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INTERVIEW
 
25/05/2005

Georges Pébereau (Marceau Investissements)
Les entreprises étrangères font leur marché en France

Pour l'ancien patron de la CGE, le constat est sans appel : la recherche est insuffisante en France et les structures financières des entreprises hexagonales font d'elles des proies faciles.
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Livre
L'industrie, une passion française, Georges Pébereau et Pascal Griset, Presses Universitaires de France 2005. >>> Voir les librairies

Georges Pébereau est aujourd'hui à la tête de Marceau Investissements, société de conseil en fusion-acquisition. Avant d'en arriver aux rouages de la finance, l'homme a participé dans les années 70 et 80, notamment en qualité de président, au développement de la CGE, Compagnie générale d'électricité. Ce groupe, à son époque leader mondial dans les technologies télécoms, a notamment donné naissance à Alcatel et Alstom. Une histoire qu'il retrace dans "L'industrie, une passion française" paru cette année aux Presses Universitaires de France. Georges Pébereau y analyse l'économie actuelle au regard de son expérience.

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire "L'industrie française, une passion française" ?
Georges Pébereau. Par devoir de mémoire : c'est une aventure considérable que de transformer une grosse PMI en numéro un mondial dans les secteurs des télécommunications et du nucléaire, mais également en acteur de premier ordre des secteurs de l'énergie et des transports ferroviaires, et tout cela en quinze ans, avec une modification complète de la philosophie du groupe. C'est une évolution qui n'a pas eu beaucoup d'équivalent en France au cours du siècle dernier.


La coopération entre recherche privée et publique est fondamentale"

L'analyse du passé a-t-elle une utilité aujourd'hui ?
Il ne reste plus que des morceaux épars de la Compagnie générale d'électricité. Il était donc important d'analyser les conditions dans lesquelles ce groupe a disparu et pour quelles raisons. Constatant la situation actuelle de la France, qui du point de vue industriel n'est pas satisfaisante du tout, il me semble intéressant de voir quel chemin emprunter pour rendre à la France une partie du prestige qu'elle avait il y a trente ans.

Quel regard portez-vous sur l'économie française d'aujourd'hui ?
La première différence fondamentale entre hier et aujourd'hui, dont tout le monde commence à se rendre compte, c'est la recherche. On en parle beaucoup actuellement : il y a des manifestations dans la rue, mais jusqu'à présent les efforts sont insignifiants. Il y a vingt ans, la CGE avait un budget de recherche dans le secteur du téléphone qui représentait de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires. Il est évident qu'aujourd'hui les entreprises consacrent beaucoup moins d'argent à la recherche qu'elles n'en consacraient de mon temps.

Comment redynamiser la recherche ?
Il faudrait réformer certains organismes publics qui sont complètement dévoyés et peu efficaces. Les revivifier non seulement par l'argent mais par la réforme de la recherche publique. Il faudrait également inciter les entreprises privées à investir davantage. Sans oublier la coopération entre la recherche privée et la recherche publique qui est, selon moi, fondamentale. Du temps de la CGE, dans tous les domaines où nous avons réussi, nous travaillions de manière étroite avec les organismes de recherche publics. Parallèlement, les entreprises publiques étaient nos clients et profitaient de ces avancées  : nous livrions le TGV exploité par la SNCF, les centrales électriques exploitées par EDF ou les centraux téléphoniques par les PTT. Cette articulation était extrêmement importante.


La seule façon de rester compétitif c'est la taille"

Cette dynamique industrielle a pour vous été perdue. Pour quelles raisons ?
Il y a une autre différence un peu plus subtile et personne n'y fait vraiment attention, ou presque. Du temps de Pompidou et du général de Gaulle, la volonté était d'avoir une industrie française. On avait tout à fait conscience dans les années 70 que la mondialisation était un phénomène inéluctable. Et par conséquent notre objectif était que les industries françaises soient compétitives à la fin du siècle dans un certain nombre de secteurs industriels considérés comme essentiels. Des industries dont les capitaux étaient détenus par des Français. Aujourd'hui, ces industries sont souvent détenues par les Européens, avec une présence significative de la France.

