Avocat au barreau
de Paris | |
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L'actualité récente s'est faite l'écho de l'initiative des
deux producteurs du film Les Choristes, soutenue notamment par différentes associations
professionnelles du cinéma, de citer devant le tribunal correctionnel de Paris
plusieurs grands annonceurs et FAI. Suivant le communiqué publié, les plaignants
leur reprochent de contribuer par leurs investissements publicitaires à financer
les réseaux de téléchargement illicites de films, faits qui selon eux seraient
constitutifs du délit de complicité de contrefaçon. Ils reprochent également aux
FAI de se rendre coupables de provocation à la contrefaçon en offrant aux internautes
les moyens techniques nécessaires à l'accomplissement du délit. FAI
et annonceurs : complices
? Qu'est ce qu'être complice ?
Suivant le code pénal (Article 121-7) : "Est complice d'un crime ou d'un
délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation
ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse,
menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué une infraction ou donné
des instructions pour la commettre". Le code pénal (Article 121-6) prévoit également
que le complice encourt les mêmes peines que l'auteur de l'infraction principale.
La complicité, c'est par conséquent : soit aider ou assister, soit provoquer
ou instiguer. En revanche, contrairement à ce que le "polar télé" du
lundi soir peut laisser croire, il n'y a pas en principe de complicité par simple
abstention. La jurisprudence réclame des actes positifs. On rappellera s'agissant
des FAI que la LCEN (Article 6-I-7 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour
la confiance dans l'économie numérique) prévoit qu'ils ne sont pas soumis à une
obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent, ni à une
obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des
activités illicites. Le code des postes et communications électroniques (Article
L32-3-3) prévoit quant à lui que le FAI ne peut voir sa responsabilité civile
ou pénale engagée à raison des contenus qu'il transmet.
ou receleurs ? Au-delà des faits reprochés ici par les plaignants
aux annonceurs et FAI, on comprend que ce que les titulaires de droits d'auteur
reprochent à différents acteurs de l'Internet, c'est en fait de profiter de la
manne de trafic et de clients que génère l'attrait du téléchargement massif de
contrefaçons de musique et de films à l'aide de logiciels peer-to-peer. Si tel
était leur véritable grief, c'est alors la qualification de recel qui devrait
être recherchée. Le recel est en effet défini par le code pénal comme "le fait,
en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime
ou d'un délit". Il est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 37.500 euros d'amende.
La question de fond :
la légalité des logiciels P2P Qu'il s'agisse de la complicité ou
du recel, intervient dans les deux cas un élément fondamental : le complice doit
avoir agi "sciemment", le receleur "en connaissance de cause". Il s'agit là d'un
point de cristallisation du débat. Certes, personne ne peut aujourd'hui prétendre
ignorer que de très nombreux internautes se livrent à de la contrefaçon à l'aide
des logiciels peer-to-peer. On objectera que le constructeur automobile ne peut
lui non plus ignorer que certains conducteurs commettent des homicides par excès
de vitesse. Les fabricants ou prestataires sont-ils alors tous complices de l'usage
détourné qui peut être fait de leurs produits ou services, et receleurs à raison
du bénéfice qu'ils tirent de leur commerce ? Quand la ligne blanche sera-t-elle
franchie ? En irait-il autrement si l'usage quasi-exclusif du produit ou
du service concerné était de commettre une infraction ? C'est semble-t-il
l'appréciation portée sur les logiciels P2P Groskter et Morpheus par la Cour suprême
des Etats-Unis (lire l'article
du 28/06/05), qui vient de les déclarer illégaux au regard du droit du copyright.
La Cour suprême relève toutefois dans son arrêt l'absence de toute mesure de prévention,
voire leur entrave, de la part des éditeurs poursuivis. A cet égard, les annonceurs
à leur tour montrés du doigt ne perdront jamais leur temps à se doter d'une politique
de prévention-contrôle-action, comme le font déjà nombre de FAI et d'hébergeurs.
Malgré l'absence des éditeurs des logiciels peer-to-peer concernés, on prendra
connaissance avec intérêt de la position du ministère public puis du jugement
du tribunal correctionnel de Paris dans cette affaire. |