Juridique
Quelle légalité pour les dispositifs anticopie?
 (Mardi 28 octobre 2003)
         
par Sylvain Staub
et Jean-Frédéric Gaultier
Avocats à la Cour
Clifford Chance

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Quelle brevetabilité pour les logiciels ? (01/07/03)

La copie numérique illégale constitue une grave menace pour les droits des créateurs et producteurs, d'autant que ces copies peuvent être transférées rapidement grâce au haut débit et aux formats de compression MP3 et DivX. L'efficacité des dispositifs anticopie développés pour lutter contre cette pratique fait cependant débat. En particulier, la présence de ces dispositifs peut empêcher toute copie privée, et dans certains cas entraîner une altération du support rendant l'accès à l'œuvre impossible.

Quelle reconnaissance pour les dispositifs anticopie ?
Les dispositifs anticopie sont des "mesures techniques" définies par la Directive européenne "droit d'auteur" du 22 mai 2001 (Directive 2001/29/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information) comme : "toute technologie, dispositif ou composant (…) destiné à empêcher ou à limiter (…) les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur [droit des artistes interprètes et des producteurs]".

En application de cette Directive, les Etats membres doivent prévoir la possibilité d'engager la responsabilité de toute personne contournant un dispositif anticopie ou fournissant un moyen de le contourner. Le Gouvernement devrait prochainement déposer un projet de loi de transposition légitimant ainsi les dispositifs anticopie et sanctionnant leur contournement.

En savoir plus

Interview Didier Mathus (14/10/03)
Dossier Musique en ligne

A l'opposé, une proposition de loi visant purement et simplement à interdire les systèmes anticopie sur les CD et DVD a été initiée (Projet de proposition de loi de Didier Mathus, député (PS) de Saône-et-Loire). Or, face aux préjudices subis par l'ensemble d'une industrie, il est illégitime, et en tout état de cause illégal, de lui interdire le principe même de mesures de protection. La Directive pose en effet le principe selon lequel l'exception de copie privée n'est applicable "que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit". Bien plus, les mesures techniques visant à protéger les droits sur une œuvre sont reconnues et protégées depuis longtemps, et notamment par le traité OMPI du 20 décembre 1996 (en vigueur depuis le 6 mars 2002).

Quelle compatibilité avec la copie privée?
Un des inconvénients des dispositifs anticopie est précisément qu'ils peuvent empêcher d'effectuer des copies privées. Par exception au droit d'auteur, l'article L. 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle autorise toute personne ayant régulièrement acquis une œuvre à en effectuer des "copies ou reproductions strictement réservées à [son] usage privé (…) et non destinées à une utilisation collective…", exception reconnue également par la Directive.

Par ailleurs, doit être prise en considération l'existence d'une rémunération pour copie privée, qui légitime d'autant mieux les copies privées que ceux qui les effectuent ont, sauf exception, acquitté une redevance sur l'achat des supports vierges (135 millions d'euros en 2002). La Directive prévoit ainsi que la rémunération pour copie privée doit prendre en compte l'application ou non de mesures techniques.

L'exception de copie privée a été instaurée en 1957, avant même le développement de la copie analogique, en raison de l'impossibilité et de l'inopportunité de contrôler l'utilisation faite des œuvres dans la sphère strictement privée des utilisateurs. Aujourd'hui, la numérisation des œuvres, et les moyens d'en effectuer la copie facilement, massivement et sans déperdition de qualité, ne doivent pas détourner de sa finalité initiale et transformer en véritable droit ce qui est et doit rester une exception au droit d'auteur.

Si le principe même de cette exception ne semble pas devoir être remis en cause, ses modalités d'application devraient en toute logique être adaptées à la numérisation des œuvres et aux nouvelles possibilités d'accès à celles-ci. Les éditeurs pourraient par exemple autoriser qu'un nombre limité de copies sécurisées soit effectué en ligne, après saisie d'un code figurant sur le support original.

Plus généralement, compte-tenu des impératifs liés à l'exception de copie privée, de la facilité, même pour un simple utilisateur, de casser un code de protection et de l'alternative de l'accès aux œuvres par les réseaux peer to peer, il convient de s'interroger sur la réelle opportunité de la mise en place des mesures de protection techniques des supports. Notamment, le choix purement économique des ayants droit pourrait bien être de préférer le maintien de la rémunération pour copie privée à la mise en place de mesures anticopie.

