SALAIRES DES DIRIGEANTS
Vous avez dit transparence ?
Par Sébastien
Point,
maître de conférences en sciences de gestion à l'Université de Franche-Comté
(Besançon).
Si peu de dirigeants acceptent effectivement de révéler de plein
gré leur patrimoine, le gouvernement français a souhaité contraindre
les grands patrons à s'y résoudre à travers la loi sur les Nouvelles
Régulations Economiques (NRE, 2001). Depuis sa mise en place,
les entreprises françaises doivent améliorer et renforcer l'information
à destination des actionnaires. Désormais, le document de référence
des sociétés anonymes doit rendre compte de la rémunération totale
et des avantages de toute nature versés, durant l'exercice, à chaque
mandataire social.
Il
y a quelques années, il était encore impensable que les dirigeants
français acceptent de lever le voile sur leurs compensations financières.
Preuve en est avec le rapport Viénot II (1999), dont les recommandations
sur la transparence des salaires furent qualifiées de "voyeurisme".
Cependant, au début des années 2000, l'apparition d'un certain nombres
de scandales a encouragé l'émergence de codes de gouvernance à travers
l'Europe.
En Suisse et en Allemagne, l'apparition de nouvelles recommandations
tente ainsi de réguler la transparence sur la rémunération des dirigeants.
Les récents scandales d'ABB ou de Swissair ont privilégié l'apparition
du code suisse de bonnes pratiques (2002).
En Allemagne, le refus du PDG de DaimlerChrysler de dévoiler sa
rémunération au cours de la dernière assemblée générale ordinaire
a conduit à la révision du code Cromme (2002) en mai dernier, en
faveur d'une publication individuelle et obligatoire des salaires.
Aux Pays-Bas, une nouvelle législation (WOB, 2002) - semblable à
la loi NRE française - renforce la publication individuelle des
compensations financières allouées aux dirigeants.
Les rapports annuels ne fournissent
pas toujours ces chiffres tant attendus"
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En Grande-Bretagne, pays avant-gardiste pour dévoiler les salaires
des dirigeants dès le début des années 90 (rapports Cadbury -
1992 ; Greenbury - 1995 ; Combined Code - 1998), la transparence
s'est encore renforcée, contraignant désormais les entreprises à
justifier et comparer les niveaux de salaires Régulations sur
le rapport de la rémunération des dirigeants, 2002). En France,
dans son dernier bulletin mensuel, la Commission des Opérations
en Bourse souligne l'alignement de la majorité des entreprises françaises
sur les nouvelles dispositions mises en uvre. Chacun d'entre-nous
peut effectivement vérifier ces efforts de transparence décelables
dans le document de référence des entreprises.
Mais, curieusement, la richesse de la langue française aidant,
les rapports annuels - lorsqu'ils demeurent distincts des documents
de référence - ne fournissent pas toujours les chiffres tant attendus.
Ces éléments d'informations sont certes disponibles selon les dires
des entreprises elles-mêmes ou des journaux spécialisés, mais leur
recueil n'est pas toujours facilité. Preuves en sont les documents
de référence, pas toujours disponibles "en ligne", contrairement
aux rapports annuels d'activité.
Finalement, l'intérêt n'est peut-être pas - comme les agences de
notation ont tendance à le faire - de comparer les révélations sur
les salaires mais de s'interroger sur la convergence des obligations
en la matière. Il est sans doute plus pertinent de s'intéresser
à la présence (ou l'absence) d'informations dites "volontaires"
- et non plus obligatoires. Les recommandations sur les publications
financières en ligne (c'est-à-dire via Internet) demeurent encore
discrètes car non réglementées à ce jour, contrairement aux rapports
annuels d'activité. Considérées comme volontaires, elles sont davantage
susceptibles de révéler les efforts consentis sur la transparence
des rétributions allouées aux dirigeants.
Seules deux sociétés proposent
des informations détaillées et nominatives"
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A titre d'illustrations, prenez les exemples des entreprises françaises et
allemandes. La France a longtemps connu une certaine obédience sur
la publication des salaires, des contraintes législatives obligeant
alors les dirigeants les plus réticents à lever le voile sur leur
patrimoine. En Allemagne, le besoin d'attirer des investisseurs
étrangers, les pressions des fonds de pensions et la multiplication
des agences de notation sociale ont également favorisé l'émergence
d'un cadre législatif encourageant la publication des salaires.
Si la majorité des entreprises françaises disposent d'un onglet
sur le gouvernement d'entreprise, vingt-huit entreprises du CAC
40 (soit 70 %) ne divulguent rien sur la rémunération de leurs
dirigeants. Huit (soit 20%) détaillent la politique du groupe
et/ou le rôle du comité de rémunération. Seules quatre entreprises
(soit 10 %) publient en ligne les compensations allouées à
leurs dirigeants, dont deux à travers un lien hypertexte vers les
données du document de référence. Seules deux sociétés (BNP-Paribas
et Dexia) proposent des informations détaillées et nominatives sur
la rémunération des dirigeants via des tableaux synoptiques offrant
ainsi une lecture plus
transparente.
En revanche, pour les entreprises du DAX, quatorze (47 %)
proposent des informations en ligne sur la rémunération de leurs
dirigeants. La propension des informations proposées varie toutefois
d'un groupe à un autre. Les montants des compensations allouées
sont indiqués dans dix rapports en ligne, trois proposant un montant
global - pour l'ensemble du comité exécutif - de cette rémunération,
quatre à travers un lien vers le rapport annuel et trois autres
(Adidas-Salomon, Allienz et Epcos) via la production de tableaux
synoptiques.
Les processus demeurent en partie
opaques"
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Les autres sites des entreprises du DAX ont choisi de ne présenter
que la politique générale de rémunération ou le détail des systèmes
de primes accordées aux dirigeants. En effet, le rapport allemand
Cromme insiste particulièrement sur l'émission des stock-options
et autres systèmes de primes allouées, tout comme le dernier rapport
du Medef publié au printemps dernier.
Si les grandes entreprises en Europe sont obligées d'apporter un
soin particulier à communiquer les salaires de leurs dirigeants
à travers leur rapport annuel d'activité, les sites Internet sont
donc encore loin de mettre en exergue les efforts consentis sur
cette transparence. Malgré les nouvelles obligations en Europe
contraignent les dirigeants les plus réticents à dévoiler leur salaire,
les processus demeurent, eux, en partie opaques.
Dans quelques pays, comme en France en en Suisse, ces efforts demeurent
contraires à la culture dominante. On y remarque que cette transparence
n'apporte pas toujours le bon éclairage, avec la révélation de structures
compensatoires très complexes qui déroute les actionnaires, voire
les bénéficiaires eux-mêmes.
PARCOURS
|
Sébastien Point est maître de conférences à l'UFR SJEPG
(Sciences juridiques économiques politiques et de gestion)
de l'Université de Franche-Comté (Besançon). Il a longuement
analysé les discours des dirigeants publiés dans les rapports
annuels d'activité. Chercheur associé à l'Université de Cranfield
(Grande-Bretagne), ses travaux de recherche relatent actuellement
de la transparence sur la rémunération des dirigeants. Il a
d'ailleurs récemment contribué à un ouvrage en anglais réunissant
des spécialistes à ce sujet (Top Pay Performance, à paraître
à la fin de l'année chez l'éditeur Butterworth Heinemann). |
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