JURIDIQUE 
PAR BENOÎT LOUVET
Les annonceurs juridiquement complices des pirates du peer-to-peer ?
Les annonceurs présents sur des sites de P2P ont récemment été mis en cause par l'industrie du film pour complicité de contrefaçon. Ce chef d'accusation est-il recevable ? Premiers éléments de réponse.  (12/07/2005)
 
Avocat au barreau de Paris
 
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L'actualité récente s'est faite l'écho de l'initiative des deux producteurs du film Les Choristes, soutenue notamment par différentes associations professionnelles du cinéma, de citer devant le tribunal correctionnel de Paris plusieurs grands annonceurs et FAI. Suivant le communiqué publié, les plaignants leur reprochent de contribuer par leurs investissements publicitaires à financer les réseaux de téléchargement illicites de films, faits qui selon eux seraient constitutifs du délit de complicité de contrefaçon. Ils reprochent également aux FAI de se rendre coupables de provocation à la contrefaçon en offrant aux internautes les moyens techniques nécessaires à l'accomplissement du délit.

FAI et annonceurs : complices … ?
Qu'est ce qu'être complice ? Suivant le code pénal (Article 121-7) : "Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué une infraction ou donné des instructions pour la commettre". Le code pénal (Article 121-6) prévoit également que le complice encourt les mêmes peines que l'auteur de l'infraction principale. La complicité, c'est par conséquent : soit aider ou assister, soit provoquer ou instiguer.

En revanche, contrairement à ce que le "polar télé" du lundi soir peut laisser croire, il n'y a pas en principe de complicité par simple abstention. La jurisprudence réclame des actes positifs. On rappellera s'agissant des FAI que la LCEN (Article 6-I-7 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique) prévoit qu'ils ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Le code des postes et communications électroniques (Article L32-3-3) prévoit quant à lui que le FAI ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison des contenus qu'il transmet.

… ou receleurs ?
Au-delà des faits reprochés ici par les plaignants aux annonceurs et FAI, on comprend que ce que les titulaires de droits d'auteur reprochent à différents acteurs de l'Internet, c'est en fait de profiter de la manne de trafic et de clients que génère l'attrait du téléchargement massif de contrefaçons de musique et de films à l'aide de logiciels peer-to-peer. Si tel était leur véritable grief, c'est alors la qualification de recel qui devrait être recherchée. Le recel est en effet défini par le code pénal comme "le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit". Il est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 37.500 euros d'amende.

La question de fond : la légalité des logiciels P2P
Qu'il s'agisse de la complicité ou du recel, intervient dans les deux cas un élément fondamental : le complice doit avoir agi "sciemment", le receleur "en connaissance de cause". Il s'agit là d'un point de cristallisation du débat. Certes, personne ne peut aujourd'hui prétendre ignorer que de très nombreux internautes se livrent à de la contrefaçon à l'aide des logiciels peer-to-peer. On objectera que le constructeur automobile ne peut lui non plus ignorer que certains conducteurs commettent des homicides par excès de vitesse. Les fabricants ou prestataires sont-ils alors tous complices de l'usage détourné qui peut être fait de leurs produits ou services, et receleurs à raison du bénéfice qu'ils tirent de leur commerce ? Quand la ligne blanche sera-t-elle franchie ? En irait-il autrement si l'usage quasi-exclusif du produit ou du service concerné était de commettre une infraction ?

C'est semble-t-il l'appréciation portée sur les logiciels P2P Groskter et Morpheus par la Cour suprême des Etats-Unis (lire l'article du 28/06/05), qui vient de les déclarer illégaux au regard du droit du copyright. La Cour suprême relève toutefois dans son arrêt l'absence de toute mesure de prévention, voire leur entrave, de la part des éditeurs poursuivis. A cet égard, les annonceurs à leur tour montrés du doigt ne perdront jamais leur temps à se doter d'une politique de prévention-contrôle-action, comme le font déjà nombre de FAI et d'hébergeurs. Malgré l'absence des éditeurs des logiciels peer-to-peer concernés, on prendra connaissance avec intérêt de la position du ministère public puis du jugement du tribunal correctionnel de Paris dans cette affaire.
 
 

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