"Nous essayons d'aider les pouvoirs publics à simplifier les droits d'auteur"

Pouvez-vous présenter le Geste ? A quelles évolutions a-t-il déjà contribué ces dernières années ?

Philippe Jannet. Le Geste est une association loi de 1901 qui regroupe plus d'une centaine d'éditeurs de contenus (dont TF1, France Télévisions, M6, Canal, Radio France, Google, Yahoo, le Monde.fr, Le Figaro.fr ou encore le Journal du Net). Cette association défend la liberté d'éditer sur Internet, le développement du marché, la mise en place de règles claires. Dernier fait d'arme : notre prise de position de la semaine dernière contre la taxe sur la publicité sur les sites Web.

Quelles sont vos priorités actuellement ?

Toujours le développement de l'activité... Nous ne cessons de nous battre pour éviter les lois liberticides que nos chers politiques ne cessent de tenter de nous imposer : décrets sur la conservation des données de navigation, suppression de l'audiotel, taxes diverses, TVA à 19,6 % sur nos contenus (contre 2,1 % pour la presse papier), refonte du droit d'auteur...

Très sincèrement, je ne suis pas très optimiste... On se dirige plutôt vers des taux totalement revus, du type 10 à 15 % pour les produits type "contenus" en ligne, 5 à 10 % pour les produits de pure nécessité ou culturels, et 20 % pour le reste...

Pouvez vous nous parler du e-paper ?

Le e-paper ? Ca marche ! Nous avons dépassé les 1.000 abonnés et nous préparons une V2 pour fin février.

Quelle économie pour les contenus ? Un paiement par la pub ? Auquel cas, quelle est la réelle liberté de l'information ? On voit le malaise avec les blogueurs qui accueillent de la pub sur des produits dont ils font l'éloge...

La déontologie journalistique n'est pas dépendante de la publicité, heureusement. La télévision (hors Canal+) comme la radio ou les quotidiens gratuits vivent de la pub. Ce n'est pas pour cela que leurs journalistes sont "gentils" avec les annonceurs...

Qu'est-ce que le Geste par rapport à l'AFDEL ? Cohabitent-ils tous deux ou sont-ils de réels concurrents ?

Rien à voir. Nous représentons les éditeurs de contenus, pas de logiciels. Il n'y a donc pas de concurrence.

Travaillez-vous sur la problématique des réseaux sociaux ?

Oui bien sûr. Nous accueillons d'ailleurs chez nous (au Geste), nos amis d'Obiwi ainsi que, via Le Monde, ceux du Post.

Google, Yahoo ou MSN sont-ils membres du Geste ?

Oui pour les deux premiers.

Quel est votre arbitrage sur la question licence globale / riposte graduée ? Etes-vous plutôt Olivennes ou Attali ?

Plutôt autorisation sous conditions... Nous nous sommes ainsi battus contre les entreprises qui, sous prétexte de revues de presse, pillaient nos contenus... Nous avons négocié avec elles, puis trouvé le moyen d'autoriser l'utilisation de nos contenus, de manière "règlementée". Cette méthode de la négociation nous est chère... Donc, plutôt nous mêmes...

Croyez-vous au retour des sites d'information payants ? (cf Mediapart…)

Euh... pourquoi retour ? En dehors du Geste, je dirige le site des Echos, payant en partie depuis 1997, et avec succès... Médiapart comme le site de Schneiderman sont de belles initiatives auxquelles je souhaite tous les succès. Le contenu de qualité est difficile à financer exclusivement par la pub. Je pense donc qu'un modèle mixte gratuit/payant, abonnement + publicité, peut être excellent pour une info de qualité (cf Le Monde.fr, WSJ.com,...). Je ne dis pas, en parallèle, que les sites tous gratuits sont de moins bonne qualité... disons qu'ils obéissent à des nécessités d'audience très délicates à gérer parfois...

Murdoch renonce à la gratuité du WallStreetJournal.com. Qu'en pensez- vous ?

