JURIDIQUE 
PAR ISABELLE RENARD
Droits d'auteur : quand droit privé et droit public divergent
Depuis la loi DADVSI, les créations intellectuelles des agents de l'Etat et celles des salariés du privé ne sont plus soumises aux mêmes règles. Explication avec Isabelle Renard, avocat chez Vaughan Avocats.  (12/09/2006)
 
Avocat Associée chez Vaughan-Avocats
 
   Le site
Cabinet Vaughan Avocats
Ecrire à Isabelle Renard

La loi n° 2006-961 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite DADVSI, a été promulguée le 1er août 2006 après un parcours tumultueux qui a médiatisé le difficile compromis en matière de copie privée entre les intérêts des internautes, des industriels et des auteurs.

La DADVSI contient d'autres dispositions, qui n'ont pas soulevé les foules, mais sont fort intéressantes. Ces nouvelles dispositions concernent la propriété des créations intellectuelles des agents publics et leur intéressement à ces créations. Elles mettent l'accent sur la distorsion des régimes de droit public et de droit privé en la matière, que l'on rappelle brièvement ci-dessous.

Les créations intellectuelles des employés, que ce soit dans le secteur privé ou public, se répartissent en deux catégories : les logiciels (et leur documentation), et les autres types de créations intellectuelles. A la condition d'être "originales", toutes ces créations bénéficient de la protection par le droit d'auteur. Le caractère d'originalité a été précisé par la jurisprudence, car toute création intellectuelle réalisée dans le cadre professionnel ne répond pas nécessairement à ce critère. Mais s'agissant de développements à forte valeur ajoutée, par exemple le design d'un site Web ou la rédaction de certains documents destinés à être publiés, le critère d'originalité est incontestable et la création de l'employé est protégée par le droit d'auteur.

Ces deux catégories sont soumises à des règles de propriété et d'intéressement différentes selon que leur créateur appartient au secteur public ou au secteur privé.

La propriété des logiciels
S'agissant de la propriété des logiciels, le législateur a tenu compte de leur caractère hybride, à mi chemin entre la création intellectuelle et le produit industriel.

La propriété du logiciel est régie par l'article L113-9 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), qui dispose que "les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer". Ces dispositions sont également applicables aux agents de l'Etat, des collectivités publiques et des Etablissements publics à caractère administratif.

S'agissant de l'intéressement aux produits retirés du logiciel par l'employeur, l'intéressement des agents de l'Etat est régi par le décret n°96-858 du 2 octobre 1996, récemment modifié par le décret n°2005-1218 du 26 septembre 2005. Ainsi [article 1] :

"Les fonctionnaires ou agents publics de l'Etat […] qui ont directement participé, soit lors de l'exécution de missions et de création ou de découverte correspondant à leurs fonctions effectives, soit à l'occasion d'études ou de recherches qui leur avaient été explicitement confiées, à la création d'un logiciel […] bénéficient d'une prime d'intéressement aux produits tirés, par la personne publique, de ces créations, découvertes et travaux".

Il n'existe pour le secteur privé aucune disposition similaire. Sauf exception, les développeurs logiciels du secteur privé ne sont pas intéressés aux produits tirés par leurs employeurs de l'exploitation de leurs travaux.

La situation crée une distorsion fâcheuse dans le cas, de plus en plus fréquent, où cohabitent au sein du même service des employés soumis à un régime de droit privé et d'autres soumis au régime de droit public. A supposer que le logiciel développé en commun rapporte des produits, il faudra trouver un système astucieux pour gérer une telle disparité de régime entre les uns et les autres.

La propriété des autres créations intellectuelles pour le secteur privé
S'agissant de la propriété des autres créations intellectuelles (hors logiciel), la règle est posée par une lecture conjointe des articles L111-1 et L131-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui viennent justement d'être modifiés par la DADVSI.

