JURIDIQUE 
PAR ARNAUD DIMEGLIO
Google bombing : sur le fil du rasoir légal
Le google bombing (associer un nom à un adjectif déningrant sur un moteur de recherche) devient une arme pour les militants de tous bords. Le point sur la responsabilité des auteurs et des moteurs.  (21/09/2004)
 
Avocat à la Cour, docteur en droit
 
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Le Google Bombing consiste en la création par plusieurs personnes de liens hypertextes vers un site, lesquels sont associés à un mot, ou une expression dénigrante. Lorsque l'on effectue dans un moteur du type Google une recherche sur ces mots, le site visé apparaît alors en tête des résultats.

Plusieurs personnalités ont déjà fait les frais de cette pratique. Le président Bush par exemple en a été victime à la fin de l'année 2003, par des opposants à la guerre en Irak. Lorsque l'on saisi encore aujourd'hui dans Google l'expression "Miserable failure", qui signifie en anglais "Echec misérable", arrive en tête de résultat la page du site de la Maison Blanche, avec la biographie du président.

Au début de l'année 2004, ce fut au tour du site du député Jean Dionis du Séjour, rapporteur du projet de loi sur l'économie numérique, d'être touché par cette pratique avec l'expression "Député Liberticide". Enfin plus récemment, le mot "magouilleur" fut relié au site de l'Elysée, et plus précisément à la biographie de Jacques Chirac.

Dans ce dernier cas, Google a apparemment supprimé le résultat, puisque désormais lorsque l'on effectue dans sa base une recherche sur le mot-clé "magouilleur", le site de l'Elysée n'apparaît plus.

Il ressort de ces exemples que le Google Bombing serait licite dans certains cas, et illicite dans d'autres. Ils illustrent également le fait qu'à côté de la responsabilité des auteurs de la "bombe", c'est celle du moteur qui pourrait être engagée.

La responsabilité des auteurs
Selon l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, constitue une diffamation, "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé".

Or dans les cas précités, il va de soit que certains mots ou expressions qui ont été utilisées par les auteurs de la "bombe" ont pu porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée. C'est vraisemblablement le cas du mot "magouilleur", pour désigner le président. Dans les deux autres exemples précités, tel n'est peut être pas le cas, ce qui expliquerait que les résultats apparaissent toujours.

Pour que les auteurs de Google Bombing puissent être condamnés sur le fondement de la diffamation, il faut donc qu'ils associent un mot ou une expression diffamante à une personne. Il convient de noter également que lorsque l'expression est injurieuse, le délit d'injures pourrait s'appliquer.

Tout est donc une affaire de mesure, et il est conseillé avant de se prêter à la pratique du Google Bombing, de bien peser ses mots. Entre la liberté d'expression, le droit à la critique et les délits de presse, il y a ainsi une limite à ne pas franchir.

En dehors de la diffamation, d'autres infractions pourraient s'appliquer. Par exemple, si le Google Bombing est utilisé par des concurrents à l'encontre d'une entreprise pour dénigrer ses produits, leurs auteurs pourraient alors être inquiétés sur le fondement de la concurrence déloyale.

On peut s'interroger aussi sur l'application au Google Bombing de la loi Godefrain relative à l'accès frauduleux, et à l'entrave des systèmes de traitement automatisés de données. En usant de cette technique, les auteurs de Google Bombing n'abusent ils pas des algorithmes des moteurs pour fausser leurs résultats ? Le Google Bombing est il une forme de spamdexing ? autant de questions que cette pratique pose, et qui trouveront peut être un jour une application en jurisprudence. Mais pour l'instant, cela n'a pas l'air d'inquiéter, ni outre Alantique, ni en France, le fameux moteur. En revanche, Google ne semble pas être indifférent à sa propre responsabilité face à ce phénomène.

La responsabilité du moteur
La responsabilité du moteur de recherche ne devrait pas en principe être reconnue. En effet, tout le monde sait qu'un moteur fonctionne de façon automatique, et qu'en leurs qualités d'intermédiaires techniques, les moteurs échappent par principe à une quelconque responsabilité. Il s'agit du moins d'une règle inspirée de celle adoptée pour les hébergeurs, et qui commence à faire son chemin en faveur des moteurs. Mais à la différence des hébergeurs, pour les moteurs, aucune législation n'existe spécifiquement, de sorte que l'affirmation de ce principe est moins certaine.

Dans tous les cas, à supposer que le parallèle avec les hébergeurs puisse être validé, il n'en demeure pas moins que ce principe d'absence de responsabilité est limité. En effet, on sait que depuis l'adoption de la LCEN, la responsabilité des hébergeurs peut être engagée s'ils ne suppriment pas le contenu manifestement illicite auquel ils donnent accès, alors qu'ils en ont été informés par un tiers, ou que le juge leur a ordonné de le retirer. Une limite qui pourrait s'étendre, sur le fondement de nos principes généraux du droit, aux moteurs de recherche, et notamment dans l'hypothèse de Bombing.

Dans le cas du Google Bombing de Jacques Chirac, le moteur a supprimé dans sa page de résultats l'association entre le mot clef "magouilleur", et le site de l'Elysée. Google a-t-il anticipé sur ces règles ? Quoi qu'il en soit, il a très vraisemblablement bien agi. Mais qu'en est il des autres expressions, des autres cas de Google Bombing ? Sont ils licites ou illicites ? Le moteur doit-il supprimer les résultats ou non ? On le voit le Google Bombing risque encore une fois d'être un véritable casse tête pour les moteurs, à l'image des procès en contrefaçon de marque auxquels ils font face aujourd'hui, et il n'est pas trop tard pour se demander encore s'il ne serait pas finalement mieux pour eux qu'une législation, similaire à celle des hébergeurs, leur soit reconnue. .
 
 

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