Il va falloir revoir vos sources... Le Wall Street Journal opte pour un modèle mixte, très proche de celui des Echos, avec des infos réservées aux abonnés, et une large partie gratuite permettant d'accroître l'inventaire publicitaire, sans pour autant abaisser la qualité de l'audience.

Des modèles économiques de types rue89.com tout gratuit sont ils viables ?

Je l'espère pour eux. Il me semble qu'ils sont à l'équilibre sur les derniers mois de 2007. Pourvu que cela dure...

Croyez-vous que les journaux papiers, notamment quotidiens, pourraient disparaître dans les 10 prochaines années ? Comment pourrait-ils survivre si 100 % de la population est connecté, même en mobilité ?

Une seule certitude, ils devront changer, s'adapter, mieux répondre aux attentes des lecteurs. Pour le reste, peut-être lirons nous l'information sur un support qui n'existe pas encore...

On a l'impression que les éditeurs de la presse traditionnelle paniquent complètement face à la montée des médias numériques, un peu comme les majors de l'industrie musicale. Quel est votre sentiment ?

Euh... je ne partage pas, mais alors pas du tout votre analyse... Tous les acteurs de la presse, de la radio et de la télévision innovent sur Internet. Le Monde.fr est le leader des sites d'information, le Nouvel Obs comme L'Express ont des sites formidables, L'Equipe cartonne, Radio France a été un acteur pionnier sur les podcasts.

Si les quotidiens ont été obligés de s'adapter au Web, pourquoi les news mag ont-ils si peu pris Internet en compte dans leur stratégie ? Faut-il que les patrons de presse sentent le vent du boulet pour réagir ?

Voir ma réponse ci-dessus. Le modèle de l'Obs, devenu quotidien sur Internet, est un succès. Le Point vient de refaire son site avec bonheur. Marianne2 tourne très bien... La presse magazine, mensuelle, a plus de mal, mais les rythmes et les moyens sont très différents... Citons quand même l'excellent travail de psychologies.com.

Pourquoi tant de volonté de la part du gouvernement de taxer la publicité sur Internet ? Croyez-vous que cette taxe va finir par voir le jour ?

J'espère bien que non ! C'est stupide de vouloir taxer un business en plein développement, dont peu d'acteurs ont aujourd'hui atteint la rentabilité. Nous avons besoin de conserver 100 % de nos revenus pour continuer à investir, à développer... Nous en prendre, ne serait-ce qu'un seul pourcentage, serait affaiblir un marché en plein développement, créateur d'emplois, de valeur et de revenus.

Que comptez-vous faire alors pour empêcher le gouvernement de taxer la publicité sur Internet ?

Le lui dire ! Depuis quelques semaines, nous ne cessons d'expliquer et de réexpliquer à ses représentants qu'ils gagneraient du temps à dialoguer avec nous, avec les acteurs du marché, avant de décider tout et n'importe quoi... c'est aussi pourquoi nous demandons la nomination d'un haut commissaire au numérique regroupant quelques "experts" avec qui dialoguer.

Quels sont les prochains textes législatifs que le Geste regarde de près, pourquoi et que craignez-vous ?

Nous regarderons de près les textes déposés par Madame Albanel, sur l'audiovisuel... On ne sait jamais. Nous essaierons aussi d'aider les pouvoirs publics à simplifier le droit d'auteur, aujourd'hui mal adapté à l'Internet et aux développements numériques...

Que souhaitez-vous en matière de "refonte du droit d'auteur"?

Aujourd'hui, le droit d'auteur est adapté au support papier. Le support numérique apparaît donc comme une "nouvelle publication" imposant aux éditeurs de rémunérer les journalistes systématiquement. Nous sommes ok sur cette rémunération mais souhaitons que l'éditeur soit plus libre de l'usage des contenus publiés sous sa marque.

Quelle mesure demanderiez vous en premier au gouvernement pour favoriser le développement de la presse en ligne ?

Qu'il cesse de prendre des mesures...

Quels ont été les succès du Geste sur ces 5 dernières années ?

