Vers le tract syndical électronique
Par Gérard
Haas, Avocat à la Cour
(Cabinet Gérard Haas Avocats)
L'article 10 du projet de loi Fillon ajoute un nouvel alinéa à
l'article L.412-8 du Code du travail prévoyant la possibilité de
diffuser des tracts de nature syndicale par la voie de la messagerie
électronique de l'entreprise. Il émet toutefois une réserve : la
diffusion doit être compatible avec les exigences de bon fonctionnement
du réseau informatique de l'entreprise et ne pas entraver l'accomplissement
du travail. Le projet de loi précise, par ailleurs, que les modalités
de ce mode de diffusion font l'objet d'un accord d'entreprise ou
d'établissement.
La
reconnaissance légale des tracts électroniques
Le 31 mars 1998, la Cour de cassation a défini le tract comme "un
document remis sous enveloppe qui concerne les conditions de travail
et contient une invitation à une réunion syndicale". On pouvait
être tenté d'en déduire qu'il ne peut être établi que sur support
papier. C'est faux : l'article L.412-8 du Code du travail n'exclut
pas l'hypothèse des tracts syndicaux électroniques et les juges
ont déjà admis la possibilité d'utiliser la messagerie électronique
pour la diffusion de publications syndicales.
Le TGI de Paris a ainsi reconnu, le 17 novembre 1997, que "la création
d'un site externe à l'entreprise sur l'Internet librement accessible
aux salariés de l'entreprise et la diffusion sur un tel site de
messages contenant l'expression des revendications syndicales ne
peuvent être considérées comme étant illicites, de telles pratiques
n'apparaissent pas porter un trouble à l'exécution normale du travail
ou à la marche de l'entreprise".
Le passage obligé de l'accord d'entreprise
L'obligation de prévoir ce mode de diffusion dans le
cadre d'un accord d'entreprise ou d'établissement ne fait aussi
qu'entériner la pratique : La Poste ou Renault et d'autres entreprises
ont ainsi déjà conclu des accords sur le droit syndical et la diffusion
de tracts électroniques, souvent à titre expérimental pour une durée
déterminée (entre 6 et 18 mois).
L'intranet ayant vocation à être un instrument strictement professionnel,
aucune disposition ne contraint, en effet, l'employeur à accorder
aux organisations syndicales l'accès au réseau. L'accord permettra,
en outre, de trouver des solutions aux problématiques encore en
suspens. L'article L.412-8 du Code du travail prévoit ainsi que
les publications de tracts de nature syndicale doivent être diffusées
aux travailleurs de l'entreprise dans l'enceinte de celle-ci, aux
heures d'entrée et de sortie du travail.
Or, est-on encore dans l'entreprise quand on envoie un tract par
Internet ? Et comment contrôler que l'envoi a lieu aux heures
d'entrée et de sortie du travail ? Par ailleurs, reste à régler
la question du contrôle de l'employeur sur les tracts électroniques.
L'arrêt Nikon rendu par la Cour de cassation, le 2 octobre 2001,
semble donner une réponse affirmative, interdisant à l'employeur
de prendre connaissance des messages intitulés "Personnels".
Les tracts syndicaux, déniés de tout caractère privé, pourraient
donc être contrôlés.
Enfin, se pose la question de la représentativité syndicale, la
Cour d'appel de Colmar ayant jugé, le 15 novembre 2001, que "le
caractère licite ou illicite de l'utilisation du réseau intranet
de l'entreprise pour la diffusion de tracts syndicaux est subordonné
à la question de la représentativité du syndicat en cause".
Vers un dialogue social électronique
Le dialogue social peut se définir comme celui visant à contractualiser
entre ceux qui sont associés dans une relation de travail, à des
niveaux différents (interprofessionnels, branches ou entreprises),
les conditions d'exercice de cette relation. Le rôle des partenaires
sociaux est ici primordial. Le projet de loi vise d'ailleurs à renforcer
la légitimité des accords collectifs, donc des syndicats chargés
de les négocier : l'article 10 précité est bien intégré dans la
section IV intitulée "Du renforcement des moyens du dialogue social".
Le dialogue social électronique pourrait dés lors recouvrir la
négociation collective entre employeur et partenaires sociaux par
voie électronique. Il peut aussi, plus largement, concerner le dialogue
entre les salariés, leurs élus, la direction, voire l'environnement
sociétal de l'entreprise. Toutefois, il pose encore des difficultés
au regard de la pratique actuelle en droit du travail et provoque
des bouleversements dans l'entreprise, notamment sur la question
de la signature électronique des accords collectifs ou de la confiance
qui doit garantir la qualité des échanges.
L'article L.132-2 du Code du travail dispose en effet que la convention
ou l'accord collectif de travail est un acte écrit conclu entre
une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives
au plan national, et une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs.
La Cour de cassation, le 8 janvier 2002, ajoute que l'accord collectif
doit comporter la signature des parties pour être valable. Le dialogue
social électronique implique alors une signature électronique, admise
par la loi du 13 mars 2000.
Autre risque à gérer : le tract électronique permet d'informer
vite les salariés mais génère une traçabilité des échanges. La direction
de l'entreprise doit ainsi s'engager à respecter une certaine confidentialité
des messages envoyés par les salariés en réponse aux tracts électroniques.
En tout état de cause, l'usage abusif de l'outil électronique doit
être sanctionné, peu importe son auteur, y compris les syndicats.
ghaas@haas-avocats.com
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