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INTERVIEW
 
décembre 2004

Christian Sautter (France Active)
Les entreprises ont de plus en plus un comportement éthique

L'ancien ministre de l'Economie est depuis quatre ans président de France Active, une structure spécialisée dans les finances solidaires. Utopie ou réalité ?
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France Active

L'ancien ministre de l'Economie du gouvernement Jospin est président de France Active depuis fin 2000. Cette association finance et accompagne les projets qui créent des emplois pour les personnes en difficulté. France Active fédère un réseau de fonds territoriaux ou d'associations affiliées présents sur la majeure partie du territoire français. En 2003, elle a contribué à la création ou la consolidation de plus de 7.000 emplois durables, avec un taux de réussite des projets de 80 % à cinq ans. Christian Sautter est également en charge du développement économique, des finances et de l'emploi à la mairie de Paris, au sein de l'équipe de Bertrand Delanoë. A ce titre, il pilote les différentes initiatives de la capitale en faveur des nouvelles technologies.

Comment définiriez-vous les concept de finances solidaires ?
Christian Sautter. Le but des finances solidaires consiste à drainer de l'épargne de particuliers ou de salariés vers des entreprises solidaires qui aident des personnes en grande difficulté à sortir de l'exclusion.

Quel est le rôle de France Active dans ce domaine ?
France Active intervient de deux façons. L'association aide financièrement des individus à créer des entreprises, ce qui a permis de créer environ 3.500 emplois en 2003. Par ailleurs, elle soutient le financement d'entreprises solidaires, ce qui a permis d'en créer ou d'en consolider autant.

Pourriez-vous donner quelques exemples d'entreprises solidaires ?
Il y a par exemple l'Alpe (Ndlr : Association la petite entreprise), une imprimerie parisienne qui soutient les personnes sortant de prison. Pendant un à deux ans, cette entreprise d'insertion propose un vrai travail aux anciens détenus avec un accompagnement social. Il existe également des ateliers protégés qui permettent à des personnes handicapées de travailler un à deux ans et ainsi d'acquérir une expérience professionnelle. Les entreprises solidaires restent en général des passages. Elles ont un statut défini, un label de l'Etat qui leur donne notamment des avantages dans le domaine des charges sociales.


Nous cherchons à susciter des vocations"

Pourquoi avez-vous accepté le poste de président de France Active ?
J'ai demandé la démission de ma fonction ministérielle en mars 2000. Je souhaitais continuer à servir l'intérêt général en dehors de l'Etat. Claude Alphandéry m'a proposé de prendre sa suite en tant que président de France Active et j'ai accepté. Cette activité me permet de rencontrer des gens de grande qualité. Parallèlement, je suis devenu un élu parisien.

Quelles actions France Active mène-t-elle ?
L'association intervient pour soutenir des projets individuels en apportant une garantie bancaire. Le réseau joue un rôle d'accompagnement en aidant à mettre en forme le projet et à écrire le plan d'affaires. Par ailleurs, un comité d'engagement constitué de banquiers et de chefs d'entreprises valide l'obtention d'un prêt d'une banque mutualiste à un taux d'intérêt de 3,5 à 4,5 %. Si le porteur de projet réussit, il rembourse cette somme. S'il échoue, comme seulement un créateur soutenu sur cinq, France Active rembourse les deux tiers du prêt. L'association aide aussi les entreprises marchandes à but humanitaire, et non à but lucratif.

D'où viennent les fonds distribués par France Active ?
France Active récolte de l'épargne solidaire provenant soit de fonds communs de placement, soit d'apports de capitaux de la Sifa (Ndlr : Société d'investissement France Active) qui vient de doubler son capital, détenu par des comités d'entreprise, des entreprises, des caisses épargne, des mutuelles de fonctionnaires…

L'épargne salariale est amenée à se développer. Est-ce une opportunité pour les finances solidaires ?
L'épargne salariale va se développer considérablement, notamment grâce au régime fiscal dont elle bénéficie. Aujourd'hui, le problème consiste avant tout à trouver suffisamment d'entreprises solidaires dans lesquelles investir. D'ici quelques années, les fonds ne risquent pas de manquer, contrairement aux projets. France Active et d'autres associations, comme le Réseau des boutiques de gestion, cherchent donc à susciter des vocations. Cela suppose que des entrepreneurs se battent sur un marché et s'occupent de personnes en difficulté. Ils doivent avoir une double compétence et accepter que leur projet soit moins lucratif.


Professionnalisme financier et accompagnement social"

Quelles sont les grandes tendances du secteur des finances solidaires ?
L'épargne solidaire individuelle s'accélère et nous sommes au début d'une sorte d'explosion de l'épargne solidaire collective. Autre tendance forte : France Active s'affirme comme l'un des principaux acteurs, même si les finances solidaires ne sont pas encore assez connues. Mais tous les syndicats de salariés soutiennent ce mouvement, ainsi que les comités d'entreprise. Les médias jouent un rôle de pédagogie. Les entreprises ont de plus en plus un comportement éthique, notamment pour améliorer leur image. En France, il existe un chômage de longue durée coriace. Les finances solidaires constituent l'un des moyens pour offrir une sortie. Elles cumulent professionnalisme financier et accompagnement social. Dans les années 70, les travailleurs sociaux se sont intéressés à l'économie. Aujourd'hui, nous sommes dans une nouvelle phase : les jeunes professionnels de l'économie et de la finance s'intéressent au social, au moins pendant une période. Parmi les cent cinquante salariés de France Active, nous comptons beaucoup de jeunes diplômés d'écoles de commerce qui travaillent quelques années pour l'association car notre activité a du sens, elle est porteuse de valeurs de solidarité.