L'organisation du marché des panoramas de presse avec le CFC, les bagarres autour le l'opt-in et de l'opt-out avec la CNIL, le lancement du mode de paiement Internet+ avec les FAI, le reader RSS AlertInfo, le lancement prochain du portail PressEdu avec l'Education nationale...

Les problématiques de gestion de l'UGC sont aujourd'hui une des priorités. Compte tenu de l'émergence des creative commons et de la production de contenu par des individus "indépendants", comment pensez-vous que la rémunération des personnes individuelles notamment concernant la vente de contenus numériques, doit être approchée ? Quelles sont les conséquences pour les éditeurs "classiques" en place ?

Les UGC peuvent en effet être gérés via les creative commons. C'est une solution simple et déjà efficace. Pour ce qui concerne les éditeurs classiques, chacun va continuer à gérer ses auteurs avec des accords individuels (auteurs, pigistes,...), voire sans rémunération comme aujourd'hui.

Le Geste a-t-il rencontré l'Asic ? Quel est le rôle du Geste dans le use generated content ? N'est-ce pas plutôt à l'Asic, qui représente les acteurs du Web 2.0, de traiter ce sujet ? En quoi le Geste est-il crédible sur ces sujets ?

J'ignorais que nous n'étions pas compétents pour parler du Web 2.0 ! Nos amis de Skyrock éditeurs des skyblogs comme ceux du Post, d'Obiwi, sont présents au Geste. Je trouve dangereux de vouloir créer une association par type de problème. On risque de perdre beaucoup de temps et beaucoup de poids dans des bagarres inter-associations alors que les vrais combats sont ailleurs. A quelle association devront adhérer les éditeurs qui proposent des contenus propres et des contenus produits par leurs internautes (voir L'Equipe et son accord avec Agoravox, le Monde et ses blogs utilisateurs ou le JDN avec ce chat...) ?

Quelles perspectives pour l'édition mobile ?

Avec l'avènement de l'Internet mobile, sans dépendance vis-à-vis des opérateurs de téléphonie mobile, les éditeurs de contenus vont pouvoir travailler en toute liberté et développer des produits réellement intéressants avec des business model enfin "libres".

Quels sont les grands enjeux de l'édition de contenus sur mobile ?

L'invention de vrais business model, basés soit sur l'abonnement (difficile mais jouable dans certains types de contenus), soit sur la pub pour laquelle il nous faudra, comme sur Internet précédemment, amener les annonceurs à développer des contenus spécifiques... Je suis plutôt optimiste pour l'évolution de ce marché, surtout depuis l'avènement des forfaits illimités...

Quelles sont les expériences les plus concluantes pour les médias écrits sur le mobile ? Y en a-t-il en France ou faut-il aller chercher au Japon ?

Pour le moment, L'Equipe fait un boulot formidable. Les modèles japonais ne manquent pas et peuvent nous inspirer, mais encore une fois, c'est surtout l'ouverture du marché qui va précipiter le développement de nouveaux sites mobiles innovants.

Qui au Geste gagne plus qu'il ne dépense dans l'Internet mobile ?

Orange, SFR et Bouygues Telecom...

Le Geste vient de publier un livre, pouvez-vous nous dire quel est le sujet ?

L'idée était de réunir en seul ouvrage toutes les composantes de notre métier, des aspects techniques, journalistiques, organisationnels, juridiques, économiques, etc. Nous y décrivons nos activités, nos enjeux, etc., mais aussi nos attentes. Enfin, il nous semblait important de définir clairement les composantes de ce marché, et nous sommes même allés jusqu'à proposer un lexique... le tout pour seulement 15 euros en vente sur geste.fr et dans toutes les bonnes librairies à partir d'avril.

Croyez-vous que les formats actuels de la publicité interactive sont adaptés aux sites media ? Je pense aux Flash transparents qui recouvrent la moitié de la page, empêchant la lecture… Ne croyez-vous pas qu'il faudrait des formats spécifiques pour les sites de contenu ?