L'article L111-1 disposait : "L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. […] l'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa",... et la DADVSI rajoute : "sous réserve des exceptions prévues par le présent code".

Ainsi, toute œuvre de l'esprit originale, autre qu'un logiciel, créée par un salarié du secteur privé reste la propriété de celui-ci, car il n'existe aucune disposition contraire dans le CPI. Pour que ces créations soient cédées à l'employeur, il doit exister un acte de cession express conforme à l'article L131-3 du CPI, qui dispose : "La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et sa destination, quant au lieu et quant à la durée".

Ces dispositions sont vieilles de deux siècles et elles ont été pensées dans une finalité de protection des artistes. On ne peut que déplorer qu'elles s'appliquent aux salariés dans le cadre de l'exécution de leur mission, mais pour l'instant il faut s'en accommoder. Il est donc prudent d'y penser dans les contrats de travail des salariés dont la mission consiste à être créatif.

La propriété des autres créations intellectuelles pour le secteur public
La situation des agents publics concernant leurs créations intellectuelles était tout autre. En l'absence de texte, le Conseil d'Etat considérait que les droits d'auteur portant sur les œuvres qu'ils avaient créés étaient automatiquement dévolus à leur employeur, compte tenu du lien statutaire propre aux fonctionnaires et aux exigences du service (CE, Avis 14 mars 1958 et 21 novembre 1972).

La DADVSI met fin à l'ambiguïté de la situation en ajoutant au CPI un certain nombre d'articles qui viennent explicitement régir la propriété des créations intellectuelles des agents de l'Etat.

Le principe est maintenant que l'agent public reste propriétaire de ses créations intellectuelles. Il est ajouté à l'article L 111-1 cité ci-dessus un troisième alinéa ainsi rédigé : "Sous les mêmes réserves, il n'est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l'auteur de l'oeuvre de l'esprit est un agent de l'Etat, d'une collectivité territoriale, d'un établissement public à caractère administratif, d'une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France".

Mais ce droit de propriété est soumis à un certain nombre de conditions et de limites (dont la plupart ne sont pas applicables aux fonctionnaires dont les publications ne sont pas soumises à un contrôle de leur hiérarchie, notamment les professeurs d'Université).

Ainsi, aux termes de l'article L121-7-1 du CPI : "Le droit de divulgation reconnu à l'agent mentionné au troisième alinéa de l'article L. 111-1, qui a créé une oeuvre de l'esprit dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues, s'exerce dans le respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d'agent et de celles qui régissent l'organisation, le fonctionnement et l'activité de la personne publique qui l'emploie." L'agent ne peut :

"1° S'opposer à la modification de l'oeuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation ;"

"2° Exercer son droit de repentir et de retrait, sauf accord de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique."

Par ailleurs, le nouvel article L131-3-1 du CPI dispose que "Dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public, le droit d'exploitation d'une oeuvre créée par un agent de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l'Etat."

Pour une exploitation commerciale de l'œuvre (hors mission de service public), l'Etat ne dispose que d'un droit de préférence, sauf dans certains cas décrits par le texte (article L131-3-1). S'agissant de l'intéressement des employés aux avantages tirés par l'employeur de l'exploitation des créations intellectuelles autres que logicielles, la DADVSI prévoie que pour les agents publics, les règles d'intéressement seront fixées par un décret en Conseil d'Etat (art. L131-3-3 CPI).

Aucun texte ne régit les règles d'intéressement dans le secteur privé, et les pratiques en la matière sont disparates. Ainsi, après la promulgation de la DADVSI, les règles qui régissent la propriété ou l'intéressement relatif aux créations intellectuelles (autre que logiciel) des agents publics sont claires et explicites. Quant au secteur privé, il fait ce qu'il peut avec des principes bicentenaires. Situation ironique, qui ne manquera pas de générer des difficultés dans les contextes où agents publics et salariés de droit privés cohabitent.

 
 

Accueil | Haut de page

 
  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International