Le développement durable vous paraît-il une tendance lourde, notamment impulsée par les salariés et les consommateurs ?
Pour une entreprise bien gérée, la solidarité est un élément de motivation des salariés. En France, les consommateurs n'ont pas l'habitude de boycotter les entreprises comme en Europe du Nord ou au Etats-Unis. Ils n'ont donc pas toute l'importance qu'ils devraient avoir. Cependant, le commerce équitable se développe et intéresse une clientèle de plus en plus large.


Une taxe Tobin n'a pas de sens si elle se limite à la France"

Etes-vous favorable à la mise en place d'une taxe Tobin ?
J'étais favorable à une taxe Tobin, c'est-à-dire un prélèvement très faible sur les flux boursiers. Cela s'intégrait dans le programme de Jospin en 1995. Le monde de la finance internationale est très instable. Les ventes et achats quotidiens représentent des sommes considérables. Une taxe très faible permettrait de freiner ces échanges journaliers sans gêner les mouvements longs. Mais, lorsque j'étais ministre, je me suis montré plus prudent sur ce sujet. En effet, une taxe n'a pas de sens si elle se limite aux échanges en France. Elle risquerait en plus de désavantager notre industrie financière. Il faudrait qu'elle concerne Londres et New York, et c'est un défi plus compliqué. Il s'agit donc d'une bonne idée mais qui nécessite un accord à l'échelle des pays développés.

Au-delà des finances solidaires, quel regard portez-vous sur la création d'entreprise en France ?
La création d'entreprise en France ne se porte pas si mal qu'on le croit. Les entreprises nouvelles sont très nombreuses, mais beaucoup meurent en bas âge. Les lois Allègre et Dutreil créent un climat favorable. Mais il est essentiel de faire en sorte que les projets deviennent adultes. Cela pose un problème d'accompagnement et de financement. Une entreprise a une probabilité plus forte de passer le cap des deux ans si elle fait partie d'un incubateur ou d'une pépinière ou si elle est parrainée. Sur la question du financement, les banques restent trop timides et les capital-risqueurs trop frileux.

Et quelle est votre analyse de la situation économique de la France ?
L'économie française est aujourd'hui complètement intégrée à la zone euro. Cependant, en terme de croissance, l'Euroland prend du retard sur les Etats-Unis, l'Inde, la Chine, la Corée… Il faut donc mettre en place une politique de croissance des échanges. L'augmentation du prix du pétrole et la baisse du dollar risquent de peser lourd sur la croissance.


Beaucoup d'entreprises meurent en bas âge"

Vous avez écrit en 1996 "La France au miroir du Japon". Le parallèle entre France et Japon reste-t-il d'actualité ?
Il reste des points communs très forts entre la France et le Japon, notamment l'importance de l'Etat et de l'administration ou le vieillissement de la population, encore plus marqué au Japon. Mais il existe aussi des différences considérables. La France bénéficie d'un effet d'entraînement de l'Europe. Elle s'intègre dans un projet économique, politique et social. Le Japon ne bénéficie pas d'une telle intégration, même s'il développe de plus en plus ses relations avec la Chine.

Craignez-vous un fort mouvement de délocalisations ?
Il existe deux types de délocalisations. Certaines, inévitables, reviennent à produire dans un marché émergent pour vendre sur ce marché. D'autres répondent à la volonté de fabriquer ses produits dans des pays à bas salaire pour ensuite les réimporter. Ce mouvement s'avère difficile à contourner. Il faut donc chercher à l'équilibrer par la création de nouvelles productions dans les hautes technologies. Nous sommes dans une course de vitesse. Aux Etats-Unis, jusqu'à présent, les activités nouvelles sont plus nombreuses que celles qui disparaissent. L'Europe est moins dynamique. Les départs dépassent les créations, constat très préoccupant. Il faut s'appuyer sur la qualité de nos universités et de notre recherche pour créer de nouvelles activités. Par ailleurs, certains secteurs demeurent prometteurs. Les services à la personne prennent leur essor dans une population vieillissante. Cela représente des millions d'emplois supplémentaires aux Etats-Unis. Enfin, il faut consolider nos points forts dans les secteurs de la finance, des transports, de l'aéronautique…

En savoir +

Depuis votre interview au Journal du Net le 17 avril 2003, comment vos projets à la mairie de Paris ont-ils évolué ?
Depuis un an, nous avons accentué notre soutien pour les projets du domaine des hautes technologies. Nous allons ouvrir début 2006 un pôle biotechnologique, Paris Bioparc, sur un site de 18.000 m² situé à Tolbiac-Massena, dans le 13ème arrondissement. En partenariat avec la région Ile-de-France et différents départements, nous créons également deux pôles de compétitivité, l'un consacré à la santé et l'autre, à l'échelle européenne, consacré à l'informatique appliquée. Ma mission consiste à rassembler des compétences, qui existent de façon dispersée, pour atteindre une masse critique.

Parcours

Christian Sautter est adjoint au maire de Paris depuis mars 2001, chargé du développement économique, des finances et de l'emploi. Il est également président de l'association France Active, qui aide financièrement la création d'emplois pour les personnes en grande difficulté, et président de Paris development agency. Agé de 64 ans, il est diplômé de l'Ecole Polytechnique, de l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique et de l'Institut d'études politiques de Paris. Il a été ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (novembre 1999-mars 2000), secrétaire d'Etat au budget (juin 1997-novembre 1999) dans le gouvernement de Lionel Jospin. Auparavant, il a été préfet de Paris et de la région Ile-de-France (1991-1993) et secrétaire général adjoint de la présidence de la République auprès de François Mitterrand (de 1982-1985 et de 1988-1990). Il a également été directeur du CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales, lié au Commissariat général au Plan) et a dirigé des unités de l'Insee.


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