Si bien sûr, mais nous nous battons contre des géants aussi puissants que MSN, Yahoo, Orange et autres, et nous devons aussi accepter des contraintes qui ne les touchent pas. Je suis toutefois frappé par l'évolution des créas actuellement et du travail de plus en plus pointus des agences qui ne cessent d'améliorer leur format pour le rendre le plus efficace possible en fonction des cibles visées. Je ne doute pas qu'en passant d'une approche exclusivement quantitative pour aller vers une démarche plus qualitative, on obtiendra de jolies pubs, efficaces et pas trop envahissantes.

Pensez-vous qu'il soit pertinent de vendre des espaces publicitaires sur des contenus déjà payant "réservés aux abonnés" ?

Lorsque vous achetez un journal, il propose aussi des publicités non ? Pour faire simple, la pub représente 50 % du CA d'un journal ou d'un magazine, venant compléter les 50 % versés par l'acheteur en kiosque ou l'abonné. Seriez vous prêt à payer votre abonnement deux fois plus cher pour échapper à la publicité ?

Que pensez-vous du rôle de l'OJD dans la mesure des sites Internet ?

L'OJD est plutôt un arbitre. Lorsque nous avons demandé à ses dirigeants de nous aider à améliorer la comparabilité des outils de mesure site centrics, nous souhaitions pouvoir choisir librement nos outils de statistiques. L'OJD a alors travaillé au rapprochement des divers logiciels du marché et leur a attribué un label dès lors qu'ils respectent ses critères. Cela permet aujourd'hui aux sites utilisant Xiti de se comparer aux sites utilisant Cyberestat ou Weborama. De plus en plus de sites peuvent ainsi être mensurés, avec des outils valides. L'OJD peut délivrer un vrai certificat de qualité aux sites qu'il contrôle et c'est très utile...

Avez vous réalisé des audits des outils de mesure d'audience qui existent ? Pourquoi les membres du Geste ne communiquent pas sur les résultats d'un seul outil pour permettre une comparaison juste et fiable ? Ne pensez-vous pas que cela soit une bonne chose ?

Nous laissons à chacun sa liberté mais nous participons activement aux travaux de l'OJD comme à ceux de Médiamétrie, avec une exigence toujours plus grande pour que les données de chaque site soient "claires"... Et il reste beaucoup de travail encore....

Qu'est devenu Internet + ? Quelle est sa part de marché dans les paiements ? Quels services sont davantage concernés ?

Il continue de se développer mais j'ignore sa part de marché. Les services concernés sont aussi divers que les corrigés du bac en ligne, l'horoscope personnalisé, les bilans, les petites annonces,... ou les articles des Echos...

Comment est élu le président du Geste, quelle est la durée de son mandat ? Depuis quand êtes vous à ce poste ?

Le président est élu par le conseil d'administration comme dans n'importe quelle association. Les membres du conseil d'administration sont eux-mêmes élus par les adhérents. Le mandat du président du Geste est normalement de 3 ans, mais pour ce qui me concerne, je le remets en jeu chaque année. Je suis à la tête du Geste depuis juin 2000.

Combien coûte la cotisation des membres du Geste ?

Cela dépend de la taille de l'entreprise et de son statut. Jetez un oeil sur geste.fr pour avoir une idée.

Quels sont les prochains gros travaux du Geste ?

Essayer de vendre le livre... Promouvoir un nouvel instrument innovant que nous lançons avec Netvibes : www.netvibes.com/geste, une page pleine d'une sélection des meilleurs blogs consacrés à l'édition en ligne. Obtenir la nomination d'un haut commissaire au numérique. Bloquer le décret sur la conservation des données de navigation des internautes. Accompagner l'évolution du droit d'auteur. Continuer à se battre pour que se développe une édition en ligne libre, pérenne, débarrassée de taxes, textes, et autres "empêchages" d'éditer librement...

Philippe Jannet. Merci à tous, pour votre intérêt et la qualité de vos questions.