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(novembre 2003).
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Droit de la faillite : première étape d'une réforme annoncée
Par Jean-Charles Simon
(avocat à la Cour, Simon & Associés).


Le 13 octobre 2003, la Chancellerie a soumis à la concertation des praticiens, des syndicats et du patronat l'avant projet de loi "relatif à la sauvegarde des entreprises" dont l'objectif est de réformer les procédures collectives qui ont été au cœur de la polémique sur la réforme avortée des Tribunaux de Commerce au cours des années 2001 et 2002.

Le nouveau texte, qui tend à réformer les articles L. 620-1 et suivants du Code de commerce (Loi du 25 janvier 1985 modifiée par la loi du 10 juin 1994 et codifiée dans le Code de commerce), devrait être finalisé pour la fin de cette année, avant d'être présenté en Conseil des ministres.

La réforme poursuit sereinement l'objectif de "simplifier les procédures, pour préserver les emplois". Cette ambition fait écho à celle initialement visée par la loi de 1985 dont l'article 1er annonçait : "il est institué une procédure de redressement judiciaire destinée à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif".

Bon nombre de professionnels appelaient de leurs vœux une refonte du droit de la faillite dès lors que les précédentes réformes de 1984 et de 1985, respectivement consacrées à la prévention et au traitement des entreprises en difficulté, s'étaient avérées ne plus répondre de manière satisfaisante à l'objectif de sauvegarde des entreprises, il est vrai dans un contexte économique très différent.

L'avant projet de loi tire donc les conséquences de l'inadéquation croissante du dispositif actuel, qu'il simplifie en l'améliorant, tant au plan de la prévention, dont le rôle s'est accru ces dernières années, qu'au regard du traitement des faillites.

Anticiper les difficultés et favoriser les procédures amiables
Partant du constat, confirmé par tous les praticiens, que les procédures de prévention et de traitement des difficultés sont déclenchées tardivement alors que l'entreprise est le plus souvent dans une situation totalement obérée, la réforme vise à anticiper les difficultés et à favoriser les procédures amiables. A cette fin, la réforme envisage une action préalable au "dépôt de bilan" élaborée autour de deux axes majeurs.

Le premier concerne la procédure amiable qui se trouve totalement rénovée et élargie. Le texte améliore la procédure amiable qui permettra aux entrepreneurs en cas de difficultés prévisibles de renégocier leur dette dans un cadre juridique sécurisé, l'accord étant homologué judiciairement. En outre, un privilège général sera accordé dans les conditions de l'article L. 621-32 du Code de commerce aux apporteurs de fonds nouveaux qui interviennent pour assurer le financement et la pérennité de l'entreprise dans le cadre des accords obtenus avec le conciliateur.


Neuf entreprises sur dix en redressement finissent par être liquidées"


Le second est relatif à la création d'un nouveau dispositif, totalement novateur et inspiré du système américain de redressement judiciaire anticipé. Actuellement, la loi prévoit que le chef d'entreprise doit attendre la cessation des paiements pour que sa société soit déclarée en redressement judiciaire.

Compte tenu de la définition légale de la notion de cessation des paiements, à savoir le fait d'être "dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible" et de l'interprétation qui en est faite par la jurisprudence, ce processus génère trop souvent une déclaration de cessation des paiements trop tardive conduisant à un constat d'échec : neuf entreprises sur dix en redressement finissent par être liquidées, contrairement à l'objectif annoncé par le législateur de la loi de 1985.

Par le mécanisme nouvellement proposé, le chef d'entreprise "qui justifie de difficultés, avérées ou prévisibles, susceptibles d'entraîner à bref délai la cessation des paiements", pourra demander au Tribunal de commerce d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire "préventive". Celle-ci permettra de suspendre les échéances de remboursement de la dette, de négocier avec les créanciers et les banques un plan de redressement et, éventuellement, de mettre en oeuvre une organisation nouvelle de l'entreprise. Elle présente l'intérêt de pouvoir commencer dès les premières difficultés identifiées et non plus seulement une fois la cessation des paiements avérée, voire la situation de l'entreprise irrémédiablement compromise.