A défaut, la difficulté pour les titulaires de droits reste de développer des technologies anticopie fiables et permettant la pratique des copies privées. De plus, ces technologies ne doivent pas entraîner une altération du support rendant l'accès à l'œuvre impossible.

Quelles conséquences pour l'accès à l'œuvre?
Plusieurs actions judiciaires ont été récemment engagées contre des éditeurs par des utilisateurs et des associations de consommateurs, relativement à des CD qui ne pouvaient être écoutés sur certains lecteurs du fait de la présence d'un système anticopie.

Le 24 juin 2003 (TGI de Nanterre, 24 juin 2003, Association CLCV c/ EMI Music France), le Tribunal de grande instance de Nanterre a jugé que EMI Music France "s'est rendu coupable d'une tromperie sur l'aptitude à l'emploi" d'un CD, en omettant d'informer les acheteurs "des restrictions d'utilisation et particulièrement de l'impossibilité de lire ce CD sur certains autoradios ou lecteurs". En conséquence, l'éditeur a été condamné à faire figurer sur le verso de l'emballage desdits CD la mention "attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradio". Jusqu'alors, ces CD ne comportaient que la mention "ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie".

Dans une autre affaire, le même tribunal a jugé le 2 septembre (TGI de Nanterre, 2 septembre 2003, Françoise M. et UFC Que Choisir c/ EMI Music France et Auchan France) que l'impossibilité de lire un CD sur un autoradio est une "anomalie [qui] restreint son utilisation et constitue un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil". EMI Music France a en conséquence été condamnée à rembourser le prix du CD à l'utilisateur.

Pour sa part, le 2 octobre, le Tribunal de Grande Instance de Paris a refusé de condamner BMG France pour des faits similaires, jugeant notamment que le constat d'huissier ne permettait pas d'exclure "un défaut de lecture inhérent à l'autoradio utilisé ni davantage un défaut affectant l'exemplaire du disque utilisé"(TGI de Paris, 2 octobre 2003, CLCV c/ BMG France).

Il convient de noter qu'à ce jour aucune décision ne concerne la présence elle-même du dispositif anticopie, mais seulement les conséquences qu'il peut entraîner pour la lecture du support. Sans examiner ici en détail les faits des trois affaires citées, il y a lieu de penser que ces décisions, qui ne sont pas définitives, pourraient relativiser l'opportunité pour les éditeurs de poursuivre la mise en place de mesures anticopie.

Car, peut-on imaginer qu'un producteur, ne pouvant ignorer les risques d'anomalie résultant d'un dispositif anticopie, soit un jour condamné à rappeler tous les CD illisibles sur certains lecteurs ? La question pourrait également se poser de la responsabilité des fabricants de lecteurs ne permettant pas la lecture de CD protégés, lecteurs qui pourraient également faire dans ce cas l'objet d'un rappel. A l'inverse, en concevant des lecteurs donnant lecture de tous types de CD, y compris copiés, ces fabricants pourraient engager leur responsabilité au titre du contournement des dispositifs anticopie. Il faudrait alors que les lecteurs permettent la lecture de CD disposant de tous types de dispositifs de protection, tout en maintenant à ces CD l'efficacité de leur protection anticopie. Sachant que les possibilités de contournement des mesures anticopie conduiront à un renforcement des dispositifs techniques, il risque de se développer une surenchère entre les maisons de disques et les fabricants de lecteurs. Pour les groupes qui disposent à la fois de ces deux casquettes, le risque sera accru en cas d'action judiciaire par un utilisateur.

En conclusion, le débat qui s'est instauré sur les dispositifs anticopie devrait être l'occasion de rappeler que la copie privée doit rester une exception strictement limitée. Le droit d'auteur doit conduire à ne pas interdire le principe même d'une protection appropriée, dont l'efficacité, en revanche, reste encore à démontrer.

[Sylvainstaub@wanadoo.fr
et Jean-Frederic.Gaultier@CliffordChance.com]

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[Rédaction, JDNet]
 
 
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