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INTERVIEW
 
décembre 2004

Michele McCabe (IneumConsulting)
Le défi consiste à regarder au-delà des origines, des diplômes

L'idée du CV anonyme, proposée par Claude Bébéar pour favoriser la diversité dans les entreprises, a relancé le débat sur les critères de recrutement. Michele McCabe en décode les enjeux.
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Claude Bébéar, l'ancien PDG d'Axa, a rendu fin novembre un rapport intitulé "Des entreprises aux couleurs de la France". Pour limiter la discrimination à l'embauche, ce rapport propose notamment la mise en place d'un CV anonyme, sans nom, ni prénom, ni sexe, ni âge, ni adresse, ni nationalité. Une proposition qui, pour l'heure, a été refusée par les députés dans le cadre du projet de loi de cohésion sociale. Mais cette tentative est un premier signal pour les entreprises, qui pourraient à terme devoir se plier à davantage de contraintes juridiques pour favoriser la diversité dans leurs rangs. Une perspective qui ne rejouit guère les grandes entreprises, d'autant que certaines d'entre elles prennent conscience de l'intérêt de la diversité et de la mixité, alors que se profile un marché de l'emploi bien plus tendu sous l'effet du papy-boom. Michele McCabe, senior manager human capital chez IneumConsulting, est une spécialiste de la problématique.

Mixité et diversité : quels sont les grands enjeux pour l'entreprise ?
Michele McCabe. Les entreprises actives dans plusieurs pays peuvent y trouver un avantage concurrentiel en effectuant une adéquation entre certains aspects culturels et la conception des produits, le marketing et le service clients. Une équipe diversifiée offre une meilleure compréhension des envies des consommateurs de différentes régions géographiques mondiales. Les femmes sont aussi des consommatrices, il faut donc être attentif à leurs besoins, à leurs envies. Par ailleurs, lorsque l'on travaille avec des personnes d'origines diverses, on gagne en créativité, on peut trouver des idées fascinantes. Etre reconnue comme entreprise active en matière de mixité et de diversité sera en outre un avantage concurrentiel dans les campagnes de recrutement lorsque le marché d'emploi sera plus tendu.

Le papy-boom pourrait-il justement pousser les entreprises à recourir à des recrutements moins standardisés, plus diversifiés ?
On parle beaucoup de pyramide inversée, j'aimerais bien la voir... Quoiqu'il en soit, lorsque l'on cherche des talents, et pas seulement des cadres franco-français, on en trouve. Les services RH doivent regarder les compétences et l'expérience des individus, et non uniquement leurs diplômes. Car les solutions existent pour faire face à un recrutement plus tendu : s'ouvrir à plus de collaborateurs "senior", développer les ressources internes, s'ouvrir à des candidats d'autres origines...

Mais n'est-ce pas plus rassurant de ne recruter que certains profils ?
Oui, c'est naturel. On a toujours tendance à recruter ceux qui nous ressemblent. Les recruteurs, mais aussi les managers, doivent en être conscients.

Comment la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays concernant la diversité et la mixité ?
En matière de diversité et de mixité, il existe deux régions phares : les pays scandinaves d'une part, les Etats-Unis et le Canada d'autre part. La France se trouve dans le même train que ces pays, mais pas dans le même wagon. Ces pays parlent de ces sujets et mènent des actions concrètes depuis presque vingt ans. La Norvège demande par exemple à ses entreprises d'atteindre un minimum de 40 % de femmes dans les conseils d'administration, mais n'impose pour l'instant pas de sanction. En Grande-Bretagne, depuis deux ou trois ans, les entreprises travaillent sur l'égalité de la rémunération. Outre-Atlantique, le reporting sur la diversité se fait de manière très transparente. On peut savoir par exemple combien d'Hispaniques emploie une entreprise. Et tous ces points ont clairement des impacts sur l'activité : on sait par exemple que pour des appels d'offres, une société augmente ses chances s'il y a une femme ou une minorité dans la direction.


Regarder au-delà des origines et des diplômes"

La discrimination positive est-elle la meilleure solution ?
Dès que je propose de mettre plus de femmes dans une équipe, certains hommes s'inquiètent. Il faut fixer des objectifs, mais ne les confondons pas avec des quotas. Les objectifs peuvent évoluer dans le temps. Cela me semble important de se projeter sur trois à cinq ans. Par ailleurs, les objectifs, contrairement aux quotas, se définissent à partir d'une analyse fine qualitative et quantitative. Ensuite, on choisit des indicateurs et on creuse le processus de recrutement. Les quotas risquent d'être mal vus, y compris par les femmes. La Norvège les a adoptés. En France, si rien ne change d'ici cinq ans, nous y aurons peut-être recours, mais en dernier ressort.

