JURIDIQUE 
PAR BERNARD LAMON
Affaire "Mulholland Drive" : la copie privée sérieusement limitée
La cour de cassation a rendu le 28 février un arrêt dans le débat sur la copie privée, en considérant qu'un moyen de protection anti-copie est légal. Une décision qui s'appuie notamment sur le respect des conventions internationales.  (03/02/2006)
 
Bernard Lamon est avocat au Barreau de Rennes, spécialiste en droit de l'informatique et des télécommunications, cabinet Bouessel du Bourg, Cressard, Ermeneux, Lamon .
 
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Dans son arrêt du 28 février 2006, la cour de cassation vient de donner son point de vue sur le droit d'auteur dans l'environnement numérique.

Dans cette affaire, un consommateur, soutenu par une association de consommateurs, se plaignait qu'il n'avait pas pu copier un film acheté sur un support DVD, sur une cassette vidéo afin de regarder le film chez ses parents qui possédaient un magnétoscope.

Le tribunal de grande instance de Paris lui avait donné tort dans un jugement du 30 avril 2004. La cour d'appel de Paris lui avait donné raison dans un arrêt du 22 avril 2005 qui avait fait beaucoup de bruit.

Ces questions sont d'actualité au moment où va être discutée la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information - dite DADVSI. A l'occasion de l'examen du projet de loi fin 2005, les parlementaires avaient fait l'objet d'un très intense lobbying qui semble leur avoir considérablement déplu.

Dans cette affaire, la cour de cassation a rappelé que la question ne doit pas être vue d'un strict point de vue français, mais par référence aux engagements internationaux de la France. Elle a considéré qu'un moyen anti-copie est légal. Il faut reprendre les bases du raisonnement, à savoir toutes les sources du droit en la matière, puis les hiérarchiser pour pouvoir ensuite correctement analyser cette décision.

Les sources du droit : françaises, mais aussi internationales
Les articles L. 122-5 et L 211-3 du code de la propriété intellectuelle prévoient que lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire les copies réservées à l'usage privé du copiste.

Au-delà du droit français, il faut aussi citer la convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques. Elle prévoit dans son article 9.2 que les pays signataires peuvent permettre la reproduction des oeuvres protégées par le droit d'auteur dans certains cas spéciaux, pourvu qu'une telle reproduction ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Cet article pose le principe du "test en trois étapes" que doit respecter toute loi qui autorise une exception au droit d'auteur :
- un cas spécial,
- l'absence d'atteinte à exploitation normale de l'oeuvre,
- l'absence de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

Le test en trois étapes est aussi prévu à l'article 13 des accords sur la propriété intellectuelle de l'organisation mondiale du commerce, et il a été repris dans la directive européenne du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. Sa transposition en droit français doit se faire par la loi DADVSI.

Cette directive admet la copie privée (article 5.2.b.) à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable. Mais la copie privée n'est possible que sous réserve du respect du test en trois étapes.

La prise en compte des sources du droit
La cour d'appel de Paris avait surtout pris en compte le droit français.

Pour la cour de cassation, il faut interpréter les articles du code de la propriété intellectuelle, par référence à la directive du 22 mai 2001, et à l'article 9.2 de la convention de Berne. En procédant de cette manière, la cour de cassation a voulu faire comprendre que même si la directive du 22 mai 2001 n'a pas été transposée en droit français, les engagements internationaux de la France doivent être pris en compte. Le raisonnement de la cour de cassation est ensuite déroulé.

L'articulation du raisonnement sur la copie privée
A titre liminaire, il convient de souligner qu'aucune des trois décisions rendues dans cette affaire n'a consacré de droit à la copie privée. Les trois décisions ont qualifié la copie privée comme étant une exception au droit d'auteur.

La cour de cassation pose d'abord que l'exception de copie privée n'interdit pas dans le principe les mesures techniques de protection. La directive du 22 mai 2001 admet la validité de principe des mesures techniques de protection.

Puis la cour de cassation admet que la copie peut être limitée lorsqu'elle peut nuire à l'exploitation normale de l'oeuvre.

Selon la cour d'appel de Paris, le fait qu'un DVD puisse être copié ne faisait pas obstacle à l'exploitation normale de l'oeuvre, notamment parce que les contraintes économiques de rentabilité étaient prises en compte par la "taxe sur les supports" (dite aussi taxe TASCA, ou BRUN-BUISSON). Cette rémunération est prélevée sur le prix de vente des supports (notamment les CD, les DVD et les cassettes vidéo vierges) et elle est reversée aux titulaires de droits d'auteur (et de droits voisins comme par exemple les producteurs de films).

L'existence de la rémunération pour copie privée n'est même pas mentionnée par la cour de cassation. Elle considère que la copie privée porte nécessairement atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre car cette atteinte doit s'apprécier au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique. Cette atteinte doit aussi s'apprécier par rapport à l'importance économique de l'exploitation de l'oeuvre sous forme de DVD.

La cour de cassation a donc pris en compte le fait qu'une grande partie des recettes de l'exploitation d'un film provient des ventes ou locations de DVD.

Elle a souligné que dans l'environnement numérique, la copie représente un danger très différent de celui qu'il était il y 50 ans. Une copie numérique est à qualité constante (contrairement à une copie sur bande magnétique qui s'altère très vite) et elle peut être échangée de manière dématérialisée (par internet), donc sans perte de qualité et en grand nombre et instantanément.

En conclusion, la cour de cassation a peut-être souhaité, en rendant son arrêt quelques semaines avant la nouvelle discussion sur la loi DADVSI, montrer le chemin que devra suivre le parlement : respect des engagements internationaux de la France, et prise en compte du nouvel environnement technologique pour adapter le droit d'auteur.

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