JURIDIQUE 
PAR ANNE COUSIN
Contrefaçon de marque sur Internet : qui est compétent ?
International par nature, Internet pose avec acuité la question de la compétence juridique, notamment en matière de contrefaçon de marque. Anne Cousin détaille les critères pris en compte par les tribunaux.  (30/05/2006)
 
Avocate, Denton Wilde Sapte
 
   Le site
Dentonwildesapte.com
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Quel est le juge compétent pour sanctionner la contrefaçon de marque commise à l'égard d'une société établie en France, par une autre dont le siège social est situé au Liban et par l'intermédiaire d'un site Internet accessible partout dans le monde ? Cette universalité doit-elle conduire à la possible saisine de tous les tribunaux situés sur tous les territoires du globe à partir desquels Internet peut être consulté ? Faut-il au contraire rechercher, et comment, un ou plusieurs critères permettant de limiter les compétences ?

Cette question a été posée directement à la Cour d'appel de Paris qui y a apporté le 26 avril 2006 une réponse claire et motivée. Alors qu'une société française se plaignait de la contrefaçon de sa marque sur un site Internet édité par une société libanaise, mais accessible en France, et invoquait la compétence des juridictions françaises au motif qu'un procès verbal de constat établissait l'accès au site litigieux à partir du territoire français, la Cour l'a rejetté parce que les faits portés devant elle ne lui paraissaient pas présenter un lien "suffisant, substantiel ou significatif" avec un préjudice localisé en France.

Le éléments du jugement
La Cour a identifié clairement le danger qui consisterait à retenir la compétence des juridictions françaises au seul motif que le comportement critiqué aura été commis par l'intermédiaire du réseau Internet.

En effet dans ce cas, toute autre juridiction nationale aurait la faculté de se déclarer également compétente de sorte qu'un même litige pourrait être soumis à toutes les juridictions du monde, pourvu qu'un accès à Internet soit possible.

Or, une bonne part de la réflexion et des travaux des juristes de droit international privé consistent précisément à limiter et à régler les conflits positifs de juridictions, c'est à dire ceux qui résultent d'un "trop-plein" de compétences pour éviter le fameux "forum shopping" permettant aux justiciables de choisir leur juge comme ils choisiraient un paradis fiscal.

La Cour a retenu ensuite que le site Internet de la société libanaise est rédigé en langue anglaise, n'offre aux consommateurs français aucun produit à la vente et que rien ne prouve en outre que ces mêmes produits font l'objet d'une commercialisation effective sur notre territoire. En conséquence, elle a estimé que les juridictions françaises étaient incompétentes pour connaître du litige.

La preuve de l'accès depuis un territoire donné n'est plus suffisante...
On mesure le chemin parcouru, dix ans environ après les premières décisions amenées à rechercher la compétence juridictionnelle des tribunaux français en matière d'Internet : il est considérable.

Dans les tous premiers temps, la discussion ne s'engageait d'ailleurs pas vraiment entre les parties au procès sur cette délicate question et le juge saisi retenait sa compétence sans qu'elle lui soit réellement discutée.

Lorsqu'elle l'a été pour la première fois, il a très généralement estimé que la seule preuve de l'accès à Internet à partir d'un point du territoire français (en exigeant parfois un procès-verbal de constat en ce sens) était à la fois nécessaire et suffisante pour que la juridiction tranche le litige porté devant elle.

Ce fut le cas par exemple dans l'affaire Yves Rocher/BNP (ordonnance de référé du Président du Tribunal de grande instance de Paris du 6 avril 1996), et cette seconde phase n'a véritablement pris fin qu'avec l'affaire "Yahoo" qui fut l'occasion d'une réflexion approfondie, animée du souci évident de mieux justifier (pour en l'occurrence la retenir) la compétence de la juridiction saisie.

L'impulsion était donnée : il n'était plus possible au début des années 2000 de raisonner comme cinq ans auparavant, sans doute parce que le droit de l'Internet n'était plus à sa première phase de construction et que l'on pouvait plus facilement, sans craindre l'impunité, écarter sa propre compétence et qu'en outre les solutions étrangères (notamment aux Etats-Unis et en Australie) incitaient fermement à l'identification d'un critère de rattachement avec le territoire français, plus "substantiel ou significatif", pour reprendre la formulation de la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 26 avril 2006, que celui du simple accès.

...La nature de la cible du site devient déterminante
Même si l'évolution ne se fait pas sans à-coups, la destination du site à un public déterminé est en passe de constituer le critère principal de rattachement à un juge.