Vous insinuez que l'industrie française a perdu son identité nationale...
Dans les années 80, toutes les sociétés de la CGE qui étaient arrivées à des leaderships mondiaux étaient filiales d'une holding qui détenait la majorité du capital. Pour faire une OPA il fallait s'attaquer à la société mère, la CGE, qu'il était très facile de protéger. Depuis la société à éclaté et la CGE a disparu. Mais de façon plus générale pour le pays on constate que plus de la moitié des entreprises du CAC 40 ont de l'ordre de 45 % du capital détenu par des fonds d'investissements anglo-saxons.

En quoi la détention du capital des grandes entreprises françaises par des acteurs internationaux modifie-t-elle le fonctionnement de l'économie ?
Avec l'apparition des fonds d'investissements anglo-saxons, c'est tout une modification des mécanismes capitalistes industriels qui s'est produite. Je m'explique. Quand vous êtes un pur financier, vous essayez de savoir si les entreprises sont compétitives d'abord et quel est leur avenir ensuite. Les entreprises qui sont présentes dans plusieurs domaines en même temps sont plus difficiles à analyser que celles qui sont centrées sur un domaine particulier. La grande mode dans l'industrie a donc été la concentration sur le core business. Les entreprises ont vendu tout ce qui n'en faisait pas partie et se sont concentrées sur un seul secteur. Lorsque vous êtes concentré sur votre core business, se pose alors la question d'être compétitif. Comme les techniques et les technologies s'échangent, la seule façon de rester compétitif c'est la taille. Les entreprises se sont donc lancées dans une course au gigantisme en achetant des affaires qui intéressaient leur domaine d'activité, non plus en fonction des synergies de rentabilité, mais simplement pour contenir leur concurrent et grossir plus vite que lui. Nous sommes loin de la vraie logique industrielle.


Nous n'avons pas pris les précautions nécessaires"

Concrètement comment ce recentrage fragilise-t-il les grandes entreprises ?
Si vous prenez un passé proche, Pechiney a essayé de préparer un système d'alliance qui lui permettait de se développer économiquement parlant. Bruxelles a dit non et quelques mois plus tard le canadien Alcan est arrivé avec une OPA sur Pechiney. Personne n'a pu s'opposer à ça. Pechiney était une entreprise française dans laquelle le pays avait énormément investi. Les socialistes l'avaient nationalisée tellement ils la considéraient comme stratégique. Cette entreprise a disparu du patrimoine français, son personnel est traité comme les Canadiens veulent le traiter, idem pour ses actionnaires, et nous sommes dans une situation qu'il aurait mieux valu éviter. Récemment, le management de la Bourse allemande a été obligé de démissionner sous la pression des fonds d'investissements anglo-saxons. Ces actionnaires, relativement dormants les premières années, ont demandé le recentrage sur le core business. Autrefois ils n'intervenaient pas sur la stratégie, mais aujourd'hui, pour soutenir leur logique financière, ces fonds ont décidé d'être actifs. Ce qui est tout à fait normal dans un système capitaliste et on ne peut pas le leur reprocher. En revanche, dans toutes ces histoires, on peut se reprocher de ne pas avoir pris de précautions nécessaires sur l'évolution du capital des grandes sociétés. Ces entreprises n'auraient pas pu rester uniquement françaises, la France est trop petite. Mais elles auraient pu maintenir une position stratégique.

Comment reprendre le contrôle de la situation ? Quelles solutions proposez-vous ?
Il y a un blocage psychologique. Tout d'abord, ce sujet est très rarement évoqué, ni par les citoyens, ni par les administrations, ni par les ministres. C'est un sujet qui intéresse quand il y a des conséquences, quand les entreprises disparaissent. Il y a alors quelques murmures. Mais essayer de prendre des mesures qui militeraient pour l'avenir du capital et de l'industrie n'est pas un sujet très populaire.