Faut-il aborder le problème de la diversité et celui de la mixité dans le même temps ?
La discrimination ne concerne pas seulement les minorités ou les femmes, elle inclut également les aspects de l'âge, de religion, de diplôme, d'aspect physique, de style de management, de mode de raisonnement... Le défi, si l'on veut promouvoir la diversité, consiste à regarder au-delà des origines, des diplômes et à créer d'autres critères de compétences. Cependant, il ne faut pas confondre le problème de la diversité et celui des femmes, au risque justement de perdre de vue les femmes. Dans les grands groupes américains, on distingue en général un manager parité et un manager diversité. Ces responsables répondent directement au PDG ou au DG. Ils sont aussi très bien payés, ce qui prouve l'importance qu'on leur accorde.

Quels sont les obstacles qui freinent les actions au sein de l'entreprise ?
Un projet risque d'échouer si l'entreprise ne fixe pas d'objectifs clairs, si elle ne fait pas de reporting et si elle ne propose pas de sanction. Il faut assurer une cohérence entre les objectifs et les actions sur le terrain. Aux Etats-Unis, les objectifs de mixité et de diversité sont souvent liés à une part variable du salaire. L'action s'avère plus efficace lorsque l'objectif est fixé pour une business unit. La direction générale doit s'impliquer, définir le "quoi" et communiquer. Ensuite, les RH proposent le "comment".


Le label me paraît vraiment une bonne idée"

Que pensez-vous du CV anonyme ?
Cette idée me semble intéressante si anonyme veut dire sans nom, nationalité, âge ou photo. Les équipes de recrutement, y compris celle d'Ineum, pourraient se livrer à une petite expérience : prendre cinquante CV anonymes, les traiter et comparer ce traitement avec le traitement habituel. L'idée serait alors de cibler les compétences et les expériences adéquates pour une fonction donnée.

La signature d'une charte ou l'attribution d'un label égalité pourraient-elles améliorer la situation ?
Les chartes servent souvent de décoration. Je préfère les comportements, les actes et même les paroles. En revanche, le label me paraît vraiment une bonne idée. Il faudrait que quelques PDG de grandes entreprises acceptent le rôle de pionniers sur ce sujet.

Et une pression croissante des salariés sur la diversité et la mixité peut-elle s'avérer efficace ?
Plus les salariés se sentiront concernés par cette problématique, plus ils joueront un rôle vis-à-vis du management. Mais la pression peut venir également d'autres parties prenantes. En France, la NRE demande une vérification des données sociales d'une entreprise.

Chez Ineum, quelle place ont les femmes ?
Vous savez, il y a toujours des progrès à faire ! De par notre histoire avec Deloitte, nous connaissons les "bonnes pratiques" pour réussir une démarche de mixité ou de diversité. Pour mener ce type de politique, il faut absolument partir d'une analyse, se fixer des objectifs, les suivre et effectuer un reporting transparent pour aboutir à un plan d'action.

En savoir +

En tant que femme et Américaine, avez-vous rencontré des obstacles dans votre vie professionnelle en France ?
J'essaie de prendre les choses avec beaucoup d'humour. En France, il est politiquement correct d'être anti-américain. Mais je cherche à rompre avec le regard discriminatoire de l'autre, à prouver que l'on a besoin des uns et des autres. Parfois, certains clients préfèrent travailler avec un consultant français, mais cela reste anecdotique. Plus sérieusement, je ne vois pas d'exemple d'obstacle dans ma carrière professionnelle. Je constate avec plaisir que les choses évoluent lentement, mais sûrement.

Parcours

Michele McCabe est senior manager human capital chez IneumConsulting (ex Deloitte & Touche France). Elle gère des projets concernant la gestion des compétences, la gesion de la performance, la conduite du changement (en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Belgique) ainsi que les projets liés à l'égalité des chances et à la diversité. Avant d'intégrer Deloitte pour le lancement de human capital en France, Michele McCabe a créé sa propre structure de conseil en human capital and performance.


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