JURIDIQUE 
PAR Me ANNE COUSIN
La diffamation sur Internet arrachée au tribunal d'instance
Le traitement des litiges en diffamation est étroitement lié à son origine (par voie de presse ou non). Or Internet a bouleversé la donne et soulevé la question de la définition du terme "presse".  (22/06/2004)
 
Avocate à la Cour, directrice du pôle contentieux et du département presse
Alain Bensoussan- Avocats
 
   Le site
Alain-bensoussan.com
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Les secousses juridiques soulevées par l'explosion de l'internet sont nombreuses. Une fois de plus, il faut reconnaître que la jurisprudence a décidé de les contenir dans des limites raisonnables et de ne pas bouleverser-ce qui est sage-le paysage juridique français.

Le 5 mai 2004, à l'occasion d'un litige opposant le portail "gotha.fr" consacré "aux têtes couronnées" et animé par Stéphane Bern à un prince de Roumanie, la Cour d'appel de Paris a clairement et sans équivoque, rejeté la compétence du tribunal d'instance au profit du tribunal de grande instance pour connaître des injures et diffamations commises par le premier au préjudice du second.

La plénitude de juridiction du tribunal de grande instance se voit donc confirmée par la Cour d'appel qui ne s'est pas laissée séduire par l'analyse de Stéphane Bern et son interprétation de l'article R 321-8 du Code de l'organisation judiciaire. Ce texte, presque oublié des procès en diffamation ou injure, a été quasiment "exhumé" à l'occasion des premiers contentieux de l'internet.

Sans doute sous l'influence du contenu même de certains sites ou de pages personnelles, ou en raison de leurs auteurs, parfois simples amateurs, on s'était demandé s'il n'était pas raisonnable de distinguer les atteintes à l'honneur et à la considération commises par voie de la presse d'une part, des diffamations publiques ou non commises "autrement que par la voie de la presse" d'autre part. Dans ce cas, il faudrait s'adresser au tribunal d'instance pour les sanctionner puisque compétence lui est explicitement donnée par cet article R 321-8 du Code de l'organisation judiciaire.

A notre connaissance, l'argument a été pour la première fois directement développé devant le Tribunal d'instance du 11ème arrondissement de Paris, au sujet de pages personnelles rédigées par un étudiant et dans lesquelles il donnait son opinion (toute aussi personnelle) sur la qualité de plusieurs magazines informatiques (Tribunal d'instance de Paris, 11e , 3 août 1999, foruminternet.org).

La définition même de la presse était bien sûr au cœur de la discussion. L'une des difficultés de la question, et non des moindres, venait de l'absence quasi totale de définition légale de ce terme pourtant utilisé par la loi et la jurisprudence. La seule qui soit à la disposition des interprètes est donnée à l'article I de la loi du 1er août 1986. Selon lui l'expression "publication de presse" signifie "tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers".

 
"La difficulté est qu'il y a une absence quasi totale de définition légal de ce que le terme 'presse' recouvre"
 

C'est donc sur la question précise de la périodicité de la diffusion, que les parties se sont opposées devant le tribunal d'instance. Il donna finalement raison à l'auteur des pages personnelles, plaidant pour son incompétence, compte tenu des mises à jour régulières qu'il y apportait.

La jurisprudence rendue après ce jugement, n'a pas repris ce critère. Elle considérait peut-être que l'article I de la loi du 1er août 1986 donnait une définition trop formelle, trop "technique" ou trop récente de la presse, bien après la grande loi de 1881 ou même la promulgation de l'article R 321-8. C'est alors la notion de "communication audiovisuelle" qui fut placée au cœur du débat.

Bien qu'une décision ancienne et il est vrai isolée, ait donné compétence au tribunal d'instance pour connaître de diffamations et d'injures commises au cinéma, (vecteur de communication audiovisuelle s'il en est), l'option prise par la jurisprudence fut clairement de limiter autant que possible la compétence du tribunal d'instance dans ce domaine.

L'ordonnance du 22 janvier 2003 examinée et confirmée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 5 mai 2004, écrivait même qu'il était inconcevable d'admettre une interprétation de l'article R 321-8 qui aboutirait à transférer au tribunal d'instance tout le contentieux de la diffamation commise par la voie du livre, puisque là non plus il ne s'agit pas de presse.

La Cour de Paris ne s'attache pas à la définition, peut-être impossible, du terme "presse" mais se fonde explicitement sur le fait qu'un site internet est un moyen de communication audiovisuelle, comme l'a retenu clairement la Cour de cassation, et ce que la LCEN confirme (Cass.Crim 6 mai 2003, legifrance.gouv.fr).

La Cour en déduit alors, que puisque l'article R 321-8 qui doit être interprété strictement, ne vise pas la communication audiovisuelle, il faut renvoyer le contentieux de la diffamation commise par son intermédiaire, à la juridiction de principe en droit français, le tribunal de grande instance. Force est de reconnaître que là encore l'argumentation ne convainc pas.

 
"L'évolution des technologies s'accompagne nécessairement d'un renouvellement des idées juridiques"
 

Il est bien clair que la communication audiovisuelle n'entre pas dans les prévisions de l'article R 321-8 puisque celui ci fixe négativement les limites de la compétence du tribunal d'instance : il n'énumère pas les moyens de commettre le délit, il suffit qu'il soit commis "autrement que par la voie de la presse".

Une fois encore nous butons sur cet obstacle de taille, peut-être finalement infranchissable, de la définition de la presse. La Cour d'appel de Paris n'a pas voulu tenter l'exercice. Elle a sans doute eu raison. Elle a en tout cas certainement voulu clore un débat soulevé maintenant il y'a près de six ans et qui a montré une fois de plus que l'évolution des technologies s'accompagnait nécessairement d'un renouvellement des idées juridiques.

Les conséquences de telles discussions sont évidentes : le prince de Roumanie qui s'estime diffamé par "gotha.fr" n'a toujours pas obtenu réparation deux ans et demi après les faits. C'est un résultat qui ne peut que laisser insatisfait les victimes des abus de la liberté d'expression et les juristes, même amoureux des textes... 
 
 

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