On en trouve un exemple dans un jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 11 février 2003 qui écarte la compétence du juge français au motif que le site Internet litigieux ne visait pas le public français et bien sûr, dans le fameux arrêt "Hugo Boss" du 11 janvier 2005 qui, lui aussi, retient que le site ne visait pas "le public de France" et qui rejette le pourvoi formé contre l'arrêt ayant écarté l'action en contrefaçon porté devant une cour d'appel française.

Reste à savoir ce que signifie exactement "...viser le public français". Le critère de la langue apparaît comme déterminant. Il est retenu à la fois par le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 11 février 2003, par la Cour de Cassation dans son arrêt du 11 janvier 2005 et par la Cour d'appel de Paris dans sa propre décision du 26 avril 2006. Pour autant il est manifeste qu'il ne saurait suffire.

A celui-ci s'ajoute une analyse approfondie du contenu du site en cause qui débouche sur la recherche de la volonté de l'éditeur : propose t-il des produits ou des services aux consommateurs français, ces produits ou services sont-ils disponibles en France et effectivement commercialisés ? Si la réponse est positive, nul doute qu'une juridiction française se déclarera et à juste titre, compétente. Si la réponse est au contraire négative, il est probable aujourd'hui qu'elle jugera le contraire.

Les "paradis juridiques" contournés
Conforme à la position adoptée par d'autres juridictions à l'étranger, cette évolution nous paraît pleinement justifiée. Elle présente en effet l'avantage de concilier les intérêts légitimes des éditeurs et des internautes, des commerçants et des consommateurs, des entreprises et des particuliers.

En effet la compétence du juge n'est pas, tout d'abord, de pure opportunité. Elle ne dépend en effet pas d'un choix discrétionnaire de la part du responsable du site, motivé par le seul souci de l'impunité judiciaire qui l'amènerait ainsi à localiser ses serveurs ou son siège social sur un territoire dont il estimerait les juridictions particulièrement tolérantes.

En second lieu, cette solution présente pour lui l'avantage d'une certaine prévisibilité puisque, loin de le rendre justiciable de toutes les juridictions du monde comme la jurisprudence française la plus ancienne pouvait le lui faire craindre, elle lui permet d'apprécier à l'avance avec suffisamment de certitude le ou les tribunaux susceptibles de le condamner.

La question de l'exécution de la décision
Restent toutefois entières deux questions distinctes, d'égale importance : Celle de l'exequatur tout d'abord, c'est à dire la reconnaissance par un autre Etat de la force obligatoire et exécutoire de la décision rendue.

Si le juge d'un Etat retient sa compétence à l'égard d'un éditeur ou d'un commerçant établi à l'étranger, il est ensuite indispensable que cet Etat étranger accepte de prendre le relais pour faire respecter la décision rendue. L'affaire Yahoo constitue à cet égard un exemple frappant de l'ineffectivité à l'étranger d'une décision de justice française.

Tout aussi complexe est la détermination de la loi applicable au litige soumis au juge français. Les deux questions de la compétence juridictionnelle et de la compétence législative sont en effet distinctes bien que trop souvent et à tort, confondues. Le juge français qui se déclare compétent doit ensuite déterminer la loi applicable au contentieux porté devant lui, loi qui peut bien sûr par hypothèse ne pas être la loi française.

La loi applicable au litige
Pour les mêmes raisons sans doute, les débuts du droit de l'Internet ont été marqués par une application quasi généralisée de la loi française par les tribunaux de notre pays. Pour les mêmes raisons également, un mouvement s'est fait en faveur de critères de rattachement moins hégémoniques. La proposition de Règlement européen sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit Rome II) traduit cette préoccupation.

La règle de principe est que le litige est soumis à la loi du pays où le dommage survient ou menace de survenir, quelque soit le pays ou le fait générateur du dommage se produit et quelque soit le pays dans lesquelles les conséquences indirectes du dommage surviennent, sauf si la personne dont la responsabilité est recherchée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays. Dans ce cas, la loi applicable est celle de ce pays.

Toutefois, la proposition de règlement prévoit également que si les circonstances du litige font apparaître que celui-ci présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays que ceux qui viennent d'être identifiés, la loi de cet autre pays doit être appliquée. Le critère de l'étroitesse des liens avec un territoire l'emporte donc sur tout autre.

Il offre manifestement aux praticiens de larges perspectives : il leur appartiendra domaine par domaine, contentieux après contentieux, de rechercher en raison des caractéristiques de la contestation, les liens en cause qui la rattacheraient plus profondément qu'à aucun autre, à un territoire déterminé. Nul doute qu'il nous faudra quelques années encore pour prendre toute la mesure de cette règle…

 
 

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