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INTERVIEW
30/03/2005
Eric
Heyer (OFCE)
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Le 22 mars dernier, le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi réformant la législation des 35 heures (lire l'encadré). Au-delà du débat politique, Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), tire le bilan des 35 heures et analyse les conséquences économiques potentielles de cette réforme.
Compte tenu de la conjoncture, l'augmentation de la durée
du travail est-elle nécessaire ?
Eric Heyer. Beaucoup de commentateurs estiment que les 35 heures détériorent la croissance
potentielle de la France. Si nous étions en période de plein emploi,
ce serait vrai. Il faudrait alors augmenter la durée du travail.
Mais ce n'est pas près d'arriver. A l'OFCE, nous estimons que le
taux de chômage frictionnel se situe à 5 %. Par conséquent,
aujourd'hui, l'augmentation de la durée du travail est une erreur.
L'assouplissement pourrait-il avoir des effets sur l'emploi ?
Il aura un petit impact négatif sur l'emploi. En
toute logique, cela devrait détruire des emplois. Mais, en réalité,
personne ne peut dire si les entreprises vont effectivement exploiter
les nouvelles possibilités qui leur sont offertes. La loi Fillon
avait déjà apporté un assouplissement en passant le contingent d'heures
supplémentaires de 130 à 180 heures, avec une majoration de 10 %
et non 25 %. Mais elle n'a pas augmenté en moyenne le contingent
d'heures supplémentaires effectivement utilisé, notamment
car la croissance est restée faible. En 2005, les entreprises risquent
d'avoir plus recours aux heures supplémentaires si elles anticipent
une croissance non durable.
Le "temps choisi"
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Mais les lois Aubry ont-elles réellement
créé des emplois ?
D'après nos chiffres, les lois Aubry ont permis de créer 400.000
emplois, entre 1997 et 2002, sans compter les emplois sauvegardés.
La Dares (NDLR : Direction de l'animation de la recherche, des
études et des statistiques) avance le chiffre de 350.000 emplois.
Parmi ces créations, nous estimons que la moitié résultent de la
baisse des charges attribuée dans le cadre des accords sur les 35
heures. Cela correspond, compte tenu de l'effet de friction, à 280.000
chômeurs en moins. Ce n'est pas rien, mais cela n'a pas permis d'évacuer
le problème du chômage en France, comme l'espéraient les socialistes.
Aujourd'hui, les effets des 35 heures sont terminés.
Et quelles conséquences
ont eu les lois Aubry sur la croissance ?
Les 35 heures ont eu des effets positifs sur la croissance. Tout
d'abord, elles n'ont pas accru le coût du travail en France. Le surcoût lié à la hausse du salaire horaire a été compensé
par une progression de 1,5 % de la productivité, une augmentation des aides de l'Etat et la stagnation
des salaires les années suivantes. Par ailleurs, les lois Aubry
ont permis de créer des emplois, ce qui implique plus de consommation
et donc plus de croissance.
Combien les 35 heures ont-elles coûté
?
On parle de 15 milliards d'euros par an, ce qui correspond à la baisse
des charges accordées aux entreprises. Mais, en fait, il faut tenir
compte des nouveaux emplois qui réduisent de 3 milliards les
indemnités chômages, augmentent les cotisations salariales de 2,8
milliards d'euros et génèrent 5 milliards d'euros en TVA et impôt
sur le revenu. Au total, les 35 heures coûtent donc 4 milliards
tous les ans.
Est-ce cher payé pour 400.000
emplois ?
Cela représente un coût, mais un coût limité par rapport aux autres
politiques comme la création des CES (NDLR : Contrat emploi solidarité),
CEC (Contrat emploi consolidé) et autres emplois jeunes.
D'autant plus que les emplois résultant des 35 heures ont été créés
dans le privé.
Et l'entreprise a-t-elle été gagnante
?
L'entreprise a gagné avec l'annualisation du temps de travail. Le salarié
a perdu puisque les heures sup n'étaient plus majorées 25 %.
Nous tablons sur une augmentation de 0,2 % de la durée du travail" |
Suite à cet assouplissement, les accords sur les 35 heures au sein des entreprises pourraient-ils être remis
en cause ?
La loi Fillon a généralisé la baisse des charges, désormais
accordée même aux entreprises sans accords 35 heures, sans que l'enveloppe
totale d'aide n'augmente. Les entreprises ayant signé un accord
35 heures avaient négocié avec les partenaires sociaux en fonction
des aides de l'Etat, qu'elles ont ensuite vu se réduire. Le risque
était donc qu'elles remettent en cause leur accord. Dans la pratique,
seules quelques-unes, comme Bosch, l'ont fait. A la suite de ce
nouvel assouplissement, les entreprises ne devraient pas
remettre à plat leurs accords 35 heures. En revanche, cela
pourrait arriver si le gouvernement cessait d'accorder la baisse
des charges aux entreprises, ce qui est très peu probable.
A combien estimez-vous l'augmentation
de la durée du travail suite à cette nouvelle loi ?
Il est très difficile de savoir ce que feront les entreprises. A
l'OFCE, nous tablons sur une augmentation de 0,2 % de la durée du
travail en 2006.
Cet assouplissement revient-il à remettre
en cause les 35 heures ?
Le CET (Compte épargne temps) remet en cause les 35
heures. Le salarié se fera payer ses heures quand il le souhaite,
mais sans majoration. Mais
il est difficile de prévoir si les entreprises l'adopteront. Pour
les petites entreprises, le CET pose par ailleurs des problèmes de gestion et
de provisions, puisqu'il faut pouvoir à tout moment payer les salariés.
Même interrogation du côté du salarié : voudra-t-il le mettre en
place ? Les cadres seront probablement plus intéressés par
le système que les autres salariés.
Mais le salarié pourra choisir de travailler
plus...
Travailler plus pour gagner plus, n'est pas le bon slogan. Cet assouplissement
revient à travailler plus pour le même salaire (NDRL : salaire
horaire). De plus, l'entreprise choisira d'augmenter ou non
les heures supplémentaires. Et ce sera risqué pour les salariés de refuser. Avec 10 %
de chômage, le rapport de force est clairement déséquilibré.
En
savoir +
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Pensez-vous que, dans la pratique,
l'assouplissement sera réel ?
Je pense que cela ne va pas beaucoup changer. Je peux me tromper,
mais j'estime que l'assouplissement devrait rester marginal.
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