilité et de l'inopportunité de contrôler l'utilisation
faite des uvres dans la sphère strictement privée des
utilisateurs. Aujourd'hui, la numérisation des uvres,
et les moyens d'en effectuer la copie facilement, massivement
et sans déperdition de qualité, ne doivent pas détourner
de sa finalité initiale et transformer en véritable
droit ce qui est et doit rester une exception au droit
d'auteur.
Si
le principe même de cette exception ne semble pas devoir
être remis en cause, ses modalités d'application devraient
en toute logique être adaptées à la numérisation des
uvres et aux nouvelles possibilités d'accès à celles-ci.
Les éditeurs pourraient par exemple autoriser qu'un
nombre limité de copies sécurisées soit effectué en
ligne, après saisie d'un code figurant sur le support
original.
Plus
généralement, compte-tenu des impératifs liés à l'exception
de copie privée, de la facilité, même pour un simple
utilisateur, de casser un code de protection et de l'alternative
de l'accès aux uvres par les réseaux peer to peer,
il convient de s'interroger sur la réelle opportunité
de la mise en place des mesures de protection techniques
des supports. Notamment, le choix purement économique
des ayants droit pourrait bien être de préférer le maintien
de la rémunération pour copie privée à la mise en place
de mesures anticopie.
A
défaut, la difficulté pour les titulaires de droits
reste de développer des technologies anticopie fiables
et permettant la pratique des copies privées. De plus,
ces technologies ne doivent pas entraîner une altération
du support rendant l'accès à l'uvre impossible.
Quelles
conséquences pour l'accès à l'uvre?
Plusieurs
actions judiciaires ont été récemment engagées contre
des éditeurs par des utilisateurs et des associations
de consommateurs, relativement à des CD qui ne pouvaient
être écoutés sur certains lecteurs du fait de la présence
d'un système anticopie.
Le
24 juin 2003 (TGI de Nanterre, 24 juin
2003, Association CLCV c/ EMI Music France),
le Tribunal de grande instance de Nanterre a jugé que
EMI Music France "s'est rendu coupable d'une tromperie
sur l'aptitude à l'emploi" d'un CD, en omettant d'informer
les acheteurs "des restrictions d'utilisation et particulièrement
de l'impossibilité de lire ce CD sur certains autoradios
ou lecteurs". En conséquence, l'éditeur a été condamné
à faire figurer sur le verso de l'emballage desdits
CD la mention "attention, il ne peut être lu sur tout
lecteur ou autoradio". Jusqu'alors, ces CD ne comportaient
que la mention "ce CD contient un dispositif technique
limitant les possibilités de copie".
Dans
une autre affaire, le même tribunal a jugé le 2 septembre
(TGI de Nanterre, 2 septembre 2003, Françoise
M. et UFC Que Choisir c/ EMI Music France et Auchan
France) que l'impossibilité de lire un CD sur
un autoradio est une "anomalie [qui] restreint son utilisation
et constitue un vice caché au sens de l'article 1641
du Code civil". EMI Music France a en conséquence été
condamnée à rembourser le prix du CD à l'utilisateur.
Pour
sa part, le 2 octobre, le Tribunal de Grande Instance
de Paris a refusé de condamner BMG France pour des faits
similaires, jugeant notamment que le constat d'huissier
ne permettait pas d'exclure "un défaut de lecture inhérent
à l'autoradio utilisé ni davantage un défaut affectant
l'exemplaire du disque utilisé"(TGI de
Paris, 2 octobre 2003, CLCV c/ BMG France).
Il
convient de noter qu'à ce jour aucune décision ne concerne
la présence elle-même du dispositif anticopie, mais
seulement les conséquences qu'il peut entraîner pour
la lecture du support. Sans examiner ici en détail les
faits des trois affaires citées, il y a lieu de penser
que ces décisions, qui ne sont pas définitives, pourraient
relativiser l'opportunité pour les éditeurs de poursuivre
la mise en place de mesures anticopie.
Car,
peut-on imaginer qu'un producteur, ne pouvant ignorer
les risques d'anomalie résultant d'un dispositif anticopie,
soit un jour condamné à rappeler tous les CD illisibles
sur certains lecteurs ? La question pourrait également
se poser de la responsabilité des fabricants de lecteurs
ne permettant pas la lecture de CD protégés, lecteurs
qui pourraient également faire dans ce cas l'objet d'un
rappel. A l'inverse, en concevant des lecteurs donnant
lecture de tous types de CD, y compris copiés, ces fabricants
pourraient engager leur responsabilité au titre du contournement
des dispositifs anticopie. Il faudrait alors que les
lecteurs permettent la lecture de CD disposant de tous
types de dispositifs de protection, tout en maintenant
à ces CD l'efficacité de leur protection anticopie.
Sachant que les possibilités de contournement des mesures
anticopie conduiront à un renforcement des dispositifs
techniques, il risque de se développer une surenchère
entre les maisons de disques et les fabricants de lecteurs.
Pour les groupes qui disposent à la fois de ces deux
casquettes, le risque sera accru en cas d'action judiciaire
par un utilisateur.
En
conclusion, le débat qui s'est instauré sur les dispositifs
anticopie devrait être l'occasion de rappeler que la
copie privée doit rester une exception strictement limitée.
Le droit d'auteur doit conduire à ne pas interdire le
principe même d'une protection appropriée, dont l'efficacité,
en revanche, reste encore à démontrer.
[Sylvainstaub@wanadoo.fr
et Jean-Frederic.Gaultier@CliffordChance.com]
Sommaire
de la rubrique
|