Les conditions de départ des dirigeants sont scandaleuses"

Vous pensez notamment à une réforme de l'ISF...
Oui, il y a un véritable blocage sur ce dossier. L'impôt sur la fortune pousse les personnes qui ont de l'argent à aller à l'étranger, n'investissant pas en France pour des raisons fiscales. Les capitaux s'en vont, chassés. C'est complètement idiot. Faire payer les riches, si on veux les faire payer, c'est tout à fait normal, mais il faut trouver des mécanismes qui ne pénalisent pas en réalité toute la population et en particulier les pauvres. Car créer du chômage objectivement ça ne provoque aucun préjudice pour les personnes qui sont parties à Bruxelles, à Genève ou à Londres. Les hommes politiques n'osent plus en parler. En réalité il faudrait qu'il y ait un accord entre la droite et la gauche pour rassurer les citoyens, un consensus de l'ensemble des milieux politiques pour prendre cette mesure.

Comment jugez-vous la rémunération des dirigeants français aujourd'hui ?
C'est devenu une véritable folie, notamment à cause des stock-options, dont on ne donne jamais le vrai montant. Les conditions de départ sont également scandaleuses. Il est évident qu'une réforme profonde est sur ce point nécessaire et qu'elle sera douloureuse pour certaines personnes riches.

En tant que dirigeant, combien touchiez-vous ?
Ce que les dirigeants touchaient auparavant semble une plaisanterie par rapport à aujourd'hui. En étant à la tête du premier groupe français à l'époque je gagnais en un an ce que les chefs d'entreprise actuels gagnent en quinze jours, en ordre de grandeur. On est arrivé à des excès tels qu'il y a des conseils d'administration ou de surveillance dans lesquels l'administrateur américain refuse de signer le procès verbal fixant la rémunération du président parce qu'il considère que même aux Etats-Unis on ne ferait pas ça.


Des entreprises vulnérables"

Quel regard portez-vous sur Alcatel et Alstom après avoir participé à leur construction ?
Alcatel a traversé une crise très dure il y a deux-trois ans. Comme beaucoup d'actifs ont été vendus, y compris les immeubles de la société, ça lui a permis de traverser la crise en ayant toujours des résultats à peu près corrects. Quant à Alstom, c'est différent. Les deux actionnaires, d'un côté Alcatel et de l'autre les Anglais, ont voulu mettre Alstom en Bourse. Mais avant, ils ont dû versé un très gros dividende. Ce qui fait qu'Alstom avait au moment d'entrer en Bourse des structures financières trop légères pour une entreprise à risques. Quelques erreurs ont certainement été commises par le management menant Alstom à la limite de la cessation de paiements. Le système qui a été mis en place à l'époque par Nicolas Sarkosy lui sauve provisoirement la mise, mais c'est une entreprise qui est encore très vulnérable et sur laquelle plusieurs groupes mondiaux tels que Siemens sont en train de lorgner pour voir s'ils ne pourraient pas reprendre les parties les plus rentables.

Vos propos sont très nostalgiques. Que regrettez-vous le plus au final ?
La politique des années 80 consistait à ne laisser entrer les étrangers qu'à moins de 20 % et à répartir le capital par petits paquets et entre plusieurs groupes français. Résultats : les groupes français pour lesquels c'était un simple placement ont vendu leurs participations croisées et toutes ces entreprises aujourd'hui sont à prendre. Par conséquent les entreprises étrangères, avec l'affluence des fonds d'investissements anglo-saxons, n'ont qu'à venir en France pour venir faire leur marché et acheter dans de bonnes conditions des entreprises performantes. C'est très dommage, il y a beaucoup d'occasions manquées.

Des notions comme l'éthique et le développement durable avaient-elles leur place à la CGE ?
Il y a un point sur lequel nous étions très attentifs : les conditions de travail. En revanche, parler d'éthique et de développement durable, n'était pas vraiment à l'ordre du jour sur le plan politique et industriel. Les choses changent, selon les problèmes rencontrés.

Parcours

Après quelques années au service de l'Etat, en tant que directeur de cabinet de plusieurs ministres de l'Equipement, Georges Pébereau entre en 1968 comme directeur à la CGE, Compagnie générale d'électricité, juste après l'absorption l'Alcatel et juste avant la prise de contrôle d'Alsthom (futur Alstom) en 1969. Il prendra la présidence du groupe de 1984 à 1986. En 1991 la CGE devient Alcatel-Asthom, le premier groupe mondial de télécommunications. Georges Pébereau fonde, quant à lui, Marceau Investissements en 1987, dont il est actuellement le président.


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