Création
d'entreprise : qu'est-ce qui bloque ?
Par Geneviève Bouché (mars 2004)
Un tissu industriel, c'est comme une forêt : les grands arbres produisent
l'humus où se développent les générations à venir. Or notre tissu industriel
ne va pas bien. Les grandes entreprises s'éternisent dans le CAC 40, celles de
taille moyenne se raréfient et les petites ont une morbidité désolante. Notre
forêt a une drôle de tête. Nos bûcherons n'ont sans doute pas trouvé la bonne
approche pour l'entretenir.
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Geneviève Bouché, chef d'entreprise et docteur
es-sciences des organisations, est l'auteur de "Je vais monter ma boîte"
(Editions d'Organisation)
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Créer une entreprise c'est faire de la R&D, pour imaginer une offre originale,
développer un habillage marketing, pour créer de la confiance, et tisser
un réseau de distribution. Ces étapes nécessitent une part croissante d'investissements
immatériels qui augmentent d'autant le risque initial. Il n'est donc pas réaliste
de laisser cette prise de risque entièrement à la charge du chômeur.
Pour l'Etat, créer une entreprise c'est donner naissance à une personne morale
qui va avoir des droits et des devoirs. Les mesures qui se succèdent en faveur
de la création d'entreprise visent à faire des réglages pour rendre les
droits attractifs, au regard de devoirs toujours plus opaques. Or, au vu des
résultats, la solution n'est pas dans les réglages. Elle est dans la répartition
du risque entre le créateur, qui a 15 % de chance de devenir un homme heureux,
et la communauté, qui a besoin du développement de ses entreprises. Ce partage
doit se faire en plusieurs points.
La protection sociale
Créer une entreprise en France implique de renoncer à la protection
sociale auxquels les Français sont attachés depuis leur premier emploi. La tranche
40- 50 ans est la plus performante en matière de création d'entreprise. A cet
âge le candidat est encore chargé de famille. Son renoncement relève de l'héroïsme.
L'homme politique n'est pas sensible à ce frein car il y est lui-même durement
exposé. Le traitement de ce problème ne peut venir des syndicats, gestionnaires
des organismes paritaires, car les protections sont destinées aux salariés et
non aux patrons. Or le Medef n'est pas réceptif à ce problème, ni à ses répercussions.
La mise à disposition de fonds
Les financiers ne prêtent pas volontiers. Il est vrai que les dossiers
qui leur sont soumis ne sont pas de très bonne qualité, préparés avec peu de
moyens et portés par des créateurs insolvables.
C'est donc au niveau de la sélection des projets que les actions doivent être
menées. Actuellement, le porteur d'un projet n'a pas accès aux études qui lui
seraient précieuses. Chacun doit imaginer les données nécessaires à l'élaboration
de son business plan. La mise en place des incubateurs est un bon point de départ.
Le dédale d'interlocuteurs
Les mesures de simplification qui ont été récemment mises en place
concernent la création de la personne morale. Pour le reste, chaque créateur
fait son parcours... Eliminer le maquis des aides, distribuées par des fonctionnaires,
au profit d'une matrice de compétences mettant en synergie les intérêts corporatistes
et géographiques, permettrait à un vivier de candidats de structurer des projets
et à la communauté (tant métier que locale) d'organiser des équipes porteuses
de progrès et de développement.
L'exclusion en cas d'échec
En cas d'échec, le sort réservé aux malheureux créateurs sera terrible :
poursuites, impossibilité de recommencer un autre projet et image déplorable
sur le marché du travail. Dommage, il serait préférable de faire en sorte que
ceux qui ont essayé finissent par trouver une place au soleil attrayante après
avoir été respectés pour les risques qu'ils ont pris.
Le coût de fonctionnement incompressible d'une entreprise
30 % des décès de jeunes entreprises prennent leur origine dans des
défauts de gestion. Or ces entreprises ont un expert comptable qui leur fournit,
à grands frais, un bilan décalé dans le temps et entièrement tourné vers la détermination
de l'impôt. A l'ère de l'informatique, il y a là un gisement de réflexion
important sur les besoins des uns et des autres, qui puisent leurs données décisionnelles
dans la même source.
L'ordre des experts comptables est fier du nombre d'emplois dont il est porteur.
Coincé entre des logiciels dont la maîtrise lui échappe, et une réglementation
en forme de mille-feuilles, les chefs d'entreprise savent dire ce que leur coûte
cette corporation, pas ce qu'elle rapporte. Or elle coûte très cher aux jeunes
entreprises.
La nécessité d'une vision partagée
La politique qui consiste à avoir les yeux rivés sur le nombre de
créations et sur les détails innovants est désastreuse sur le long terme. Si
une entreprise développe un logiciel aux fonctionnalités exceptionnelles,
mais qu'elle n'est pas proche d'une dynamique industrielle connexe à cette découverte,
le brevet finira par être racheté par un leader lointain (géographiquement).
Lé créateur rentrera chez lui avec un chèque sans avoir enrichi
le patrimoine industriel de la nation.
L'absence d'intérêt des corporations pour leurs
jeunes pousses est frappante"
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Or l'Etat ne se montre pas vraiment structurant quant aux objets des entreprises
qui sont créées. Il ne s'agit pas de réclamer une économie planifiée, mais simplement
une économie organisée. Cependant, tout ne doit pas venir de l'Etat. En France,
l'absence d'intérêt des corporations pour leurs jeunes pousses est frappante.
Aussi longtemps que nos syndicats professionnels seront centrés sur le droit
du travail et la réglementation, notre tissu entrepreuneurial sera fragile. Les
bonnes pratiques à travers les âges ont montré que les corporations qui s'occupent
de leur renouvellement s'en sortent mieux que les autres.
Un problème d'image
Les jeunes entreprises doivent gagner la confiance de leurs clients
et être payées comme il se doit. Or leurs innovations sont accueillies avec méfiance.
Les acheteurs de première proximité doivent avoir conscience de leur rôle vis
à vis des créateurs d'entreprise et des emplois de demain. Mais, aujourd'hui,
qui leur en fait prendre conscience de ce rôle ?
Enfin, les créateurs d'entreprise divisent au moins par deux, leur revenu au
début ou lorsque tout va mal. Or le revenu d'une profession permet de se faire
une idée de l'importance que lui accorde la nation. Nos créateurs font-il rêver
avec leurs revenus ? Pas vraiment, et c'est bien dommage. |