Vers l'intranet management
Par Nicolas
Humeau (Algoé Consultants)
Quand un manager veut agir sur l'efficacité d'un collaborateur,
les déterminants individuels du parcours de ce dernier (diplôme
acquis, degré de maîtrise d'une technique) n'offrent pas suffisamment
prise. Il faut considérer tous les éléments socio-organisationnels
qui, in fine, produisent le "travaillant". Or, la diffusion
des technologies de l'information (TIC) a introduit de nouveaux
lieux d'expression pour, et de nouveaux leviers d'action sur, le
comportement en situation professionnelle. Les intranets
de nouvelle génération, dont l'émergence nourrit un débat sur la
fracture numérique, offrent ainsi des perspectives inédites aux
managers.
On
reconnaît ici les fragments d'un discours récurrent sur l'e-transformation,
avec pour principal levier l'e-management. En pratique, c'est d'intranet
management dont on devrait parler, tant l'intranet constitue désormais
la pierre angulaire de l'intégration organisationnelle des TIC.
Ce phénomène comporte deux dimensions, que le manager doit appréhender
successivement.
D'abord apprendre à manager son intranet dans une logique de retour
sur investissement, en regard d'objectifs précis, comme la préservation
du capital immatériel de connaissances et compétences, la formation
des nouveaux entrants, ou encore une optimisation des processus.
Une fois cette dimension installée, il devient possible de manager
par l'intranet, en l'utilisant comme relais des actions de management
à leurs différents stades : mieux comprendre l'organisation avant
de prendre une décision, mieux la communiquer, mieux la traduire
opérationnellement. Manager par l'intranet, c'est alors faire levier
sur l'ensemble des composantes fonctionnelles et techniques de l'outil
dans le but de qualifier, quantifier et agir sur ses propres pratiques
de management.
Ce nouveau levier managérial, l'organisation le pressent plus qu'elle
ne le maîtrise. Encore ce pressentiment se manifeste-t-il en creux,
lorsque le projet intranet achoppe sur certaines difficultés récurrentes
(publication de documents excessive - intranet déversoir - ou au
contraire insuffisante - intranet repoussoir -, flux d'information
top-down ne trouvant aucun écho, effet miroir déformant).
Développer
les usages
Or, si les usages des applications de gestion sont contraints par
l'exécution des tâches qu'elles contribuent à outiller, tel n'est
pas le cas des usages proposés, selon une logique incitative plus
que hiérarchique, par les nouveaux intranets. Le développement de
ces usages, garants d'une plus grande efficacité professionnelle
dans l'organisation, repose avant tout sur la perception d'une valeur
ajoutée, trop souvent aux abonnés absents.
Pour le manager, il n'y a pas fatalité, mais au contraire opportunité
de se montrer plus actif en la matière. L'intramestre, profession
qui se structure (en témoigne l'essor d'associations professionnelles
comme le ClubNet), deviendra pour lui un relais privilégié, tout
comme, dans les grands groupes, le Responsable e-business. Le recours
aux chartes d'utilisation constituera un point d'appui complémentaire.
A l'heure où les intranets dits de "3ème génération" se diffusent
toujours plus largement, la technologie est mûre pour influencer
de manière significative l'efficacité professionnelle. De la maîtrise
des usages par les différentes catégories de managers dépendra la
nature de cette influence. Encore leur faudra-t-il surmonter leurs
craintes ("ne pas savoir", "être court-circuité") ou leur indifférence
("à quoi bon ?"). Conscient de cette barrière psychologique, le
Directeur informatique de France 3 témoignait dans une récente conférence
de la meilleure manière de faire adhérer management et top-management
à l'intranet.
Quelques
enjeux pour la population managériale
L'enjeu hiérarchique En matière de contrôle, en publiant
sur l'intranet certains documents clés, l'organisation clarifie
sa politique et ses attentes. Ce principe de visibilité place chacun
face à ses responsabilités et équivaut à un contrat moral. En matière
de relation, la communication électronique induit moins de formalisme,
ce qui suppose que le manager fasse connaître sa propre "Netiquette",
notamment vis-à-vis du courrier électronique. Par exemple, source
fréquente de malentendus voire de manipulations, définir si communication
vaut validation ("tu l'avais pourtant reçu par mail...").
L'enjeu d'évaluation La dématérialisation de l'information
numérique et des procédures rend le contrôle de performance plus
délicat : l'accès désintermédié aux productions d'un collaborateur
présente en effet l'avantage de la rapidité et de l'objectivité.
Inconvénient corollaire : le défaut de contextualisation, qui peut
induire des erreurs d'interprétation.
L'enjeu de socialisation L'intranet favorise l'autonomisation,
qui se traduit parfois par un isolement accru face au poste de travail.
A l'inverse, les forums, bien utilisés (modération, canalisation
des thèmes), sont fondamentalement des outils de socialisation,
dont la professionnalisation grandissante ouvre la voie à des réalisations
plus ambitieuses, comme les "communautés métiers". Elles obéissent
à des règles pour partie transverses, et pour partie spécifiques,
sur lesquelles le manager avisé doit avoir prise. La SNCF, qui valorise
ses experts internationaux en systèmes de freinage par ce biais,
ou encore Arcelor, qui déploie des communautés de pratique à l'échelle
mondiale, en ont clairement perçus l'intérêt.
L'enjeu motivationnel En publiant sur l'intranet, le collaborateur
se fait auteur. Cette motivation se révèle toutefois à double tranchant,
la crainte du jugement d'autrui constituant un frein psychologique.
La possibilité offerte aux autres de poster des commentaires accroît
ce dilemme, que la maîtrise par le manager de la chaîne éditoriale
et des circuits de workflow sous-jacents peut résoudre.
Quelques
enjeux spécifiques aux managers RH
L'enjeu relations sociales Parmi les communautés d'acteurs
de l'organisation, on compte bien évidemment les syndicats, qui
prennent de plus en plus conscience des opportunités des TIC. L'intranet
devient lentement mais sûrement un lieu privilégié où se communiquent,
se débattent voire se structurent les termes de la relation sociale.
Toujours plus nombreuses sont les organisations qui, dans le sillage
des pionnières (France Télécom, Renault, La Poste), proposent un
espace intranet d'expression syndicale, qui doit être managé en
tant que tel.
L'enjeu de fracture numérique L'intranet management s'étend-t-il
aux populations de cols bleus ? A court terme, la réponse est non,
bien que les dispositifs de type bornes (Heineken), WebTV (Péchiney)
ou salles informatiques dédiées (RATP) rendent les contenus intranets
accessibles à tous, quand bien même l'intérêt affiché se limiterait-il
"au temps libre (RTT) et à l'argent (montant de l'intéressement)",
ainsi qu'un intramestre du secteur industriel le déplorait récemment.
A moyen terme, l'intégration plus étroite des TIC à la situation
de travail dans son ensemble, couplée à la prise en compte des profils
cols bleus dans les référentiels de compétence / mobilité en ligne,
pourrait cependant changer la donne.
PARCOURS
|
Nicolas Humeau, 31 ans, est co-animateur de l'activité e-stratégies
d'Algoé Consultants. Il possède une double formation universitaire
et HEC. Ses thèmes d'intervention privilégiés concernent la
stratégie d'entreprise et ses interfaces avec les nouvelles
technologies, ainsi que l'impact des e-solutions sur les organisations
et leur management. Il est également l'un des animateurs du
site www.360journal.com,
qui se veut un observatoire des conditions d'émergence et d'ancrage
de l'innovation technologique. |
|