Cette procédure doit aboutir dans l'année à un plan de continuation arrêté par le Tribunal. Le débiteur n'étant pas en état de cessation de paiement, il ne peut faire l'objet d'une liquidation. Si l'avant-projet ne remet pas en cause les délais de la période suspecte antérieure à la cessation des paiements, il prévoit en revanche qu'aucun des engagements conclus sous l'égide des procédures de redressement judiciaire ou de redressement amiable n'est désormais susceptible d'être remis en cause.

La procédure de règlement amiable et celle de redressement judiciaire anticipé en amont de la cessation de paiements étaient les principales dispositions réclamées par les responsables économiques, qui ont donc été entendues par le Gouvernement, lequel n'a pas pour autant délaissé le traitement de la faillite.

Délester la faillite des dispositions superflues
Afin que le chef d'entreprise soit davantage incité à procéder à un dépôt de bilan au demeurant inévitable, et avec l'objectif de ne pas lui ôter toute ambition professionnelle future, l'avant projet de loi tend à délester la faillite de dispositions qui pouvaient paraître superflues en tant que telle.

Aussi et en premier lieu, entend-il réformer les sanctions à l'encontre des chefs d'entreprises en faillite reprenant ainsi une tendance "jurisprudentielle" des tribunaux de Commerce et du Parquet peu enclins à sanctionner ces dernières années. Au traumatisme de la liquidation, avec ces conséquences économiques et personnelles pour le dirigeant et sa famille, il ne faut pas ajouter celui de l'interdiction "infamante" privant le chef d'entreprise de toute faculté de se redresser un jour.


C'est moins l'honnêteté que la négligence du chef d'entreprise qui est en cause"


Parce que dans la majorité des cas, c'est moins l'honnêteté que la négligence ou l'incompétence du chef d'entreprise qui est en cause, le projet de loi prévoit que les entrepreneurs qui auront fait l'objet d'une interdiction de gérer pourront demander à en être relevés s'ils présentent "toutes garanties démontrant leur capacité à diriger ou contrôler une entreprise". Ce relèvement ne peut bénéficier qu'à ceux qui n'ont pas été déclarés en état de faillite personnelle.

En second lieu, et surtout, la réforme tend à une accélération par une simplification de la procédure de liquidation judiciaire, le Garde de sceaux ayant dénoncé un processus qui peut s'étaler en moyenne sur quatre ans et qui participe de ce fait à l'encombrement de notre système judiciaire. Ainsi, 185 000 dossiers sont actuellement en cours d'examen devant les tribunaux, dont 4 500 depuis plus de 20 ans.

Le projet propose de supprimer, dans certains cas, l'obligation d'établir un inventaire exhaustif des dettes. Il prévoit également que les procédures de liquidation judiciaire simplifiée ne dureront pas plus d'un an.

L'équilibre entre les fonctions d'administrateur et de liquidateur
Les ambitions de cette réforme ne peuvent être qu'approuvées. Toutefois, certains professionnels du Droit s'en sont inquiétés, non pas tant sur le fond de la réforme qu'ils savent indispensables, mais sur les conditions de sa mise en œuvre qui risquent de faire évoluer les équilibres entre les fonctions d'administrateur et de liquidateur judiciaire, outre le rôle dévolu à chacun des acteurs des procédures collectives.

Il faudra les écouter car l'application de la Loi passera par la conviction de ces acteurs indispensables. Les invocations incantatoires à la prévention, la conciliation et la simplification ne suffisent pas et chacun devra être convaincu des mérites d'un texte qui tend à faire évoluer significativement des règles datant de plus de quinze dans un monde économique évoluant chaque jour.

Mais à trop vouloir ménager le débiteur failli, les créanciers et les emplois, on finit par n'en sauver aucun. Il faudra être très attentif à l'application, notamment jurisprudentielle, qui sera faite du texte voté, nos tribunaux étant le meilleur "pouls" de l'adéquation de la Loi avec les réalités économiques qui l'entourent. Il serait dommage de passer à côté d'un texte nécessaire à notre économie et à nos institutions judiciaires. Tels sont aussi les enjeux de la nouvelle Loi.

jcsimon@simonassocies.com

 

Rédaction, Le Journal du Management
   
 
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